On avait rendez-vous au café du coin, tenu par une multinationale bien connue.
Deux militants de la CLASSE. L'un en philo, amateur de Goethe et de romantisme allemand. L'autre en sciences po. L'un d'une famille de professionnels, l'autre d'un milieu ouvrier. Il travaille dans Ville-Émard auprès des jeunes pour payer ses études.
Pas anarchistes, pas marxistes. Disons pour une social-démocratie plus sociale. Québec solidaire. Deux brillants.
Ils m'ont lu. On n'est pas d'accord sur la question des droits. Mais ce n'est pas de ça qu'ils voulaient parler.
C'est à propos de la violence dans les manifs... Vous vous trompez.
Ah bon. Pourtant, je n'arrête pas de faire la distinction entre le mouvement étudiant légitime et les casseurs...
Justement. Arrêtez de dire que les étudiants ne sont pas des casseurs. Arrêtez de dire qu'on est infiltrés. Remarquez, j'ai identifié des policiers déguisés en manifestants avec des gilets pare-balles, j'en ai sorti une couple... J'ai vu un gars prendre une roche, casser une vitre d'auto, je suis sûr qu'il était avec la police...
Mais ce n'est pas de ça que je parle. Je parle des vrais casseurs dans les manifs. Ils font partie du mouvement étudiant.»
Mais les associations n'arrêtent pas de dire qu'ils se dissocient ou n'approuvent pas, etc. La police nous dit que plusieurs ne sont même pas étudiants.
Il y a des anarchistes, il y a toutes sortes de monde, et le mouvement étudiant est très diversifié. Mais ne pensez pas que les casseurs sont une poignée isolée. Il y en a des centaines.»
Comme vous?
Moi, je n'ai rien lancé, je n'ai rien cassé, mais je suis avec eux. Je suis un casseur dans le coeur.
Vous pensez que la violence fait avancer votre cause?
Je pense qu'il faut de la perturbation, sinon il ne se passe rien. Il y a 200 000 personnes qui ont défilé pacifiquement au mois de mars dans les rues de Montréal. Et ça a donné quoi? Rien. Mais après la casse au Palais des congrès (pendant le Salon Plan Nord), les négociations sont devenues sérieuses.
Les gens parlent de Gandhi, du mouvement des droits civils aux États-Unis. Ce n'était pas seulement des parades. Il y a eu de l'action directe, du sabotage, du vandalisme...»
Vous n'êtes pas en train de comparer le colonialisme britannique en Inde ou la ségrégation raciale dans le sud des États-Unis à une augmentation des droits de scolarité, j'espère?
Non, c'est simplement pour poser la question: qu'est-ce que c'est, la violence? Casser la vitrine d'une banque? Moi, j'ai participé à 80 ou 90 manifs. Je n'ai rien brisé, mais j'en ai reçu, des coups de matraque. Ça, c'est de la violence. Avez-vous déjà reçu un coup de matraque, M. Boisvert?
Euh, pas récemment, non.
Ça fait très mal.
Vous attendez-vous à ce que les policiers laissent aller les émeutes?
À Victoriaville, les policiers ont commencé à tirer des balles de plastique quand on avait seulement ouvert les clôtures.
Dans quel pays pensez-vous que les policiers laisseraient des manifestants pénétrer un périmètre de sécurité derrière lequel se trouvent tous les membres du gouvernement?
En tout cas, c'est de la violence policière. Les policiers blessés l'ont été légèrement. Deux manifestants ont perdu un oeil depuis le début de la grève.
Mais qu'est-ce que la casse a donné?
Moi, je respecte ceux qui ne font rien, mais j'appuie ceux qui cassent. Pas le métro. Mais des cibles précises. L'armée. Les banques qui s'enrichissent avec nos prêts. Je suis à côté d'eux et je suis complice, j'assume ce que vous appelez de la violence. J'en prends la responsabilité.
Moi, au début, j'ai manifesté en chantant. On s'est déguisés. On a rigolé. Et on s'est fait poivrer. Je me suis radicalisé. On nous a félicités pour notre créativité, on disait: ah, les jeunes s'expriment, mais en fait, on n'a pas été entendus. Ce que les gens veulent, c'est une belle parade tranquille, et que tout le monde rentre sans faire de bruit.
Après 13 semaines, ma session est probablement foutue. Et je l'ai sacrifiée pour à peu près rien.»
Mais vous avez perdu la bataille de l'opinion publique. Les gens critiquent le gouvernement pour sa gestion, mais l'appuient de plus en plus sur le fond.
Ouais, l'opinion publique! Il y a ceux qui sont pour la hausse, ceux qui sont contre et, au milieu, la grosse masse molle de ceux qui s'en câlissent. Ça ne m'impressionne pas.
La majorité des associations a voté contre la grève.
La majorité, ça dépend. La majorité est quand même contre la hausse. De toute manière, on n'est plus là. C'est beaucoup plus large, comme combat. On n'est pas révolutionnaires. Mais on veut une vraie social-démocratie. Ce n'est pas la majorité qui amène les changements dans une société.
Mais ce n'est pas parce qu'un combat dure qu'il doit être victorieux. Mettons que vous avez perdu à court terme, vous faites quoi? La grève éternelle?
C'est vous qui le dites, qu'on a perdu. Nous, on n'en est pas là.
Le ton était pédagogique plus qu'idéologique. Ils en ont marre, en fait, du paternalisme médiatique qui cherche à tout prix à départager les «bons étudiants manifestants légitimes» des têtes brûlées.
Deux gars pas bêtes, disais-je. Et en plus ils ont payé le café.
Casseurs civilisés.
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