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Non, je veux vous parler de l’anglicisation rampante à Montréal, Métropole du Québec. Vous avez sans doute pris connaissance de quelques éléments du rapport sur la situation du français à Montréal préparé par le député du PQ Pierre Curzi et son personnel de cabinet. Il y a de quoi être inquiet! Mais l’inquiétude s’amplifie lorsque vous parcourez le document en entier.
Quelques citations s’imposent.
Sur la démographie. «Les jeunes adultes (qu’ils soient allophones ou francophones), ayant adopté l’anglais comme langue d’usage, transmettent l’anglais comme langue maternelle à leurs enfants qui viennent ainsi s’ajouter à la base de la pyramide et compensent de cette façon une bonne partie de la sous-fécondité anglophone. Par contre, les enfants des personnes francisées (allophones ou francophones) ne sont pas assez nombreux pour compenser la sous-fécondité des francophones, traduisant ainsi un déficit de remplacement majeur dans la structure d’âges des francophones. Si le français et l’anglais exerçaient un pouvoir d’attraction proportionnel à leurs poids démographique respectif, les bases des deux pyramides seraient identiques, ce qui n’est pas le cas. La fécondité détermine habituellement le remplacement des générations, mais quand il s’agit de remplacer une population donnée de langue maternelle, la vitalité de la langue en cause joue aussi le rôle significatif. Selon les données précédentes, il est possible de conclure qu’en dépit d’une sous-fécondité semblable entre anglophones et francophones, la forte capacité d’attraction de la langue anglaise lui confère un avantage démographique.»
Sur les mouvements migratoires.
«Une analyse de la migration intraprovinciale démontre que les trois groupes linguistiques délaissent dorénavant l’île, mais que ce sont toujours les francophones qui quittent davantage en proportion de leurs poids démographique…C’est donc sur l’île de Montréal que se joue toute la question linguistique au Québec. Ce qui se passe à Montréal se répercute directement en banlieue. La simultanéité des comportements migratoires interprovinciaux et intraprovinciaux a eu et risque d’avoir une incidence importante sur l’équilibre du poids de chaque groupe linguistique de la population totale de l’île. Compte tenu de ces deux tendances, le poids des francophones sur l’île continuera à chuter tandis que celui des anglophones s’y maintiendra ou, même, augmentera.»
Sur l’immigration.
«Le phénomène d’anglicisation en cours à Montréal et dans sa couronne a été démontré en chiffres absolus et en pourcentage dans le premier chapitre, mettant en lumière que le pouvoir d’attraction de l’anglais y est supérieur à celui du français, et ce, malgré le fait que la population anglophone soit beaucoup moins nombreuse que la francophone. Cette force d’attraction considérablement supérieure de l’anglais sévit particulièrement sur l’île de Montréal. Un phénomène de migration interne vient accentuer cette force d’attraction de l’anglais sur l’île, puisque les locuteurs francophones quittent Montréal au profit de la banlieue, alors que les anglophones ont de plus en plus tendance à y rester. … Contrairement à d’autres entités territoriales où la loi du sol oblige les nouveaux arrivants à parler la langue officielles pour bien fonctionner, au Québec, les immigrants ont le choix de se joindre à la communauté anglophone ou la communauté francophone.
Malgré toutes les mesures de francisation instaurées depuis 1977 par la société québécoise pour améliorer le statut du français, la langue de la majorité n’arrive pas à contrer le pouvoir d’attraction de l’anglais, notamment dans la métropole et sa couronne. Le français n’est pas un symbole de prospérité comme l’anglais peut l’être. Non seulement les allophones s’anglicisent, mais les francophones aussi.»
Il va sans dire que toutes ces assertions s’appuient sur des statistiques officielles. Et à partir de cette effarante réalité, j’aurais deux commentaires à formuler.
D’abord, sur le seuil d’immigrants reçus. Tous les rapports et études depuis 20 ans mettent en relief des défaillances sérieuses en matière d’intégration des nouveaux arrivants à la société d’accueil. Le rapport Curzi ne vient que confirmer ce constat. Or, si, comme peuple, nous éprouvons d’énormes difficultés, non seulement à franciser les immigrants, mais aussi à en faire des Québécois socialement et culturellement, ne serait-il pas pertinent et justifié en tout premier lieu de s’interroger sur le seuil d’immigration? En d’autres termes, si nous n’arrivons pas à intégrer convenablement 45,000 immigrants, comment peut-on sérieusement penser qu’en haussant le seuil à 55,000, notre capacité d’intégration va subitement, comme par magie, s’améliorer? Je ne vois pas comment, en toute logique, on peut répondre par l’affirmative à cette question.
Lorsque Mario Dumont, en 2007, a mis en doute l’à propos de passer de 45,000 à 55,000 immigrants par année, il a été cloué au pilori, injurié, calomnié par le PLQ et le PQ de même que par les gardes-chiourmes du multiculturalisme qui nichent dans les salles de rédaction et les officines universitaires. On l’a traité de lepeniste, de xénophobe et même de raciste.
Pourtant, il n’avait fait qu’énoncer une évidence : on n’arrive pas à intégrer correctement 45,000 immigrants, ça ne peut qu’empirer avec 55,000. Le PQ devrait faire son mea culpa et, à la suite du rapport Curzi, reconsidérer à la baisse le seuil d’immigrants reçus au Québec et, par voie de conséquence, retirer formellement son appui à cette décision irresponsable et néfaste de fixer à 55,000 le nombre annuel de nouveaux arrivants au Québec.
Mon deuxième commentaire porte sur l’idéologie multiculturaliste, idéologie dominante bien implantée au sein de la technocratie, dans les milieux médiatiques et les cénacles intellectuels. Ai-je besoin de vous rappeler que le multiculturalisme, enchâssé dans la Constitution canadienne, promeut le maintien et le renforcement des identités culturelles autres que celle du peuple enraciné en terre d’Amérique depuis 400 ans. Mais c’est encore pire que cela. La substance identitaire, historique et culturelle du peuple québécois doit être rabougrie, laminée pour ne pas heurter et contrecarrer le déploiement du pluralisme des identités, devenu religion d’État.
Je conviens avec vous qu’à Alma, sur les rives du Piekouagami , je n’ai pas à me buter contre le pluralisme identitaire. Il y a bien un certain nombre de citoyens de diverses origines (haïtienne, italienne, libanaise, latino-américaine etc), mais ils sont devenus des Québécois quasiment pure laine. On peut toutefois voir, au sein de l’école, les dispositifs multiculturalistes mis en place aux fins de modeler les cerveaux de mes petits-enfants.
Il est bien évident que c’est dans la métropole que la dévastation multiculturaliste prend une ampleur angoissante. De nos jour, à Montréal, défendre et promouvoir l’identité, la culture et l’expérience historique de la nation québécoise (et leur octroyer un statut dominant et privilégié) est considéré comme rétrograde, xénophobe, archaïque et intolérant. Bref, c’est d’un très mauvais genre!
Mathieu Bock-Côté a bien raison de signaler qu’à partir de la courtepointe pluraliste et cosmopolite de la Métropole, il est en train de se forger une nouvelle identité multiculturelle montréalaise, distincte de celle de la communauté nationale majoritaire ayant pris racine dans la vallée du St-Laurent il y a 400 ans. Nous sommes désormais ceux qu’on appelle les «de souche» ou, avec encore plus de mépris, les «souchiens». Voyez un peu comment, en 2010, se configure la société québécoise. Il y a, d’un côté, la mosaïque multiculturelle montréalaise chapeautée par des élites médiatique, intello-universitaire, politique, artistique, pluriculturelle qui incarnent la modernité, le progrès, l’ouverture et le remodelage sociétal et, de l’autre, les «souchiens» des régions, de la vieille Capitale et de certains ghettos québécois de la Métropole qui, eux, sont vraiment hors circuit, hors courant, déconnectés de la splendeur multiculturaliste, repliés sur eux-mêmes et trop bornés, trop frileux pour s’engager joyeusement dans la déconstruction de leur identité anachronique et démodée.
Mathieu Bock-Côté désigne Guy A. Lepage pour en quelque sorte symboliser et personnifier cette nouvelle identité multiculturelle montréalaise opposable à celle, trop surannée, du peuple québécois. Qu’il suffise de se souvenir que dans les sketches de RBO aussi bien que dans le dernier Bye Bye, Guy A. Lepage représentait toujours les non-montréalais (les «de souche») comme des crétins incultes, de gros épais et des dégénérés. Mais il n’est pas le seul à mépriser ce misérable peuple qui ose penser que son identité, sa culture, sa langue, son histoire et son patrimoine sont respectables et estimables et qu’il n’est pas déraisonnable de vouloir vraiment intégrer linguistiquement et culturellement les nouveaux venus à la communauté nationale québécoise. Alain Dubuc, par exemple, désigne les patriotes et les nationalistes comme des «ayatollahs de la québécitude».
Ce qu’il faut conclure de ces deux commentaires inspirés par le rapport Curzi, c’est que l’anglicisation rampante de Montréal ne pourra pas être efficacement arrêtée en ciblant uniquement la dimension linguistique de l’intégration des immigrants. La dimension culturelle est tout aussi essentielle. Il faut donc sans nul doute renforcer la charte de la langue française, mais il faut également, et de toute nécessité, extirper l’idéologie multiculturaliste qui contamine et gangrène l’appareil de l’État.
Je ne peux résister à l’envie de vous citer en terminant Mathieu Bock-Côté. Je dois vous dire que je l’aime bien ce jeune intellectuel : il est brillant, articulé, intelligent et patriote. Carl Bergeron, auteur du blog l’Intelligence conséquente, est du même acabit.
«Aucune gouvernance nationaliste, écrit-il, ne sera possible ni pensable sans une confrontation déclarée du système idéologique officiel et des médias qui assurent son hégémonie. Aujourd’hui, la défense de la langue française passe nécessairement par celle de l’identité québécoise et cette entreprise passe par la déconstruction du multiculturalisme comme idéologie et comme pratique politique et administrative. Aujourd’hui, la défense de la langue française est radicalement incompatible avec le maintien du multiculturalisme comme religion d’État.»
Si la classe politique, et le PQ au premier chef, ne fait pas sienne cette vision des choses, l’avenir du peuple québécois risque d’être bien sombre.
Jacques Brassard
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