Le gouvernement du Québec aurait perdu 5 milliards de dollars parce qu'il n'a pas exigé assez pour les permis d'exploration du gaz de schiste, et aurait donc, encore une fois, bradé nos ressources. Manifestement, personne ne s'est donné la peine de regarder de plus près ce chiffre.
Il provient du rapport du BAPE. Mais quand on regarde comment il a été obtenu et ce qu'il signifie, on découvre rapidement que l'interprétation qu'on en a faite n'a pas de sens. Le Québec n'aurait jamais pu toucher 5 milliards pour ses droits. Pas même 1 milliard. Il est vrai que les sommes perçues par le Québec en permis d'exploration sont ridicules, 10 cents l'hectare. Comme l'industrie a acquis des droits pour 10 millions d'hectares, ça donne 1 million par année. La Colombie-Britannique, avec un système d'enchères, a obtenu 3000$ par hectare en 2008 en droits d'exploration du gaz de schiste, pour un total de 2,43 milliards! L'Alberta, 512$ par hectare. Les commissaires du BAPE écrivent donc: «En se référant au prix moyen de 500$/ha de l'Alberta, le Québec aurait pu percevoir environ 5 milliards de dollars pour les 10 millions d'hectares sous permis.» À mon avis, la formulation est malheureuse. Ce qui se voulait une illustration a été interprété comme une projection financière. Or, cette règle de trois ne tient pas la route, pour deux raisons.
Tout d'abord, les droits albertains portent sur l'ensemble de l'exploration pétrolière et gazière, pas seulement le gaz de schiste. L'Alberta est l'une des régions les plus riches en hydrocarbures de la planète. On peut s'attendre à ce que le droit d'y faire un forage coûte pas mal plus cher qu'au Québec, où on ne sait même pas si le gaz de schiste sera exploitable. L'Alberta a touché 1,17 milliard en droits en 2009-2010. Au nom de quelle logique le Québec, pour un potentiel non prouvé, pourrait-il récupérer 5 milliards?
Ensuite, comme les droits ne coûtent presque rien au Québec, les compagnies ont réclamé des permis pour des territoires énormes, presque toute la vallée du Saint-Laurent, 10 fois plus gros qu'en Colombie-Britannique, 50 fois plus qu'en Alberta. Si les permis étaient plus élevés, les territoires réclamés seraient nettement moindres. Et la règle de trois perdrait son sens.
Il n'en reste pas moins que le Québec aurait pu obtenir plus. Combien? En comparant avec ces autres provinces, mais en tenant compte du niveau d'activité faible au Québec, et du potentiel gazier encore incertain, peut-être quelque chose comme une cinquantaine de millions.
Pourquoi ne pas l'avoir fait? Parce qu'une partie des droits, comme ceux de Junex, avaient été cédés avant qu'on sache qu'il y avait du gaz de schiste au Québec. Ensuite, le cycle de découverte a commencé cinq ans plus tôt en Colombie-Britannique. Enfin, les provinces de l'Ouest, y compris la Colombie-Britannique, avaient déjà une industrie pétrolière et gazière, et disposaient donc déjà des outils pour l'encadrer, notamment le système d'enchères pour les permis.
Mais on peut dire qu'autour de 2008, quand la fièvre du gaz de schiste a éclaté, l'industrie a bougé, mais pas le gouvernement, dont le régime de permis est devenu à côté de la plaque. Le délai de réaction de l'État était-il normal? Ou encore, quelqu'un a-t-il «dormi sur la switch»? Il manque des éléments pour le dire.
Mais ça ne change pas grand-chose, parce qu'on peut facilement se rattraper. En modifiant le régime pour instaurer des enchères. Ensuite, en compensant les permis d'exploration trop généreux par des baux de production et des redevances plus élevés, pour que l'État touche sa juste part. Bref, l'argent qui n'a pas été perçu ne sera pas perdu.
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