Le prétexte est un classique politique : un gouvernement minoritaire déplore l’obstruction de partis d’opposition au Parlement pour justifier de déclencher des élections anticipées. Et c’est justement ce qu’a évoqué Justin Trudeau mercredi en refusant d’exclure la possibilité de plonger le Canada en campagne électorale dès le printemps.
Le premier ministre et son gouvernement accusent de plus en plus, depuis quelques semaines, les conservateurs d’empêcher les libéraux de faire avancer leur programme politique au Parlement. En entrevue avec Paul Arcand au 98.5 FM, mercredi matin, M. Trudeau est cependant allé encore un peu plus loin.
« Si les autres partis refusent de passer les projets de loi qui vont aider les gens, si on se voit limités à cause des jeux comme [ceux que] les conservateurs sont en train de jouer maintenant avec l’aide médicale à mourir, je ne peux pas écarter toute possibilité », a-t-il rétorqué lorsqu’invité à exclure la possibilité d’élections d’ici le mois de juin.
M. Trudeau n’est pas le seul de son équipe à avoir reproché au Parti conservateur de ne pas collaborer. Sa vice-première ministre, Chrystia Freeland, déplorait les mêmes tactiques dilatoires par voie de communiqué à la mi-février, puis encore mardi sur Twitter, en accusant les conservateurs de ralentir l’adoption d’un projet de loi proposant d’autres mesures d’aide financière en marge de la pandémie.
« Ma priorité, c’est d’aider les Canadiens, c’est de passer à travers cette pandémie. Mais pour ça, j’ai besoin qu’un Parlement fonctionne », a fait valoir M. Trudeau sur les ondes du 98.5 FM. « Ça prend des débats. Absolument. Mais il faut aussi que l’on puisse aider les gens », a-t-il dit.
La faute à Justin Trudeau
Tous les chefs des partis d’opposition suffisamment nombreux pour renverser le gouvernement minoritaire — le Parti conservateur, le Bloc québécois et le Nouveau Parti démocratique — ont exclu de le faire pour l’instant, compte tenu de la pandémie qui continue de sévir au pays. Les libéraux n’ont besoin que de l’appui d’un seul d’entre eux pour conserver la confiance de la Chambre basse.
Or, le chef néodémocrate, Jagmeet Singh, s’est déjà engagé à ne pas faire tomber le gouvernement libéral lors de futurs votes de confiance. « On ne va pas déclencher une élection », a-t-il réitéré mercredi. « Si on a une élection, ce sera à cause de Justin Trudeau qui va [en] déclencher une », a-t-il prédit.
Si le premier ministre souhaitait néanmoins déclencher une campagne électorale, dans l’espoir de décrocher un mandat majoritaire cette fois-ci, il pourrait réclamer lui-même la dissolution du Parlement.
Le conservateur Gérard Deltell, comme ses collègues de l’opposition, a accusé M. Trudeau de les blâmer, eux, afin de se trouver une excuse pour « justifier son [programme] électoraliste ». « Mais ce n’est pas en répétant une menterie qu’elle devient vérité », a-t-il lancé, niant retarder le programme législatif libéral.
Le chef bloquiste, Yves-François Blanchet, a rejeté la faute de ces retards parlementaires sur le premier ministre lui-même. « Si M. Trudeau considère que le Parlement n’est pas fonctionnel, il n’a que lui à blâmer, a-t-il répliqué. Il a l’avantage ; il a trois partenaires possibles dans le Parlement. S’il ne réussit à s’entendre avec personne, peut-être que le problème, c’est lui. »
M. Blanchet a en outre réfuté l’idée que la faute soit celle des partis d’opposition. « La réalité, c’est qu’on peut ne pas être d’accord avec Justin Trudeau et avoir quand même le droit à une opinion, à se lever dans un Parlement, à l’exprimer et à voter. »
Le gouvernement minoritaire de Justin Trudeau a été réélu en octobre 2019. La prochaine élection fédérale devrait donc se tenir en octobre 2023, en vertu de la Loi électorale qui prévoit des élections à date fixe. Les gouvernements minoritaires fédéraux ne survivent cependant en moyenne qu’environ 20 mois.