Pendant tout le débat, mercredi, à l'Assemblée nationale, j'ai attendu mon dissident. Jusqu'au moment du vote en fin de journée, j'ai espéré qu'un libéral (ou UNE, ç'aurait été encore plus formidable) se lève pour voter avec l'opposition, contre son chef, pour le principe de nier cette unanimité qui est bien plus inquiétante que rassurante. J'ai attendu pour rien. Un seul dissident n'aurait pratiquement rien changé au résultat du vote, mais il aurait affirmé la capacité des députés libéraux de réfléchir par eux-mêmes et de reconnaître aussi que les citoyens existent toujours pour eux. Ça n'a pas eu lieu.
Nous avons plutôt assisté à l'incroyable robotisation des cerveaux et à la soumission totale d'un troupeau de moutons devant le rouleau compresseur. Le spectacle était assez triste. Chaque fois que le Québec se fait marcher dessus, Jean Charest affiche son sourire triomphant.
Il m'est arrivé, au cours de ma vie, d'avoir à défendre le droit à la dissidence. Je crois profondément qu'un élu, qui n'est au fond qu'un «délégué» de la population qui l'a choisi pour défendre ses intérêts, sera probablement forcé de se désolidariser de son parti quand ce parti ne va pas dans le sens des intérêts de ses commettants. Ou encore, quand sa propre conscience lui dictera un choix qui n'est pas celui de son parti. La dissidence doit alors pouvoir s'exprimer en toute liberté. C'est aussi ça, la démocratie.
C'est en voyant le comportement des libéraux mercredi que j'ai formulé ma pensée autrement. Non seulement faut-il respecter le droit à la dissidence, mais il faut parfois favoriser le devoir de dissidence. Il est impossible qu'avec les informations que nous possédons depuis un an, 61 libéraux aient voté d'un seul bloc, de gaieté de coeur. C'est difficile à croire.
Pas un seul dissident ne s'est levé. Aucun doute n'a été exprimé. Jean Charest était la saveur du jour. Je n'ai pas compté les coups d'encensoir, mais il y en a eu beaucoup. J'ai eu une bonne pensée pour monsieur Martin Drapeau, le dernier militant libéral dissident que j'aie vu, abandonné, seul au milieu des 500 délégués de la fin de semaine dernière alors que pas une seule personne n'a eu le courage d'appuyer une motion qu'il voulait qu'on débatte sur la possibilité de tenir une commission d'enquête publique. Le silence de cette foule était tonitruant.
Je crois me souvenir que les choses sont bien différentes au Parti québécois, où les dissidents sont parfois si nombreux qu'ils forment presque la majorité. Les débats y sont longs et compliqués, et ça finit toujours par ressembler à des chicanes. Mais l'opinion de chacun peut s'exprimer. Ça fait toujours rire Jean Charest, qui dit que c'est un parti de chicane. Pour ma part, j'aime mieux ça qu'un parti de silence. Chacun ses goûts.
Mercredi, quand ma pensée s'est mise à vagabonder, j'ai d'abord revu cette formidable image qui a fait le tour du monde il y a quelques années. C'était sur la place Tian'anmen à Pékin. Un dissident chinois, seul devant un char d'assaut à jouer sa vie pour arrêter le carnage. J'ai pensé aussi à Liu Xiaobo, le Prix Nobel de la paix 2010, dont la dissidence sert de flambeau pour trouver une voie pour le peuple chinois. J'ai pensé à Aung San Suu Kyi, la dissidente à qui le gouvernement de Birmanie laisse à peine assez d'espace pour respirer, mais qui représente l'espoir pour tout un peuple. J'ai pensé à Nelson Mandela... j'ai fini par admettre qu'il n'y aurait pas de dissidence chez les libéraux. Le courage ne fait pas partie de leur ADN.
Ce matin, 81 % des Québécois réclament encore une commission d'enquête. Ils veulent comprendre comment ce qui leur arrive a été possible, ils veulent savoir non seulement qui sont les coupables, mais qui sont aussi les complices. Ils ont un profond besoin d'y voir clair, de démêler le vrai du faux et ils sont prêts à en accepter les conséquences.
Autrement, si ça ne se fait pas de façon officielle, les citoyens vont être de plus en plus méfiants et la société québécoise va se figer complètement, incapable d'avancer d'un pas dans quelque dossier que ce soit. Les Québécois ont le sentiment qu'on a tellement abusé d'eux, qu'on les a si souvent trompés qu'ils ne doivent plus faire confiance à personne. Il faudra du temps et il faudra espérer que le peuple ne mette pas tout le monde dans le même panier. Ce qui serait une grave erreur.
La relation entre le peuple et ses élus, entre le peuple et ses dirigeants, entre le peuple et ses élites est à rebâtir entièrement. Il faudra de la patience et du temps. Au bout du compte, notre seule consolation, c'est de penser que les Québécois ont plus appris sur le fonctionnement de leur société au cours de la dernière année que depuis fort longtemps. Pour le moment, ils sont plus cyniques, mais ils sont aussi plus engagés.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé