Après la police en général, puis l'escouade Marteau en particulier, puis l'unité anti-collusion Duchesneau, Jean Charest a sorti mardi un nouveau lapin de son casque de construction: une unité anticorruption permanente, comme New York vient d'en créer une.
Ce n'est pas une commission d'enquête, mais ça peut être une très bonne idée. Sauf qu'en ce moment, on ne sait pas encore si c'est un lapin ou un koala. Ce n'est qu'un ballon avec lequel il jongle, et qu'il a lancé pour distraire un lendemain de défaite électorale. On attend un projet détaillé.
Qu'en est-il de l'unité new-yorkaise? Le 20 octobre, le District Attorney de Manhattan (on pourrait dire le procureur-chef) a annoncé la création d'une unité anticorruption visant les employés de l'État. Une unité veillant à l'intégrité de l'État en permanence.
On a nommé un procureur d'expérience pour la superviser, et il aura sous ses ordres une escouade de police. On a créé une ligne téléphonique pour recevoir des plaintes. Le District Attorney a convaincu le printemps dernier les législateurs de l'État de renforcer les lois anticorruption, pour faire en sorte par exemple que les tentatives de corruption soient aussi sévèrement punies que les actes de corruption «réussis».
La nouvelle équipe va s'attaquer à la corruption à tous les niveaux gouvernementaux sur le territoire, des pots-de-vin aux violations de l'éthique en passant par les fraudes électorales.
Tout ceci est fort bien. Mais il faut savoir que cette nouvelle équipe n'arrive pas dans le vide. Elle fait partie du «Racket Bureau», un organisme créé... en 1938. (Comme quoi la corruption ne fait pas partie d'un modèle québécois, pour ceux qui seraient tentés de tirer des conclusions sociologiques.) Ce bureau enquête depuis trois quarts de siècle sur les systèmes d'escroquerie organisée. Une autre équipe du même bureau se penche spécifiquement sur le crime organisé. Une troisième enquête en permanence sur les fraudes dans l'industrie de la construction et dans les syndicats (eh oui, les mêmes causes produisent les mêmes effets).
Autrement dit, le District Attorney a déjà une expertise considérable sur les systèmes qui sont à l'oeuvre pour pervertir les appels d'offres, pour corrompre les employés de l'État et pour faire profiter différentes mafias. Bref, sur tout ce qui occupe l'actualité québécoise depuis deux ans.
On peut ajouter qu'il existe depuis très longtemps aux États-Unis des unités anticorruption mises sur pied par le gouvernement fédéral, dirigées par des procureurs aux dents longues et soutenues par des enquêteurs du FBI. Voir la chronique de Patrick Lagacé du 18 novembre, où il interviewait un ancien procureur fédéral.
Ce projet new-yorkais, qui n'a pas fait un bruit si énorme d'ailleurs, s'inscrit donc dans une culture juridique de lutte systématique et énergique contre la corruption. On y met des moyens sérieux et on obtient parfois des résultats spectaculaires... toujours à recommencer. Les mafias se désorganisent et se réorganisent au gré des délations et des rafles policières. Elles ne disparaissent pas.
L'idée est donc très bonne de créer au Québec un organisme permanent, doté de moyens sérieux et indépendant du gouvernement, qui enquêterait à tous les niveaux - pas seulement le municipal. Histoire de casser ces systèmes et d'exercer une surveillance constante. L'unité Duchesneau a déjà produit ses effets à la baisse sur les prix, à ce qu'on rapporte. Il n'y a rien comme la peur de se faire pincer.
Mais restons calmes: jusqu'ici, ce ne sont que des intentions annoncées mardi par un premier ministre en déficit de crédibilité. Il faudra voir quels moyens on lui donne.
Sinon, quoi? Verra-t-on Stephen Harper annoncer en janvier la création d'un bureau du procureur fédéral, épaulé par la GRC, pour lutter contre la corruption au Québec? Ce serait aussi humiliant que mérité!
Tout cela n'annule pas la pertinence d'une commission d'enquête. Ou, comme le suggérait le professeur Patrick Garant, une sorte de «super commission», un «holding» d'enquêtes sur ces divers sujets tous liés: financement politique, appels d'offres publics, construction, blanchiment, influence occulte, infiltration du crime organisé... Ce n'est pas du tout incompatible avec ces diverses unités.
Cette annonce faite en passant montre en tout cas que Jean Charest est résolu à ne pas créer de commission d'enquête publique. Ça montre également qu'il sent de plus en plus la pression populaire... et celle de son propre parti.
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