Jacques Parizeau est décédé il y a quelques jours. Il représentait le père que j'aurais aimé avoir. Il m'inspirait confiance et je l'aurais suivi partout dans son combat pour faire du Québec notre pays. J'ai d'ailleurs repris ma carte du Parti québécois, sur les conseils de Gaston Miron, lors d'un salon du livre, lorsque Jacques Parizeau a été élu à la tête du PQ. Je m'en souviens très bien. Le poète magnifique passait d'un stand à un autre pour nous demander de signer notre carte d'adhésion au PQ car avec Parizeau, le combat pour le pays allait reprendre. Nous étions désormais confiants.
J'ai rencontré Jacques Parizeau à quelques reprises. La dernière fois, ce fut pour l'interviewer à propos de son ami Yves Michaud dont je rédigeais la biographie. C'était il y a deux ans. Il m'avait donné rendez-vous chez lui, à l'Île des sœurs. J'avoue que j'étais impressionné, même si ce n'était pas la première fois que je le rencontrais en tête à tête. Il m'avait demandé de lui envoyer mes questions préalablement, afin qu'il puisse se rafraîchir la mémoire. Il avait quatre-vingt-deux ans et Yves Michaud en avait tout autant. Notre rencontre a duré un peu plus d'une heure trente.
M. Parizeau s'était très bien préparé et il avait bonne mémoire. Il m'avait d'abord raconté comment il avait connu Michaud et surtout comment, en 1971, pendant la campagne électorale pour les élections partielles, dans la circonscription de Chambly, rebaptisée Laporte à la suite de la mort du ministre Pierre Laporte, il avait fait appel à Yves Michaud, qu'on savait très près de Robert Bourassa mais qui avait adhéré à l'option souverainiste de son ami René Lévesque. Yves Michaud devait à tout prix empêcher une basse manœuvre du PLQ et intervenir auprès du premier ministre.
Pierre Marois se présentait pour le Parti québécois et les stratèges du parti avaient préféré ne pas organiser de grands meetings, craignant des actes de provocation de la part de la police. Il faut dire que la Loi des mesures de guerre prévalait toujours et que les membres de la cellule Chénier n'avaient pas encore été arrêtés. Le climat était donc des plus tendu. On a donc décidé de tenir plutôt des assemblées de cuisine. Il y en eut soixante-huit, se rappelle Jacques Parizeau. Et celui-ci s'y est prêté. Peut-on imaginer ce personnage aux allures aristocratiques, qu'on disait distant et froid, frapper aux portes pour tenter de convaincre les électeurs de voter pour son parti? La stratégie fonctionna si bien que le PQ évita tout de même un balayage, avec un gros 35 % des votes, alors qu'aux élections générales de l'année précédente, le PQ n'avait récolté que 23 %.
Après la défaite électorale de 1973, Lévesque, Michaud et Parizeau se retrouvent, vers minuit, au Bouvillon, un bar situé près de l'Université de Montréal, pour faire le post-mortem de ces élections. C'est alors que surgit l'idée de lancer un journal indépendantiste. Jacques Parizeau tient alors une chronique hebdomadaire dans le journal Québec Presse, dirigé par Gérald Godin. Le Jour naîtra quelques mois plus tard, avec ce triumvirat inhabituel à sa tête. Les derniers moments du quotidien indépendantiste seront extrêmement désagréables, aux dires de Jacques Parizeau. «Il y avait des gens, à l'intérieur de la salle de rédaction, qui nous dénigraient systématiquement. Nous trois, Lévesque, Michaud et moi, devions bien souvent emprunter de l'argent à la banque pour assurer les paies des employés et on se faisait cracher au visage. C'était insupportable.» Pour Parizeau, néanmoins, ce fut une belle expérience. «Pour moi, c'était quelque chose de totalement nouveau. Il fallait monter dans les camions pour assurer la livraison du journal à temps. C'est ainsi que j'ai développé une belle amitié avec Michaud.»
Sur Claude Morin, il a longuement hésité à me répondre. Il m'a raconté comment ils se sont rencontrés, en 1962, alors qu'il travaillait au cabinet de Jean Lesage. Il avait son bureau tout près de celui de Claude Morin. Sa secrétaire était la sœur de Morin et elle l'a quitté pour épouser Félix Leclerc. «On est rapidement devenu des frères d'armes. [...] Quand j'ai appris, alors que j'étais chef de l'opposition, qu'il était sur la liste de paye de la police depuis des années, j'ai eu comme un coup au cœur. Je n'en suis jamais tout à fait revenu. Ça m'a bouleversé. Cela étant dit, c'est un homme brillant, intelligent, c'est un des vrais artisans de la Révolution tranquille. Mais dès que j'ai appris ce que j'ai appris, j'ai coupé avec lui.» Il n'a pas voulu aller plus loin sur ce propos.
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