Ce jour-là, je me précipite à l’Assemblée nationale, de retour de la Gaspésie. Un membre du personnel de l’Assemblée m’informe qu’un vote est sur le point de débuter. Il vérifie s’il m’est possible d’entrer. Mon pupitre étant tout près de la porte, il me fait signe d’y aller rapidement. Voyant le Président et un greffier debout, je m’enquiers auprès de mon voisin, Rosaire Bertrand, député de Charlevoix, de quoi il s’agit. Il m’informe d’une résolution concernant Yves Michaud. Sans plus. Le vote est en cours, impossible alors de demander au Président de relire la résolution. La procédure me confine à l’ignorance. Furieux, je me vois contraint d’appuyer la résolution ne sachant pas si elle était favorable ou défavorable à l’endroit de Yves Michaud. Les députés péquistes se lèvent et votent. J’imagine un instant qu’elle lui est favorable. Du reste, une motion félicitant Michaud, le Robin des banques, pour sa lutte en faveur des droits des petits investisseurs eût été recevable. Rapidement, la réalité me rattrape lorsque j’entends le greffier prononcer : « Monsieur Charest, Sherbrooke » et ainsi de suite, sans que le président ait eu à demander « quels sont ceux qui sont contre la résolution ». Imitant leur chef, les députés libéraux se lèvent, opinant du bonnet, certains avec le sourire. Je comprends qu’il s’agit d’une motion sans préavis, négociée préalablement entre l’Opposition officielle et le Gouvernement. Après la séance, je mets tout en œuvre pour me procurer le texte de la fameuse résolution. D’autant, qu’un collègue m’informe qu’elle blâme Michaud pour des propos offensants tenus à l’endroit de la communauté juive. Je lis attentivement le texte pour comprendre les motifs du blâme et pourquoi une telle résolution est présentée sans préavis, à l’insu des députés et votée sans débat. Que dit la résolution : Que l’Assemblée nationale dénonce sans nuance, de façon claire et unanime, les propos inacceptables à l’égard des communautés ethniques, et, en particulier, à l’égard de la communauté juive, tenus par Yves Michaud à l’occasion des audiences des États généraux sur le français à Montréal le 13 décembre 2000. Pas un mot du libellé ne démontre que le citoyen Michaud a tenu des propos à ce point inacceptables qu’il mérite une dénonciation sans nuance et surtout unanime des membres de l’Assemblée nationale. Je sens qu’il y a anguille sous roche et que l’on veut tuer une mouche avec un kalachnikov. Au caucus des parlementaires péquistes consécutif à la motion « scélérate », je constate que plusieurs députés semblent mal à l’aise. J’entends encore Bernard Landry, déambulant vers le buffet, dire discrètement à Louise Beaudoin : « On maltraite nos amis ». Je me lève pour souligner au premier ministre qu’une résolution de cette importance, votée dans la précipitation, sans en avoir informé préalablement l’aile parlementaire était inacceptable. Visiblement irrité, il me répond que la situation était grave et qu’il fallait agir vite. La même logique que le commando qui frappe à l’aube ! Du reste, je cherche encore aujourd’hui les motifs de l’urgence qui a conduit des parlementaires à voter aveuglément une motion fondée sur le mensonge. J’utiliserai la méthode interprétative pour expliquer ma compréhension de ce jour sombre du parlementarisme québécois. Certes, une certaine réserve est inhérente à la fonction parlementaire, mais, dans le cas qui nous occupe, rien ne peut empêcher un ancien parlementaire de réparer l’injure faite à Yves Michaud et redonner à notre Parlement national le lustre qu’il a perdu le 14 décembre 2000 en le transformant en peloton d’exécution. Sans en avoir la preuve documentaire ou testimoniale, j’ai néanmoins la conviction que le complot ourdi contre Michaud a été conçu hors du Parlement et que son orchestration devant l’Assemblée nationale fut l’œuvre de deux complices : Lawrence Bergman, ancien président d’une section du B’nai Brith, député libéral de D’Arcy-Mc Gee, et André Boulerice, péquiste et représentant de la circonscription de Sainte-Marie–Saint-Jacques. Le premier, se croyant investi de la mission de représenter la communauté juive à l’Assemblée nationale, et le second disant posséder dans sa génétique une filiation avec le Peuple élu. Dans son excellent ouvrage, Chronique d’une exécution parlementaire, l’historien Gaston Deschênes ne lève pas le voile sur l’origine du complot. Par ailleurs, son essai nourrit le doute qui m’habite depuis dix ans. Quel personnage ou quel groupe a instrumentalisé Bernard Landry et Sylvain Simard qui, lors de l’évènement, ont déclaré en conférence de presse que Michaud avait banalisé l’holocauste, alors qu’il n’a jamais prononcé le mot devant les États généraux sur la langue ? À moins d’une preuve irréfutable démontrant le contraire, je refuse encore aujourd’hui de croire que Bernard Landry ait influencé ou encouragé Lucien Bouchard dans sa colère folle et son misérable aveuglement. Appelé à commenter les propos de Yves Michaud tenus à l’émission de Paul Arcand, le premier ministre n’y avait d’abord vu aucune trace d’antisémitisme. D’où vient alors ce changement de cap aussi soudain que brutal de la part du chef ? À QUI PROFITE LE CRIME ? Comme plusieurs, je me suis demandé à qui profitait le crime. Les proposeurs de la résolution assassine évoquée plus haut ne sont pas les vrais acteurs du geste ignoble, du crime parlementaire posé par l’Assemblée nationale. Les deux députés étaient de simples porteurs de ballon qui ont exécuté, avec servilité, les ordres venus d’en haut. Il convient ici de féliciter André Boulerice d’avoir courageusement reconnu son erreur. On imagine aisément la jubilation du chef de l’Opposition officielle de déposer une résolution accusant fallacieusement d’antisémitisme un militant séparatiste. Pour Jean Charest, c’était un moment béni, mieux, l’occasion inespérée de casser du sucre sur le dos de Michaud, ancien député libéral (1966-1969), devenu indépendant lors de l’adoption du « bill 63 ». En clair, un homme dérangeant, voire menaçant pour les « establishments » de tout acabit. L’occasion était belle également pour le chef libéral de démontrer à la communauté juive que son parti demeure son refuge assuré dans les tempêtes et le défenseur de ses intérêts. On serait tenté de qualifier le comportement politique de Jean Charest, en la circonstance, de machiavélique, évoquant de la sorte la mémoire du célèbre auteur du Prince. Cela serait injurier l’intelligence du grand philosophe florentin dont l’oeuvre théorique prônait l’avènement d’un « ordre nouveau » fondé sur la morale, la liberté et la laïcité. L’autre acteur du complot est l’ancien premier ministre, Lucien Bouchard. Peut-on imaginer qu’il ignorait que la résolution sordide condamnant Yves Michaud était sans fondement ? Que les propos de Michaud lors des audiences des États généraux sur la langue ne comportaient aucune charge contre le peuple juif et l’holocauste ? Il savait sans doute que les parlementaires appelés à voter, par la force, une telle motion étaient privés de l’information nécessaire à la mise en contexte de l’évènement et, ce faisant, l’Assemblée devenait pour l’occasion un tribunal populaire sans droit d’appel. « Étrange paradoxe », écrira le juge Beaudoin dans son jugement sur l’Affaire Michaud. D’autant, que les autorités ont systématiquement refusé à l’accusé Michaud le droit élémentaire de s’expliquer devant une commission parlementaire. Ce 14 décembre 2000, où étaient donc passées les règles de justice naturelle, quand notre Assemblée nationale bafoua, à la satisfaction de Lucien Bouchard, le juriste, une des plus importantes d’entre elles, l’audi alteram partem, si chère à Bernard Landry, garantissant à un accusé le droit strict de se faire entendre. Ce jour-là, l’Assemblée nationale devint un tribunal par la volonté de deux hommes, pour exécuter un citoyen sans preuve et sans droit d’appel. Un geste sans précédent dans l’histoire du parlementarisme des pays civilisés. Le geste est d’autant plus répugnant qu’à de nombreuses occasions Yves Michaud a témoigné de ses liens d’amitié avec la communauté juive de Montréal. Il a loué le courage d’un peuple qui a fait naître un pays souverain au cœur du monde arabe. En déclarant que les Juifs n’avaient pas le monopole de la souffrance, il n’a pas voulu stigmatiser cette communauté, tant s’en faut. Il a choisi de rappeler, avec à propos, que d’autres peuples victimes de génocide (arménien, rwandais, etc.) vécurent l’ostracisme. En confiant à l’Assemblée nationale la sale besogne d’assassiner politiquement Yves Michaud, le chef a voulu enlever de sa route un candidat pressenti dont l’élection dans la circonscription de Mercier était, selon les observateurs, une formalité. La présence possible d’un tel trouble-fête au sein de son caucus l’a conduit à opter pour l’exécution parlementaire. Un geste indigne de la part d’un premier ministre. Un chef de parti respectueux de sa base militante aurait laissé l’association locale choisir son candidat et ultimement refuser si besoin était de signer son bulletin de candidature, si tant est qu’il eût des raisons de le faire. Il ne faut pas se surprendre du comportement autocratique de Lucien Bouchard. Pour mieux contraindre ses députés à la discipline, il a échappé un jour cette énormité : « pas de caucus, pas de gouvernement ». Une insulte à l’intelligence et la négation des prérogatives du pouvoir législatif et de la nécessité du contrôle parlementaire sur le pouvoir exécutif. Il aurait voulu faire de son caucus une secte en infantilisant ses députés qu’il n’aurait pas agi autrement. À cette époque, les péquistes ont connu les aberrations du centralisme démocratique. Une doctrine ayant sévi à une autre époque et en d’autres lieux. Mais, le hasard fait bien les choses. Moins d’un mois après le vote de la honte dont il fut l’artisan, voilà que le grand chef, après avoir condamné les péquistes à tourner en rond pendant cinq ans sur la question nationale, annonce, le trémolo dans la voix, qu’il tire sa révérence, faute de n’avoir pu réunir les conditions gagnantes pour la tenue d’un référendum sur la souveraineté. Peu de temps après son départ dramatique, le voilà qu’il annonce, tout bonnement, qu’il s’associe à une firme de juristes apparentée à la communauté juive, Davies Ward Philips & Vineberger, devenant ainsi «l’avocat aux honoraires les plus élevés à Montréal », écrit Bernard Descoteaux, directeur du journal Le Devoir, le 27 janvier 2011. Comment interpréter tout le pathos entourant sa démission ? Il eût été préférable qu’il avoue franchement qu’il ne voulait pas Michaud dans son entourage ; qu’il n’avait plus la foi dans la cause souverainiste (si tant est qu’il l’eut) et que désormais il préférait la sécurité financière à l’éprouvant combat pour le pays. Il en serait sorti grandi s’il s’était exprimé comme un lucide. Surtout que lui, le nouveau riche devenu, dont « la propension à poser en donneur de leçons » a poussé l’effronterie jusqu’à demander aux Québécois de travailler plus et aux pauvres de se serrer la ceinture. On n’ose imaginer ce qu’il exigera de notre peuple au nom des magnats du pétrole et du gaz. Aujourd’hui, je joins ma voix à celle de mes anciens collègues, maintenant fort nombreux (plus de cinquante) pour dénoncer le complot dont fut victime Yves Michaud le 14 décembre 2000 et lui présenter mes regrets les plus sincères. J’en profite pour dire la honte que j’éprouve d’avoir été roulé dans la farine par des manipulateurs. Difficile d’imaginer qu’une démocratie représentative puisse descendre aussi bas. Il est réconfortant que d’anciens parlementaires, 10 ans après le drame, dénoncent la mauvaise action, relèvent la tête et reconnaissent leur erreur. Ils sortent anoblis de cette contrition. Quant aux non-repentis, il faut les plaindre.
L'indécence grossière de Lucien Bouchard
L'affaire Michaud ou le complot des mous
Reprise pertinente dans le contexte de l'anniversaire prochain de la motion scélérate adeoptée contre Yves Michaud
Matthias Rioux2 articles
Ancien ministre et député de l’Assemblée nationale (1994-2003) Doctorant en sociologie politique à l'Université Laval
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