Par Pierre Boisguilbert, journaliste spécialiste des médias et chroniqueur de politique étrangère ♦ La monarchie espagnole est dans la tourmente après l’exil – temporaire selon ses dires – de Juan Carlos. L’ex roi espagnol est visé par une enquête sur des soupçons de corruption et ce qui ressemble fortement à une fuite a choqué en Espagne mais aussi en France où Pierre Boisguilbert a réagi.
Polémia
Mauvais sang ne saurait mentir. Le roi de la démocratie est en fuite, considéré comme un pourri. C’est l’épilogue d’une vie de mensonges, qui a commencé par la trahison.
Roi et renégat
Qui t’a fait roi ? La question à l’origine de la légitimité de tout monarque en Espagne a en l’occurrence une réponse claire : Francisco Franco. C’est le Caudillo de l’Espagne « Una, Grande, Libre » qui a façonné un souverain pour lui succéder et faire accepter l’Espagne nationaliste par une Europe démocratique. Le règne a commencé par la trahison totale des valeurs que le souverain devait maintenir. Formé dans les académies militaires, il va passer 27 ans dans l’ombre de Franco. En 1962, Juan Carlos épouse la fille du roi de Grèce, Sofia, avec laquelle il aura trois enfants, Elena, Cristina et Felipe. Deux jours après la mort de son parrain, le voici proclamé roi, le 22 novembre 1975. Son premier geste sera la légalisation du parti communiste, l’amnistie des opposants et la préparation d’élections orientées pour en finir avec le franquisme. Le roi devient alors l’idole des démocraties. On a, pendant des décennies, fermé les yeux sur une vie de jouisseur corrompu. Car le traître au Generalisimo ne pouvait être critiqué.
Après son abdication en faveur de son fils Felipe, son déclin débuta par une chute où il se cassa la hanche, lors d’un safari de luxe en 2012 au Botswana. Au cœur de la crise financière mondiale qui a mis le pays à genoux, l’Espagne découvre qu’il est allé chasser l’éléphant, aux frais d’un entrepreneur saoudien, en compagnie de la femme d’affaires allemande qui partageait alors secrètement sa vie. L’ancien roi est soupçonné d’avoir servi ses intérêts en servant ceux de l’Espagne, en amassant une fortune occulte à l’étranger, notamment grâce à ses relations avec les monarchies du Golfe.
Plus dure sera la chute
Début juin, la Cour suprême espagnole avait annoncé l’ouverture d’une enquête pour établir si Juan Carlos avait une responsabilité pénale dans une affaire de corruption présumée quand l’Arabie saoudite avait confié à un consortium espagnol la construction du TGV de La Mecque. Le quotidien La Tribune de Genève a affirmé début mars que Juan Carlos avait reçu, en 2008, 100 millions de dollars du roi Abdallah d’Arabie saoudite, sur un compte en Suisse d’une fondation panaméenne. Le même mois, The Daily Telegraph de Londres rapportait que Felipe VI était également bénéficiaire de cette fondation. Après la publication de ces articles, Felipe VI a retiré à son père une dotation annuelle du Palais royal évaluée à plus de 194.000 euros par an. Puis il a annoncé qu’il renonçait à l’héritage de son père « afin de préserver l’exemplarité de la Couronne ». Soupçonné de corruption et sous le coup d’une enquête de la Cour suprême, l’ex-roi d’Espagne a donc annoncé sa décision de quitter le pays dans une lettre adressée à son fils, le souverain Felipe VI. « Guidé à présent par la conviction de rendre le meilleur service aux Espagnols, à leurs institutions, et à toi en tant que Roi, je t’informe de ma décision réfléchie de m’exiler, en cette période, en dehors de l’Espagne», écrit Juan Carlos 1er cité dans le communiqué de la Maison Royale, où le roi Felipe VI accepte et le remercie pour sa décision…..«Il y a un an, je t’avais exprimé ma volonté et mon désir d’abandonner les activités institutionnelles», rappelle-t-il, affirmant avoir «toujours voulu le meilleur pour l’Espagne et la couronne». « Avec la même ardeur que pour servir l’Espagne lors de mon règne, et devant les conséquences publiques de certains évènements passés de ma vie privée, je souhaite t’exprimer ma disponibilité la plus absolue afin de contribuer à faciliter l’exercice de tes fonctions, avec la tranquillité et la sérénité que requièrent ta haute responsabilité. Mon héritage, et ma dignité en tant que personne, me le commandent », écrit l’ex-roi.
Juan Carlos, la grande erreur de Franco, a été rattrapé par tous les vices des démocraties qui l’aimaient tant avant de le brûler sur le bucher médiatique et judiciaire, comme un vulgaire dictateur.
Celui qui est né dans la trahison finira dans la corruption avec un visage reflétant, avec l’âge, sa vraie nature.
Pierre Boisguilbert
05/08/2020