Professeur associé à l’Institut d’études européennes de l’Université Paris 8, Jacques Nikonoff évoque les dangers que le TAFTA représente pour l’économie européenne.
C’est lors de la réunion du G8 qui s’est tenue à Lough Erne, en Irlande du Nord, les 17 et 18 juin 2013, que les négociations ont été lancées officiellement pour aboutir à un Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI), Transatlantic Trade & Investment Partnership (TTIP) en anglais, ou encore Trans-Atlantic Free Trade Agreement (TAFTA). Quelques jours avant, à Luxembourg, dans une opacité totale, les ministres du Commerce des Vingt-Sept avaient adopté le mandat à confier à la Commission européenne pour conduire les négociations au nom de l’Union européenne. Il n’y aurait rien à redire si ces négociations entre les États-Unis d’Amérique et l’Union européenne avaient pour objectif de rapprocher les peuples des deux côtés de l’océan. Un tel partenariat, s’il avait pour ambition de construire la paix, d’améliorer la prospérité générale, de s’attaquer radicalement aux désastres environnementaux, d’établir des normes de haut niveau en matière de protection sociale, d’éradiquer définitivement le chômage et la précarité, et donc la pauvreté, susciterait un enthousiasme universel. Il serait un exemple pour le reste du monde.
Hélas, non seulement il ne s’agit pas du tout de cela, mais de l’inverse. La décision prise en Irlande les 17 et 18 juin 2013 est monstrueuse à tous égards. Il s’agit ni plus ni moins de mettre en place un empire euro-atlantique pour restaurer le leadership mondial des États-Unis, de privatiser le droit et la justice en les remettant dans les mains des firmes multinationales, anéantissant ainsi la démocratie, de parachever le libre-dumping qui met en concurrence les travailleurs des différents pays et n’est profitable qu’aux très grandes entreprises. Les grands médias occidentaux évoquent un accord de «libre-échange». Bien sûr, la composante libre-échangiste est présente (parlons plutôt de «libre-dumping» pour ne pas salir les jolis mots de «libre» et d’ «échange»), mais elle est loin d’être l’essentiel. Derrière la perspective impérialiste des États-Unis il y a, pour la consolider, la volonté de s’attaquer principalement aux «barrières non-tarifaires» que sont les normes sociales, environnementales, alimentaires, techniques, etc. Car en matière de droits de douane, il n’y a plus grand-chose à gratter.
C’est un tournant de la géopolitique mondiale qui est train de s’amorcer sous nos yeux, c’est un «OTAN économique» qui se met en place. Ce projet ne date pas d’hier et résulte d’une série d’étapes aisément traçables depuis la création de l’OTAN en 1949 et du Marché commun en 1957. Le PTCI (TAFTA) est le résultat direct d’un intense travail mené par les lobbies américains et européens, financés par les grands groupes industriels, de services ou financiers. Les plus actifs ont été les chambres américaines de commerce, le Transatlantic Business Council (TBC) et le Transatlantic Policy Network (TPN). Ce dernier est composé pour moitié de représentants des firmes multinationales surtout américaines comme AT&T, BASF, Bayer, Dow Chemical, Hewlett Packard, Nestlé, Time Warner, Walt Disney Company, etc. L’autre moitié est composée de 60 députés européens et d’élus du congrès des États-Unis. Une partie du monde politique, manifestement, n’a pas été insensible aux «arguments» de ces lobbies. Ainsi 8% des parlementaires européens sont membres du Transatlantic Policy Network…
Il est vrai que les intérêts en jeu sont considérables. Les États-Unis et l’Union européenne comptent pour presque la moitié du PIB mondial et 30% du commerce international. Selon le «mémo» 13/95 du 13 février 2013 de la Commission européenne, «les relations commerciales transatlantiques constituent l’épine dorsale de l’économie mondiale».
Le PTCI aborde trois sujets : d’abord «les règles, les principes et les nouveaux modes de coopération permettant de répondre aux défis partagés et aux opportunités communes du commerce mondial» ; ensuite «les questions de réglementation et les obstacles non tarifaires» ; et enfin «l’accès au marché».
Au total le PTCI vise à redonner le leadership mondial aux États-Unis en faisant de l’Union européenne son arrière-cour. Si par malheur cet accord était conclu, une nouvelle vague de libéralisation destructrice s’abattrait sur la planète. La lutte contre cet accord ne doit pas se limiter à la revendication de l’ «exception culturelle». Elle doit se fixer pour perspective d’empêcher la conclusion de cet accord, dans son intégralité, et de construire un ordre mondial fondé sur la coopération entre les peuples dans le respect de leur souveraineté nationale.
Malheureusement, à l’issue du 10e cycle de négociations qui vient de se terminer, le Parlement européen, sans surprise, a donné son feu vert. Ce qui fait dire à Madame Malmström, commissaire européen au Commerce, que l’accord pourrait être signé à l’été 2016. Cela laisse encore un an pour le faire capoter…
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