Ce n'est pas vraiment qu'il voudrait le pouvoir: il l'a eu et l'a abandonné, un certain jour de mars, il y a 11 ans.
C'est juste que certains matins... il ferait tellement les choses autrement!
Il n'ira jamais dire que Jean Charest mène mal sa barque. Mais quand Lucien Bouchard dit que «les Québécois veulent avoir un rapport affectif avec leur premier ministre», il ne parle pas de celui qui occupe le poste aujourd'hui.
En 1978, il négociait les conventions collectives du secteur public pour le gouvernement. Il avait été imposé comme avocat négociateur par René Lévesque contre la volonté de Jacques Parizeau.
«On n'avait pas commencé encore que la Fédération des affaires sociales (l'aile la plus militante de la CSN) a déclenché une grève illégale. Le soir même, René Lévesque a fait une déclaration à la télévision; le lendemain, la grève était finie: les gens avaient écouté leur premier ministre.»
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Je l'avais vu l'an dernier, quand il a été nommé président de l'Association pétrolière et gazière du Québec. La mère de ses enfants, Audrey Best, venait de mourir. D'anciens compagnons d'armes lui reprochaient de s'associer à une industrie honnie. Il avait les traits tirés, l'air sombre et épuisé.
Hier, au 26e étage de la tour où loge la firme d'avocats Davies, il avait repris ses couleurs et sa forme.
Je me demandais quel ton emploierait l'ancien premier ministre. Il est capable d'emportements légendaires. Depuis des années qu'il plaide pour le redressement du financement universitaire par une hausse des droits de scolarité bien plus radicale... On ne le connaît pas non plus comme un amateur de désordre social.
Il était plutôt paternel, un brin secoué.
«Les étudiants devraient prendre ce qu'il y a sur la table, ils ont gagné! Jusqu'à un revenu familial de 60000$ environ, les étudiants ne subiront pas la hausse, et jusqu'à 45000$ par année, ils bénéficieront d'un avantage. Le financement est amélioré pour tout le monde et le remboursement proportionnel au revenu est aussi un gain important.
«Si le mouvement continue, c'est qu'il y a bien d'autres ingrédients que le financement des universités et la contribution des étudiants, pense-t-il. Le manifeste des 200 personnalités pour un moratoire le montre bien: c'est un débat politique qui inclut les redevances sur les ressources naturelles, le Plan Nord, le gaz de schiste, etc.
«Le gouvernement ne l'a pas vu venir, comme moi et bien d'autres. Je pensais que ce serait un épisode traditionnel qui se résorberait. De toute évidence, il y a un grand malaise à l'endroit des élus et des institutions, et ça, c'est très inquiétant. Mais la manière de le résoudre, c'est par l'action politique, pas par la désobéissance civile (dont se réclame la CLASSE).»
Le refus d'obéir aux lois, dit-il, ne se justifie que dans des cas extrêmes de dictature ou de régimes racistes, etc. «Ce n'est pas le Québec! Qu'il y ait des élections pour éclaircir le paysage politique, mais pas en pleine crise! Rien ne justifie de perdre un trimestre en ce moment.»
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Vous semblez vous être campé dans un rôle de défenseur de l'ordre établi, qui surgit en période de crise quand le leadership politique fait défaut, lui dis-je.
«Oui je crois à l'ordre, c'est une des fonctions essentielles d'un gouvernement: le maintenir dans un encadrement démocratique. Les syndicats les premiers ont besoin de la protection de la loi. Ce n'est pas appuyer le gouvernement libéral de dire ça, je parle de l'institution démocratique et des droits fondamentaux.
«En 1995, on a viré le Canada de bord, on a attiré l'attention du monde entier pour se découper un pays à l'intérieur du Canada. Les enjeux étaient énormes et, pourtant, il n'y a pas eu un seul incident violent, pas une manifestation n'a mal tourné.
«On a été capables de débattre d'enjeux aussi déchirants dans la paix civique. Et pour les droits de scolarité, on ne serait pas capables? Le problème est ailleurs.»
Quant au gaz de schiste, quand je lui en parle, il répond nonchalamment qu'«il ne se passe rien et il ne se passera rien avant deux, trois ans», le temps que l'évaluation environnementale soit finie. Il ne voit pas en quoi son implication le disqualifierait: «J'ai fait sept campagnes électorales et référendaires, donné les 10 meilleures années de ma vie active à la politique, je suis redevenu ce que j'étais, un avocat d'affaires. Qu'on ne vienne pas me faire la morale: je suis un ancien ministre de l'Environnement. J'ai dit qu'il fallait discipliner l'industrie et elle l'accepte. Mais pendant ce temps, le président Obama vante les 60 0000 emplois américains créés dans le gaz.»
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Comment voit-il cette génération, qui monte au front politique pour la première fois?
«À l'âge que j'ai (73 ans), plus ça va, plus je les aime, les jeunes. Les aimer, ce n'est pas les flatter dans le sens du poil. On peut fonder beaucoup d'espérances sur eux. Mais ce qui se passe me fait mal, parce que ça risque de se retourner contre eux et de miner leur rapport aux institutions.»
Ses deux fils, dont il a suivi l'éducation de très près (quitte à interrompre une réunion du Conseil des ministres pour régler un problème de maths au téléphone avec l'aide du président du Conseil du Trésor), finissent leur trimestre en droit et en finances à McGill. Ils ont plusieurs amis en grève, et les discussions sont animées chez les Bouchard.
«Je croyais que les étudiants étaient plutôt individualistes et désengagés. Si ça veut dire que les jeunes vont renouveler la vie politique, c'est positif. Ils ne se sentent pas écoutés. «Si je m'implique, c'est en pensant à mon père, qui était camionneur, qui savait à peine écrire son nom, qui a insisté pour nous instruire (ses trois frères ont un doctorat), et à tous les gains que le Québec a faits en misant sur l'éducation; je veux que les talents soient développés par les meilleures études, les meilleurs diplômes. Quand je rêve de retourner en politique, ce n'est pas comme premier ministre.»
Ah non? Comme quoi, alors?
«Ministre de l'Éducation!»
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