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La Cour suprême du Canada a invalidé jeudi des dispositions législatives visant à restreindre l'accès à l'école anglaise que le gouvernement du Québec a adoptées en 2002 pour colmater une brèche dans la loi 101.
Ces dispositions, incluses dans la loi 104, visaient à empêcher des immigrants du Québec d'envoyer leurs enfants dans une école anglaise privée non subventionnée pendant une courte période de temps afin d'obtenir le droit de les envoyer dans des écoles anglaises subventionnées par la suite.
Dans un jugement unanime, le plus haut tribunal du pays estime que le gouvernement du Québec a contrevenu à la Charte canadienne des droits et libertés en préconisant une solution sans nuance pour faire respecter un « choix politique valide ». L'approche législative choisie, juge-t-il, ne répond pas au critère d'atteinte minimale à un droit.
« Les objectifs visés par les mesures adoptées par le législateur québécois sont suffisamment importants et légitimes pour justifier l'atteinte aux droits garantis, mais les moyens choisis ne sont pas proportionnels aux objectifs recherchés », peut-on lire dans le jugement. [...] « Le refus de prendre en compte le parcours d'un enfant dans une EPNS, imposé par l'alinéa 2 de l'article 73 de la Charte de la langue française, est total et sans nuance, et paraît excessif par rapport à la gravité du problème de l'accès quasi automatique aux écoles de la minorité linguistique par l'intermédiaire d'écoles passerelles. »
Le jugement de la Cour suprême est toutefois suspendu pour un an, pour que le ministère de l'Éducation ait le temps d'adopter une autre approche. D'ici à ce que ce délai soit écoulé, seuls les cas de 24 enfants qui étaient devant les tribunaux à ce sujet devront être revus sur une base individuelle par le ministère. Un seul enfant au cas particulier devra recevoir un certificat d'admissibilité au réseau scolaire anglais de la part du ministère.
L'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés stipule, au 2e paragraphe, que « les citoyens canadiens dont un enfant a reçu ou reçoit son instruction, au niveau primaire ou secondaire, en français ou en anglais au Canada ont le droit de faire instruire tous leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de cette instruction. »
Extrait du jugement
La loi 104 comportait deux objectifs principaux. D'une part, elle visait à régler le problème des écoles passerelles et de l'élargissement des catégories d'ayants droit qu'entraînaient les inscriptions d'élèves dans ces institutions. D'autre part, et de façon plus générale, elle cherchait à protéger la langue française au Québec et à favoriser son épanouissement. Bien que la législature québécoise doive exécuter ses obligations constitutionnelles relatives aux droits à l'instruction dans la langue de la minorité sur son territoire, la règle fondamentale relative à la langue d'enseignement au Québec demeure.
Selon l'article 72 de la Charte de la langue française, sauf exceptions, l'enseignement se donne en langue française à tous les élèves, tant à la maternelle qu'aux niveaux primaire et secondaire, sur le territoire du Québec. Cette règle exprime un choix politique valide. L'Assemblée nationale du Québec peut légitimement vouloir faire respecter ce choix, sans dérogations autres que celles qu'imposent les droits linguistiques reconnus par l'article 23 de la Charte canadienne. La création d'une voie d'accès quasi automatique aux écoles de la minorité linguistique par l'intermédiaire de ces écoles tremplins compromettrait la réalisation de cette volonté du législateur. Résoudre cette difficulté représente un objectif important et légitime. [...]
L'objectif législatif étant reconnu comme valide, il faut alors déterminer si les dispositions introduites par la loi 104 apportent une réponse proportionnée aux problèmes identifiés plus haut. À mon avis, les appelants ont établi l'existence d'un lien rationnel de causalité entre les objectifs de la loi 104 et les mesures prises par la province de Québec. Notre Cour s'est d'ailleurs prononcée à plusieurs reprises sur l'importance de l'éducation et de l'organisation des écoles pour la préservation et l'épanouissement d'une langue et de sa culture. [...] La loi 104 cherche à protéger et à valoriser l'enseignement en langue française et l'usage de cette langue. [...]
La difficulté principale que pose l'examen de la validité constitutionnelle des dispositions attaquées se situe à l'étape de l'analyse de la proportionnalité des mesures adoptées. Même si l'existence d'un lien rationnel entre les mesures attaquées et l'objectif de la loi est reconnue, il faut poursuivre l'analyse et se demander si les moyens retenus par le législateur représentent une atteinte minimale, au sens de la jurisprudence, aux droits constitutionnels garantis par le paragraphe 23(2) de la Charte canadienne. Je suis d'avis que les mesures adoptées et contestées dans les pourvois Nguyen et Bindra sont excessives par rapport aux objectifs visés et ne satisfont pas à la norme de l'atteinte minimale.
Le juge Louis Lebel fait toutefois une mise en garde à l'endroit des écoles dites passerelles, qui semblent parfois avoir été créées dans le seul but de qualifier artificiellement des enfants pour l'admission dans le système scolaire anglophone, qui est financé par les fonds publics.
Une brèche dans la loi 101
Avant 2002, des parents immigrants envoyaient leurs enfants dans des écoles anglaises privées non subventionnées par le ministère de l'Éducation pendant une brève afin de pouvoir revendiquer le droit constitutionnel à l'enseignement en anglais dans le réseau public ou privé subventionné.
Les frères, les soeurs et les éventuels descendants d'un élève ayant ainsi obtenu le droit à un enseignement en anglais pouvaient à leur tour fréquenter en toute légalité une école anglaise au Québec.
L'affaire avait soulevé un tollé, puisqu'elle permettait à des immigrants de contourner la loi 101, qui prévoit que leurs enfants doivent recevoir, sauf exception, un enseignement en français.
Avec l'appui unanime de l'Assemblée nationale, le gouvernement péquiste de Bernard Landry a modifié l'article 73 de la Charte française, qui détermine qui a droit à un enseignement en anglais, afin d'exclure ce cas de figure. Ces amendements amenés par la loi 104 ont été contestés par les parents de 25 élèves, qui avaient choisi d'utiliser cette voie, ce qui a déclenché une longue saga judiciaire.
Les parents ont été déboutés par le Tribunal administratif du Québec puis par la Cour supérieure, avant que la Cour d'appel du Québec ne leur donne raison en 2007. Le gouvernement Charest a conséquemment porté la cause en Cour suprême et obtenu un sursis d'exécution dans l'attente de la décision d'aujourd'hui.
Dans leur bataille, les parents avaient le soutien financier de l'Association des commissions scolaires anglophones du Québec qui souhaite freiner le déclin de sa clientèle. Grâce au jugement, ces commissions s'attendent maintenant à accueillir 400 élèves de plus par année.
Ce que dit l'article 73. Les articles invalidés sont en caractères gras
73. Peuvent recevoir l'enseignement en anglais, à la demande de l'un de leurs parents:
1. les enfants dont le père ou la mère est citoyen canadien et a reçu un enseignement primaire en anglais au Canada, pourvu que cet enseignement constitue la majeure partie de l'enseignement primaire reçu au Canada;
2. les enfants dont le père ou la mère est citoyen canadien et qui ont reçu ou reçoivent un enseignement primaire ou secondaire en anglais au Canada, de même que leurs frères et soeurs, pourvu que cet enseignement constitue la majeure partie de l'enseignement primaire ou secondaire reçu au Canada;
3. les enfants dont le père et la mère ne sont pas citoyens canadiens, mais dont l'un d'eux a reçu un enseignement primaire en anglais au Québec, pourvu que cet enseignement constitue la majeure partie de l'enseignement primaire reçu au Québec;
4. les enfants qui, lors de leur dernière année de scolarité au Québec avant le 26 août 1977, recevaient l'enseignement en anglais dans une classe maternelle publique ou à l'école primaire ou secondaire, de même que leurs frères et soeurs;
5. les enfants dont le père ou la mère résidait au Québec le 26 août 1977, et avait reçu un enseignement primaire en anglais hors du Québec, pourvu que cet enseignement constitue la majeure partie de l'enseignement primaire reçu hors du Québec.
Il n'est toutefois pas tenu compte de l'enseignement en anglais reçu au Québec dans un établissement d'enseignement privé non agréé aux fins de subventions par l'enfant pour qui la demande est faite ou par l'un de ses frères et soeurs. Il en est de même de l'enseignement en anglais reçu au Québec dans un tel établissement, après le 1er octobre 2002, par le père ou la mère de l'enfant.
Il n'est pas tenu compte non plus de l'enseignement en anglais reçu en application d'une autorisation particulière accordée en vertu des articles 81, 85 ou 85.1 [NDLR : qui portent respectivement sur des exceptions concernant les enfants qui présentent des difficultés graves d'apprentissage, les enfants qui séjournent au Québec de façon temporaire et des situations graves d'ordre familial ou humanitaire].
Les réactions à la décision de la Cour suprême ont été vives à Québec. Pour le détail.
Loi 101
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