Le 27 mai 1980,
Aux gens de mon pays,
J’entends ici exprimer ma vive indignation suite à l’expérience quelque peu pénible que j’ai vécue le jour du référendum.
Non! Malgré mon obstination à me prévaloir de ces droits supposément essentiels au bon fonctionnement de notre démocratie, je n’ai pu voter!
Voici pourquoi. En janvier 80, je quitte Touraine (Gatineau) pour Hull. Le 30 avril 1980, obéissant fidèlement à la publicité, je me présente au bureau de dépôt le plus près de chez moi pour remplir les formulaires 17 et 18, soit la DEMANDE PERSONNELLE D’INSCRIPTION et la DEMANDE PERSONNELLE DE RADIATION.
Depuis le 30 avril 80, plus rien, même pas une note m’informant de l’endroit où je dois me présenter pour voter. Le 16 mai, je téléphone au comité du OUI pour obtenir le renseignement en question.
Le 20 mai, je me présente tôt, papiers en règle (et en main) au lieu du vote mentionné par le comité du OUI. J’y ai la désagréable surprise d’apprendre que mon nom n’est pas inscrit sur la liste électorale et qu’en conséquence, je ne peux pas voter. Dans ma grande naïveté, je crois pouvoir me tirer de cette situation en allant voir le président des élections de Hull. Je me trompais!
Je précise que ce monsieur me reçoit avec une humeur d’ours mal léché. Il ya de quoi : nous sommes deux à le consulter sur le même problème et il n’est que 10 heures! Sa réponse est nette : Je ne peux rien faire pour vous. Suite à ma colère, il m’envoie paître.
De son bureau, je téléphone alors au bureau du président des élections de Gatineau. Miracle! Il semble que je sois victime d’une double erreur : je suis encore inscrite sur la liste de Gatineau. De Hull, je file à Gatineau… Vous devinez bien sûr la vérité : mon nom était bel et bien radié de cette liste électorale et je n’étais pas victime d’une double erreur.
De Gatineau, je repars, cette fois-ci, voir le président des élections de cette ville, dont le bureau, chose étonnante, est à 15 milles de la ville de Touraine! Là-bas, même réponse : Je ne peux rien faire pour vous, vous n’avez pas le droit de vote et pour agrémenter le tout, cela dit sur un ton on ne peut plus égal à celui utilisé par le président de Hull. Bref, il est 11h30 et je constate, après deux heures de démarches inutiles et la larme à l’œil, que je ne peux absolument pas voter. L’article 246 de la loi sur les consultations populaires est formel : pas de nom sur la liste, pas de droit de vote.
À 13 heures, je reprends espoir, me dis que tout n’est pas perdu et je téléphone au comité du OUI. Je parle à un conseiller juridique. Ce dernier m’apprend que nous sommes environ une quinzaine à vivre cette situation. Au comité du OUI, on tente de joindre le directeur général des élections à Québec afin d’avoir son approbation pour faire voter les personnes dans mon cas. À 15h30, je retéléphone à ce même conseiller. Aucun espoir possible, toujours la même réponse : pas de droit de vote.
Ce jour-là, j’ai fait de nombreuses démarches pour pouvoir voter. Cette lettre ne constitue, en somme, que le dernier cri d’une démocrate frustrée.
Je termine en disant que je suis en droit de me poser les questions suivantes : Pourquoi mon nom a-t-il été radié mais pas réinscrit? Qui a fait l’erreur, si erreur il y a eu? Est-ce le bureau de dépôt? Le bureau des révisions? Je n’en sais rien et j’imagine facilement que jamais personne ne le saura.
J’ajoute que je veux dire aux tenants du OUI que ce jour-là, nous avons perdu un vote.
***
Le 13 juin 2011
J’ai mal à mon pays
Je suis si fatiguée de cet envahisseur : il se croit tout permis. On l’entend arriver à des kilomètres à la ronde : il crie, hurle. Il se comporte sans cesse comme le maître de céans.
Je suis le maître, l’envahisseur, ne cesse-t-il de proclamer!
Il nous regarde de haut avec l’envie évidente de nous cracher dessus.
Je suis fatiguée de cet envahisseur qui profite sans vergogne du quartier que j’aimais tant et qui est un quartier désormais devenu quartier ex-francophone.
Je vous parle du Centre-Sud de Montréal – circonscription – fédéralement parlant – Ville-Marie – eh oui, celle-là même où Gilles Duceppe dut manger une cuisante défaite!
Je me suis installée en juin 1981 – Ça fait tout un bail! Or, j’y ai récemment entendu cette expression : Moi, je suis franglophone. Horreur! Même dans ce mot, l’envahisseur reste omniprésent.
Revenons à ce quartier qu’est le Centre-Sud. Quelle transformation depuis 30 ans! Les alcooliques de l’époque ont dû, au fil des ans, céder la (ou leur) place à ces individus venus d’un pays appelé CANADA : nommons les viles sans peur : Toronto (la reine), Vancouver (la speak white), Calgary (la pétrolière), et comment qualifier Halifax ? (les méduses dans la mer?)
Le Québec ouvre gentiment ses bras. Les gentils envahis restent silencieux!
Et voilà que ceux qui faisaient la manche, dans la langue de Molière, se font à jamais damer le pion par ceux qui quémandent dans la langue de Shakespeare. Aucune barrière ne sait ou ne saura arrêter leur audace : de vrais chats sautant la clôture du Québec, griffes toutes ouvertes et à l’affût d’un gibier franco!
Depuis début 2011, lors de mes sorties, j’affiche, fièrement provocante, mon macaron sur lequel on lit : PARLEZ-MOI FRANÇAIS
Soit on m’en félicite, soit on m’insulte, soit on me dit : Vous avez du culot, vous! ou : J’aimerais avoir votre culot!
Tous les Québécois devraient un jour lire, sinon relire, le texte de Félix Leclerc, petit bijou intitulé Interdire la langue :
Oui, je suis bilingue ;
Ce n’est pas à l’école primaire que j’ai appris l’anglais
mais dans les rues d’Ottawa et à l’âge de 15 ans.
C’est une mauvaise partance pour l’enfant anglais ou français,
(suffisante pour l’écœurer à tout jamais)
que de lui inculquer deux langues à l’école primaire.
Que chacun baigne dans sa langue maternelle jusqu’à
l’âge de 15 ans, s’il veut la bien posséder.
Une langue seconde s’apprend en six mois
dans une ville étrangère
quand on a l’âge de 17 ans et le goût de la parler.
C’est faux des bilingues à 8 ans, ce sont des baragouineux.
La langue, c’est comme un instrument de musique,
celui qui les joue tous, les joue mal.
Celui qui n’en joue qu’un seul le joue bien.
Nous avions la Loi 101 comme protection et survie.
Où est-elle rendue ?
la Loi 101 reconnaissait le français
la seule langue officielle au Québec,
comme la langue américaine est reconnue
la seule langue officielle aux États-Unis,
(ce qui ne les empêche pas d’en parler 5).
la Loi 101 criait aux deux Amériques
ce qu’on leur cachait depuis des siècles,
qu’une Nouvelle-France existait à leur porte.
la Loi 101 disait à l’univers que les Québécois
étaient l’un des deux peuples fondateurs du Canada.
la Loi 101 me faisait marcher librement et partout
dans le Québec, comme si j’avais été chez moi.
la Loi 101 disait à l’immigrant
arrivant ici en terre d’accueil,
que le français était la langue du Québec
contrairement à ce que la propagande d’Ottawa
leur avait appris avant leur départ,
que nous étions tous anglais.
Afficher et parler notre langue à l’usine, à l’école,
à la douane, au restaurant, au forum, au magasin, partout,
était une affaire entendue et acceptée par la minorité
anglaise du Québec, qui avait fini par comprendre
qu’enfin décolonisés, nous avions une langue maternelle,
et surtout que nous apportions, (parce que différents)
une richesse incalculable au Canada entier.
Hélas,
il aura fallu que quelques arrivistes,
Canadiens-français de surcroît,
vendent pour un plat de lentilles (de votes)
notre droit d’aînesse en Amérique.
Est-ce que tout serait à recommencer
à cause de quelques magasiniers
qui échangent
trafiquent
vendent
trois siècles d’histoire pour quelques heures de pouvoir ?
Et si on donnait désormais à la rue Amherst le nom de ce musicien génial et récemment décédé, monument québécois à jamais disparu, soit celui de Claude Léveillée et pourquoi ne pas changer le nom de la rue Wolfe en celui de la rue Pierre Falardeau ?
Faisons d’une pierre deux coups, c’est-à-dire, deux rues parallèles.
Sachons pour de bon monter aux barricades !
OUI, j’ai mal à mon pays mais surtout, j’ai mal à ma langue maternelle.
Marthe Prévost
Comme je n’ai pas Internet, vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante :
1103, rue Amherst
Montréal, État du Québec
H2L 3K6
J'ai mal à mon pays
31 ans plus tard, la bataille se poursuit encore…
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1 commentaire
Nicole Hébert Répondre
31 juillet 2011Merci pour ce beau texte, Mme Prévost! Témoignage déchirant mais surtout riche. Si j'étais montréalaise, je me battrais pour ces noms de rue. Si je peux le faire de Québec, faites-moi signe. Même si vous n'avez pas internet, vous allez sûrement lire ces commentaires, alors Bravo!
solidaire,
Nicole Hébert