Le gouvernement Couillard a beau prétendre qu'il ne vise pas spécifiquement le couple Julie Snyder et Pierre Karl Péladeau avec la suspension des crédits d'impôts aux Productions J, le jupon dépasse trop pour croire en cette soudaine profession de foi en faveur d'une plus grande équité. S'il se préoccupait tant d'équité, M. Couillard commencerait par faire le ménage dans sa cour et se mettrait à l'ouvrage pour empêcher l'évasion des capitaux vers les paradis fiscaux, pour relancer l'économie et chercher le plein emploi, sans couper comme il le fait honteusement dans tous les secteurs de l'activité économique, culturelle et sociale.
Pour justifier cette suspension des crédits d'impôts aux Productions J, le premier ministre dit répondre à certaines plaintes «de la part de producteurs indépendants mécontents». Pourtant, comme l'affirme sa porte-parole Sophie Dufort, en aucun temps l'Association québécoise de la production médiatique (AQPM) a adressé au gouvernement une quelconque doléance de ses membres à l'effet que la compagnie de Julie Snyder bénéficierait de conditions avantageuses par rapports à ses compétiteurs. Elle considère que Productions J est une boîte indépendante au sens des statuts.
Transposons cette situation dans un autre secteur culturel, celui de la grande chaîne du livre. Les éditeurs de livres du Québec, les éditeurs agréés au terme de la Loi 51, reçoivent tous des crédits d'impôts s'ils en font la demande. C'est compliqué, il faut embaucher un comptable, mais tous y ont droit. Là aussi, il existe des liens très étroits entre certaines maisons d'édition et leurs diffuseurs. On pensera aussitôt aux maisons d'édition du groupe Québecor, qui sont toutes distribuées par l'Agence de distribution populaire (ADP), propriété également de Québecor. L'ADP distribue aussi d'autres éditeurs qui ne sont pas la propriété de Québecor.
Mais il y aussi la maison d'édition Boréal, qui est liée, par actions, à son distributeur Dimédia. Pascal Assathiany est le directeur général du Boréal et il siège également au conseil d'administration du distributeur de livres Dimédia. Il a deux chapeaux, comme on dit. On peut penser que les nombreuses maisons d'édition qui sont distribuées par Dimédia se sentent lésées et désavantagées en raison des liens étroits qui unissent Boréal à Dimédia. Cela peut se traduire, pour Boréal, par une meilleure visibilité en librairie, une meilleure couverture dans les médias, un meilleur service dans le réapprovisionnement en librairie, de meilleures conditions de ristournes, etc. Cela favorise aussi l'arrivée d'auteurs de prestige. Je ne dis pas que c'est le cas, mais je sais, pour avoir été éditeur pendant vingt-cinq ans et pour avoir été distribué par ADP, Dimédia et Prologue, que cela se chuchote dans le milieu, que cela nourrit la calomnie, comme on dit familièrement.
Que devraient faire les éditeurs qui se croient ainsi lésés? Se plaindre au gouvernement pour le presser de couper les crédits d'impôts à la maison d'édition Boréal, sous prétexte que celle-ci entretient des liens incestueux avec son distributeur et qu'il y a manifestement «conflit d'intérêts»? Si le gouvernement du Québec, à travers la SODEC, lui coupait les crédits d'impôts, la maison Boréal survivrait de toute façon, car tout le monde sait que cette maison est une des plus importantes, des mieux nanties, qu'elle l'était même avant la création du programme de crédits d'impôts, et qu'elle est bien appuyée par son distributeur, qui lui-même entretient des liens étroits avec la maison d'édition française Le Seuil.
Mais est-ce une raison pour vouloir sa perte? Non, pas du tout. Boréal a droit aux crédits d'impôt au même titre que les autres maisons d'édition qui satisfont à la Loi 51 sur la propriété 100 % québécoise. Il n'y a pas plus de conflit d'intérêts entre Boréal et Dimédia qu'il n'y en a entre les Productions J et Québécor. Le directeur général du Boréal serait marié à une soi-disant actionnaire de Dimédia qu'il n'y en aurait pas plus.
Affirmer comme le fait Nathalie Petrowski, dans sa récente chronique publiée dans La Presse cette semaine, que Julie Snyder veut le beurre et l'argent du beurre relève de la bêtise et du cliché le plus insignifiant. Lorsqu'elle négocie son contrat d'édition avec son éditeur ou son contrat avec un producteur pour l'adaptation de son roman au cinéma, je doute fort que la journaliste n'exige pas le maximum, c'est-à-dire le beurre et l'argent du beurre. Petrowski ajoute, entre autres bêtises: «En passant, les académiciens logeaient dans le vaste domaine familial de son conjoint. Si ce n'est pas une belle preuve des liens étroits et de codépendance entre la productrice et son conjoint, c'est quoi, je vous le demande?» Que Denys Arcand ait tourné Le déclin de l'empire américain dans la magnifique maison de campagne de son ami Daniel Latouche, sur les bords du non moins magnifique lac Memphrémagog, ça prouve quoi, Nathalie?
Une chose est sûre: il y aura toujours des jaloux pour souhaiter la mort d'un concurrent, en l'accusant de tous les maux. Tous ces ragots, ces méchancetés, voire ces propos haineux à la limite de la diffamation qu'on peut lire actuellement sur les réseaux sociaux à propos d'une femme qui a du cran et qui a réussi à s'imposer dans un monde d'homme relèvent de la plus pure mesquinerie et de la bêtise crasse. J'ai honte.
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