Jean Laponce
_ Le référendum de souveraineté, PUL, 2010, 181 pages
Le politologue Jean Laponce a publié depuis un demi-siècle de nombreux ouvrages relatifs aux droits des minorités, aux questions linguistiques, au fédéralisme et au droit à l’autodétermination, notamment. Sa première publication, The protection of minorities, date de 1960 (Los Angeles, University of California Press). L’un de ses ouvrages les plus importants a été Langue et territoire (PUL, 1984, traduit en 1987 par University of Toronto Press sous le titre Languages and territories).
Il nous présente en 2010 une étude comparative et critique des 190 référendums de souveraineté qui ont eu lieu entre 1791 et 2009 sur tous les continents, à l’exception de l’Amérique du Sud. Il formule au chapitre 5 un essai de typologie fort utile. On apprend beaucoup en lisant cet ouvrage même si certaines affirmations d’ordre juridique qu’on y trouve sont sujettes à caution.
Le premier référendum examiné est celui d’Avignon, qui a fait passer la souveraineté sur ce territoire du Saint-Siège à la France sous l’autorité de la Constituante. La France a d’ailleurs donné l’exemple avec une demi-douzaine d’autres référendums à la fin du dix-huitième siècle, dont certains selon l’auteur étaient cependant d’une authenticité douteuse et servaient à masquer une annexion. Il demeure que l’idée de la souveraineté du peuple commence à ce moment historique à remplacer celle du monarque, et que l’usage du référendum, ou plébiscite comme on le disait souvent dans le passé, découle de ce renversement de perspective.
Le référendum disparaît ensuite de la pratique politique jusqu’aux révolutions démocratiques de 1848, qui inaugurent un quart de siècle pendant lequel près de trente référendums de souveraineté ont été tenus. C’est ainsi qu’à cette époque des entités dispersées ont été réunifiées pour former l’Italie, que certains États américains ont décidé de tenter de faire sécession et que les citoyens de Nouvelle-Écosse ont voulu pour un temps se séparer de la Confédération canadienne qui venait de naître. On voit que les référendums de souveraineté ne sont pas tous des référendums de séparation, destinés à faire naître un nouvel État. Il peut s’agir d’un référendum d’union, qui peut aussi former un nouvel État, mais le plus souvent rattache un territoire à un État existant.
Les autres temps forts de la pratique référendaire furent les deux après-guerres, principalement en Europe après la Première Guerre mondiale, hors de l’Europe après la Deuxième, notamment les référendums de souveraineté relatifs à la décolonisation. Enfin, une nouvelle ère référendaire s’est ouverte en 1990 avec la chute du communisme en Europe de l’Est et la fin de la guerre froide.
Du point de vue du Québec, on notera de ce survol la séparation pacifique de la Norvège et de la Suède en 1905 à la suite d’un référendum, l’indépendance de Malte acquise en 1964 par un vote de 50,7 %, le retrait du Groenland de l’Union européenne en 1982 (le seul à ce jour), et le référendum de 2009, du Groenland encore, qui accroît substantiellement son autonomie tout en ouvrant la voie à son indépendance.
La France et les États-Unis sont les deux puissances ayant recours le plus systématiquement au référendum de souveraineté pendant l’ensemble de la période 1791-2009. Cela est d’autant plus remarquable dans le cas de ces derniers qu’ils ne l’ont jamais employé sur leur territoire national, mais uniquement dans leurs possessions hors continent (Porto Rico, quatre fois, Palau à sept reprises !, les iles Marshall, Guam et Vierges).
Dans sa typologie, l’auteur distingue, avec force exemples à l’appui : le référendum décisif ou consultatif ; le référendum de séparation, d’union, de transfert ou de statuquo ; le référendum unilatéral, bilatéral ou communautaire ; le référendum d’offre ou de demande ; et enfin le référendum gouvernemental ou communautaire. Tous sont des référendums de souveraineté à ses yeux, car ils représentent l’exercice d’une démocratie directe qui exprime la souveraineté populaire sur un territoire sur le plan international. L’auteur exclut de cette typologie les référendums intérieurs, dont l’accroissement avec les années est toutefois beaucoup plus élevé.
Contrairement à ce qu’on pourrait s’attendre, les référendums de séparation n’échouent pas plus que les autres. Dans la période la plus récente, une dizaine de républiques l’utilisèrent au moment de l’éclatement de l’URSS pour former de nouveaux États. Trois États yougoslaves en firent autant, mais durent ensuite affronter une guerre civile. Le Timor oriental accéda à l’indépendance par voie référendaire en 1999 et le Monténégro en 2006. Dans ce dernier cas, la barre de 55 % fixée par l’Union européenne et la Serbie fut atteinte de justesse.
Le cas du Québec est une anomalie. Il fournit deux des trois cas recensés où la sécession n’a pas obtenu la majorité simple. Le troisième cas, celui de Chypre, est d’ailleurs moins clair puisque les deux communautés nationales ont voté séparément en 2004.
L’auteur estime que les chances de souveraineté sont fortement accrues par le soutien de tiers partis qui agissent soit comme allié soit comme arbitre. Il ajoute :
« Pour réussir à changer de souveraineté, il est essentiel d’avoir au moins un État ami, de préférence le souverain dont on se sépare ; et de préférence plusieurs amis voisins dont le rôle devrait croître à l’ère des blocs politiques régionaux. » (p.96)
Il exprime à plus d’une reprise dans son étude une prédilection pour des référendums zone par zone, afin de protéger les minorités parmi les minorités. Cette méthode a été utilisée une seule fois, semble-t-il, après la Première Guerre mondiale, pour des régions allemandes qui pouvaient choisir de se rattacher au Danemark. La région contigüe au Danemark a choisi ce dernier, mais l’autre, qui votait quelques semaines plus tard, a préféré l’Allemagne. L’auteur est d’avis que la sagesse des diplomates danois, qui avaient aussi renoncé d’avance à une troisième zone plus éloignée où ils avaient peu de chances de succès référendaire, leur a permis d’éviter de tout perdre. Une telle procédure mènerait à la partition des territoires concernés si elle était plus souvent appliquée. L’auteur n’y voit aucun inconvénient majeur et s’oppose à la règle de l’uti possidetis (expression romaine abrégée qui signifie dans sa version complète tu posséderas ce que tu as possédé), appliquée par le droit international pour maintenir tel quel le territoire du nouvel État souverain comme il existait à l’intérieur de l’État prédécesseur.
L’uti possidetis a été appliquée pour maintenir les frontières des États nouveaux issus de l’empire espagnol en Amérique latine au début du dix-neuvième siècle, les frontières africaines et asiatiques des États issus de la décolonisation, celles des États issus de l’ex-URSS, de l’ex-Tchécoslovaquie et de l’ex-Yougoslavie, dans ce dernier cas au prix de guerres sanglantes qui n’ont pas réussi à ébranler sa mise en oeuvre. C’est dire le prix qu’attache la communauté internationale au maintien de ce principe, qui a pour but de stabiliser la situation nouvelle créée par l’apparition d’un nouveau membre de cette communauté le plus rapidement possible. Cette sagesse des nations fut chèrement acquise, puisque dans les rares cas où cette règle ne fut pas suivie et où la partition a eu lieu, des conflits interminables ont pris naissance (Inde-Pakistan, particulièrement au Cachemire, Irlande, Palestine). Il est certain que le Québec souverain serait parfaitement justifié de réclamer le respect intégral de la règle maintes fois appliquée de l’uti possidetis afin de conserver la totalité de son territoire actuel.
D’autres affirmations à caractère juridique de l’auteur laissent songeur. Il écrit à la page 149 :
« Le droit international, comme le droit canadien, ne reconnaît pas la validité d’une déclaration d’indépendance. »
Dans son avis sur le Kosovo du 22 juillet 2010, la Cour internationale de Justice vient de nous rappeler le contraire pour ce qui est du droit international. Les déclarations d’indépendance unilatérales sont valides depuis au moins trois siècles, nous dit-elle, ce qui valide rétroactivement celle des États-Unis, pour ceux qui croyaient encore qu’elle devait se conformer au droit britannique de 1776. Le droit de l’État prédécesseur n’est pas pertinent pour évaluer la légalité internationale d’une déclaration d’indépendance unilatérale.
De plus, le résumé que fait l’auteur du Renvoi sur la sécession du Québec, un avis de la Cour suprême du Canada de 1998, est erroné. Il écrit, à la page 143, trois affirmations à ce sujet dans une seule phrase, dont deux sont fausses :
« Celle-ci répondit, en 1998, qu’une déclaration unilatérale d’indépendance n’était valide ni en droit canadien ni en droit international [faux, la Cour suprême a plutôt laissé entendre le contraire pour ce qui est du droit international], mais qu’un référendum de sécession créait des obligations d’engager des négociations qui pourraient mener à une sécession cependant qu’il n’y ait pas d’ambigüité concernant la question et le vote [vrai], ce dernier devant être jugé de façon qualitative et non seulement quantitative par la Chambre des communes avant d’être, en cas d’approbation par la Chambre, soumis à ratification constitutionnelle [faux, la Cour suprême n’a rien dit de tel, ces exigences se trouvant plutôt dans la Loi sur la clarté que l’avis de la Cour internationale de Justice sur le Kosovo dispense le Québec de respecter]. »
Sur la clarté de la question, l’auteur nous offre un exemple limpide, celui du Monténégro en 2006 :
« Voulez-vous que la république du Monténégro soit un État indépendant ayant pleine personnalité légale et internationale ? »
Quant à la question québécoise de 1995, maintes fois décriée, il estime tout de même que le contexte, l’envoi à chaque électeur d’un document explicatif et la campagne référendaire elle-même lui ont donné une clarté suffisante (p. 123). Rappelons qu’il n’existe aucun modèle uniforme de question pour un référendum de séparation sur le plan international.
Pour ce qui est de la majorité requise, l’auteur souligne que quinze seulement des 190 référendums recensés font exception à la règle de la majorité simple, et la plupart viennent de Palau (p. 131). Selon lui, rien ne justifie la généralisation d’une telle contrainte qui hausserait la barre à 55 ou 60 % (p. 140).
En conclusion, malgré quelques opinions juridiques contestables, l’étude du professeur Laponce est d’une grande pertinence et utilité pour quiconque s’intéresse à l’usage du référendum sur la souveraineté au Québec.
André Binette, avocat, L.L.M.
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