L'art de tout rater

Géopolitique — Proche-Orient


Il ne reste rien, absolument rien, que les États-Unis n'aient totalement raté dans leur entreprise irakienne. «Avoir fait tomber Saddam Hussein», malgré toute l'horreur des quatre dernières années, cela restait tout de même un argument, peut-être le dernier, à maintenir dans la colonne positive du bilan irakien. Mais non: rien ne subsiste de l'action américaine en Irak - y compris la chute et la capture de Saddam Hussein - qui ne se soit finalement converti en un remède pire que le mal.
Il fallait tout de même le faire: les États-Unis ont réussi, avec le gouvernement al-Maliki, à faire du tyran sadique, du massacreur d'enfants, du tortionnaire des chiites et des Kurdes, un monument à la dignité devant la mort. Car dans cette scène sordide diffusée sur Internet comme la plus vile pornographie, on a pu voir et entendre une petite foule de barbares assoiffés de vengeance, remplis de haine sectaire, lyncher leur ancien dictateur, d'une telle manière que Saddam Hussein - oui, Saddam Hussein - en acquérait soudain, malgré tous ses crimes passés, une élévation inattendue dans l'ultime moment.
Et de ce fait, avec son regard droit devant la mort certaine, avec cette scène diffusée dans le monde entier, il a outrageusement réussi sa sortie, et assuré sa propre rédemption dans la mémoire du monde arabe - ou de sa grande majorité. Magnifique résultat!
N'envahissez pas l'Irak, avait écrit Chirac à Bush, vous aurez une guérilla sur les bras; nous, les Français, on connaît nos Arabes, on a eu l'Algérie... Le vice-président Cheney a ri, Bush a ignoré le conseil. Si vous envahissez, alors faites-le au minimum avec 300 000 ou 400 000 fantassins, leur ont dit les meilleurs conseillers militaires, de pur sang bleu américain ceux-là. Rumsfeld, le secrétaire à la Défense, a souri, haussé les épaules... et puis Bush a plongé avec 150 000 pauvres soldats mal préparés. Ne dissolvez pas l'armée irakienne, vous allez les retourner contre vous et fournir un vivier à la guérilla. Même mépris des conseils avisés, mêmes résultats...
Ainsi de suite, dans une hallucinante enfilade de ratages, jusqu'à l'ultime conseil: «N'exécutez pas Saddam, vous allez en faire un martyr dans le monde arabe et alimenter la haine sectaire en Irak.» Parions que cette prévision se vérifiera à 150 %, comme toutes les autres.
Pendant ce temps à Washington, la grande majorité des commentateurs cherche à comprendre l'obstination orgueilleuse d'un président qui se prépare à livrer un baroud d'honneur en envoyant dix ou vingt mille soldats supplémentaires (mais pas 250 000 comme il en faudrait, selon certains analystes militaires, pour peser vraiment sur le cours des événements!), pour «rétablir l'ordre» dans ce pays brisé, fragmenté, peut-être détruit sans retour. Un pays qui désormais poursuit son chemin dans la tragédie, comme un train sans freins dans une pente à 45 degrés.
Un affrontement est en vue entre l'administration Bush, qui a décidé que jamais elle ne reconnaîtrait son erreur en Irak, et le Congrès à majorité démocrate, où les partisans du retrait rapide ont désormais le vent en poupe, avec l'appui des sondages et des médias.
Ce qui semble désormais passer avant toute autre considération, pour l'actuelle Maison-Blanche, c'est de ne pas perdre la face et de «tenir bon», à tout prix, jusqu'à la fin de la présidence Bush, en janvier 2009. Politiquement, cela pourrait être désastreux pour les républicains en 2008. Mais légalement, le président peut très bien décider d'ignorer le message des élections législatives de novembre, de faire fi des conseils et des rapports (comme le «rapport Baker» de novembre, qui paraît déjà bien loin)... et d'invoquer ses prérogatives présidentielles en matière de politique étrangère.
Il y a là-dedans comme une odeur d'années 1970. Une odeur de Viêtnam, d'hélicoptères qui veulent s'enfuir... mais de Nixon qui s'accroche.
Après avoir avoué sa collaboration passée avec l'ancien régime communiste en tant qu'espion, un archevêque en vue démissionne à Varsovie... et tout un pays est en émoi.
La Pologne, dit le cliché, est un pays de «grenouilles de bénitier». Un pays qui serait aujourd'hui tenté - comme certains de ses voisins de l'ex-bloc soviétique- par une réaction droitiste, cléricale, antisémite, anti-Europe. Un pays dans lequel une Église bien ancrée à droite prétendrait revenir en force...
Et pourtant, voilà un pays où - hier, dans les rues de sa capitale - on s'est battu à coups de poing entre partisans et adversaires de l'ecclésiastique dénoncé. Pays où le fait stupéfiant de la cohabitation - chez un même individu - de l'état ecclésiastique (respecté en Pologne) et de sa «collaboration» passée avec les communistes (méprisée en Pologne) induit, chez le citoyen ordinaire, une dissonance troublante et inattendue.
Cet épisode douloureux pourrait bien mener l'Église polonaise, réputée toute-puissante, sur la voie du déclin et de la désaffection qu'ont connue d'autres Églises nationales avant elle.
francobrousso@hotmail.com
François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.

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