Répandu en français depuis les années 2000, le terme islamophobie doit être utilisé avec beaucoup de prudence. En effet, son interprétation peut prêter à confusion et son usage peut donner lieu à toutes sortes de dérapages et d'impostures. Bien des distinctions doivent être opérées pour pouvoir démêler l'écheveau de ce mot ambigu et qui porte à controverse, comme en porte-à-faux.
L'islam et les musulmans
Dans son sens premier, islamophobie désigne une forme de crainte irraisonnée, d'aversion envers l'islam. Par extension, le mot peut désigner aussi les préjugés et les manifestations d'intolérance à l'endroit des musulmans. On observe en outre que le mot est surtout employé par les musulmans eux-mêmes ainsi que par les défenseurs du multiculturalisme ou du communautarisme.
L'histoire a montré que le sentiment de méfiance et de détestation envers une religion tend à se répercuter en intolérance envers ses fidèles. Mais il ne devrait pas en être ainsi. On peut en effet s'opposer à une religion en raison du caractère rétrograde et arbitraire de ses dogmes et de ses pratiques sans pour autant chercher à opprimer ses adeptes. Même si l'examen rationnel de l'islam peut conduire à remettre en cause certaines de ses prescriptions, les musulmans doivent continuer à être respectés dans leurs droits en tant que personne et en tant que communauté à condition, bien sûr, qu'ils contribuent à la paix dans le monde ainsi qu'au bien-être et au progrès de l'humanité.
Certaines communautés musulmanes sont réellement l'objet d'actes islamophobes. Par exemple, en Birmanie, des bouddhistes extrémistes persécutent les minorités musulmanes, dont les Rohingyas, en perpétrant des assassinats et en détruisant leurs maisons et leurs mosquées. Mais les musulmans ne sont pas les seuls croyants à être victimes d'intolérance. De nombreux disciples de l'islam se montrent eux-mêmes fanatiques et persécutent les fidèles d'autres religions. Au Nigéria, par exemple, où les tensions religieuses sont exacerbées, les extrémistes islamistes du groupe Boko Haram ont massacré des milliers de chrétiens et, récemment, ils se sont même glorifiés d'avoir enlevé des centaines de jeunes filles et de les avoir vendues comme esclaves. C'est aussi le cas en Égypte, où la persécution des Coptes, une des plus anciennes communautés chrétiennes, va grandissant depuis les années 1990 avec la montée de l'intégrisme islamiste: les morts se comptent par dizaines et les blessés, par centaines, en plus des églises, des maisons et des commerces qui ont été incendiés. Pourtant, personne n'a encore osé parler de christianophobie devant ces abus. Le fanatisme religieux menace donc toutes les religions et leur fait prendre, selon les circonstances, tantôt le rôle de victime, tantôt celui de bourreau.
Les musulmans modérés, les traditionalistes et les radicaux
Au sein de la population musulmane, on observe au moins trois groupes présentant autant d'attitudes différentes par rapport à la religion. Le premier groupe est formé d'individus qui sont pacifiques et qui ont choisi de vivre en harmonie avec les autres. Certains ont même abandonné la religion et défendent la sécularisation de la société. D'autres sont restés croyants, mais pratiquent leur religion à des degrés divers, sans esprit de prosélytisme ni de sectarisme, et cherchent à adapter l'islam aux réalités du monde contemporain. C'est dans ce groupe qu'on trouve des progressistes qui, avec un courage admirable, tentent de promouvoir la démocratie et les droits humains dans les pays islamiques, souvent totalitaires.
Le deuxième groupe rassemble des musulmans traditionalistes qui n'entendent pas s'émanciper le moindrement des préceptes fondateurs de l'islam. Ils interprètent les textes sacrés de façon très stricte et observent les coutumes les plus archaïques. Quand ces traditionalistes émigrent dans d'autres pays, ils ont beaucoup de mal à s'intégrer et réclament sans cesse des accommodements religieux aux sociétés d'accueil. S'ils n'obtiennent pas ce qu'ils demandent, ils crient facilement à l'islamophobie. L'emploi qu'ils font du terme islamophobie fait alors partie d'un stratagème destiné à culpabiliser les pays d'immigration afin de leur soutirer toutes sortes de faveurs qui peuvent même aller à l'encontre des coutumes et des valeurs des sociétés qui les reçoivent. Le mot est alors investi du même caractère infamant auquel sont associés généralement d'autres mots de même formation comme xénophobie et homophobie.
Le dernier groupe réunit des activistes très engagés, voire fanatiques. Il s'agit des islamistes pour qui l'islam correspond à un projet politico-religieux visant à imposer partout la charia, à lutter contre l'Occident et à instaurer l'«oumma», c'est-à-dire le grand califat mondial. Ces islamistes ne reculent devant rien pour arriver à leurs fins et ils n'hésitent pas à recourir au terrorisme le plus violent. Ils parviennent souvent à exercer une grande influence dans les communautés musulmanes insatisfaites de leur sort dans leur pays d'origine ou dans leur pays d'immigration, notamment en agitant le spectre de l'islamophobie pour exacerber le ressentiment de leurs coreligionnaires. C'est pourquoi certains ont ressenti le besoin de recourir au mot islamistophobie pour désigner la crainte et le rejet tout à fait légitimes qu'inspirent la violence et le fanatisme des intégristes islamistes.
Les musulmans, les peuples musulmans et les sectes musulmanes
Puisque l'islam est né en Arabie et que la langue du Coran est l'arabe, on confond souvent les musulmans, qui relèvent d'une confession religieuse, et les Arabes, qui forment une ethnie. Mais l'espace où s'est répandue la tradition islamique est immense. Il s'étend de l'Afrique jusqu'à l'Asie et réunit une vaste mosaïque de peuples et de pays: les Arabes, mais aussi les Berbères d'Afrique du Nord, les Persans en Iran, les Pachtounes en Afghanistan, les Javanais en Indonésie (pays qui compte le plus grand nombre de musulmans)...
L'islamophobie étant de nature religieuse, elle doit donc être bien distinguée du racisme d'origine ethnique comme l'arabophobie. Il n'est pas toujours aisé cependant de départager ce qui relève du religieux de ce qui ressortit à l'ethnoculturel, surtout quand la religion est instrumentalisée comme signe d'identité. En toute rigueur intellectuelle, il importe malgré tout de maintenir cette distinction afin d'éviter de fondre les musulmans en un tout artificiellement homogène, oblitérant ainsi les traits historiques, géographiques, politiques, sociaux et culturels propres à chaque pays musulman. Chose certaine, il convient d'éviter l'amalgame entre arabe et musulman.
Par ailleurs, l'islam n'est pas divisé seulement sur le plan ethnoculturel, mais il l'est aussi sur le plan religieux. Les deux courants les plus importants sont le sunnisme, largement majoritaire, et le chiisme qui représente environ 10% des musulmans et qui est présent surtout en Iran et en Irak. Les deux courants se différencient par des points de doctrine, notamment en ce qui a trait à la reconnaissance des successeurs de Mahomet. Les chiites et les sunnites s'opposent souvent violemment, d'où les situations conflictuelles qu'on observe dans maints pays musulmans.
L'islamophobie et la critique des religions
Les religions dites «monothéistes» que sont le judaïsme, le christianisme et l'islam sont fondées sur des livres jugés sacrés, mais dont les conceptions anciennes ne sont pas forcément compatibles avec celles des démocraties modernes. Tout esprit libre a le droit de remettre en cause les préceptes des religions s'ils contreviennent aux principes de la raison, de la liberté, de la justice, de l'égalité et de la laïcité de l'État.
L'islam est fondé sur le Coran, qui est vu comme la parole d'Allah révélée au prophète Mahomet, ainsi que sur la Sunna, qui contient les hadiths, c'est-à-dire les actes et les dires du prophète. Une lecture indépendante et libre de toute croyance révèle que ces textes comportent un grand nombre de passages discriminatoires qui sont proprement inadmissibles par rapport au respect des droits humains.
Voici à titre d'exemple quelques versets coraniques à caractère discriminatoire et haineux (pour la Sunna, consulter le site La Plume de l'Islam:
Intolérance religieuse Les juifs ont dit: «Ozaïr [prophète israélien qui aurait été ressuscité par Dieu après cent ans] est fils de Dieu!»; les chrétiens ont dit: «Le Messie est fils de Dieu!»: telles sont les paroles qui sortent de leurs bouches. Elles ressemblent aux paroles des mécréants d'autrefois. Que Dieu les anéantisse! Comme ils s'écartent de la Vérité. (Sourate IX, verset 30)
Sexisme Les hommes ont autorité sur les femmes en raison des qualités par lesquelles Dieu les a élevés au-dessus d'elles et en raison des dépenses qu'ils font pour assurer leur entretien. Les femmes vertueuses sont obéissantes et préservent en l'absence de leur mari ce que Dieu a prescrit de préserver. Exhortez d'abord celles dont vous craignez la désobéissance, reléguez-les ensuite dans des lits à part et frappez-les enfin. Si elles vous obéissent, ne leur cherchez plus querelle. (Sourate IV, verset 34)
Homophobie Souvenez-vous de Loth [neveu d'Abraham qui échappa à la destruction de Sodome]. Il dit à son peuple: «Vous vous livrez à cet acte abominable que nul parmi les mondes n'a commis avant vous? Vous assouvissez vos désirs charnels sur les hommes à la place des femmes! Certes, vous êtes un peuple outrancier.» (Sourate VII, versets 80 et 81)
Bellicisme Tuez ceux qui vous combattent partout où vous les rencontrerez et chassez-les des lieux d'où ils vous auront chassés. La subversion est pire que la guerre. Ne les combattez pas cependant près de la Mosquée Sacrée, à moins qu'ils ne vous attaquent en ce lieu même. S'ils vous combattent, tuez-les: telle est la rétribution des incroyants. (Sourate II, verset 191)
Sadisme Aux incroyants seront taillés des vêtements de feu, sur leurs têtes sera versée de l'eau bouillante, qui consumera leurs entrailles et leur peau ; il y aura pour eux des fouets de fer ; chaque fois qu'ils voudront sortir de l'Enfer pour échapper à la souffrance, ils y seront ramenés : «Goûtez au châtiment du Feu!» (Sourate XXII, versets 19 à 22)
Pour que les textes du Coran et de la Sunna puissent circuler sans exercer d'influence néfaste, il faudrait d'abord les désacraliser en acceptant de les considérer comme des livres qui ne sont non pas d'origine divine mais qui ont été rédigés par de simples humains. Il conviendrait aussi de les expurger de tous les passages violents et discriminatoires comme ceux qui sont cités ci-dessus. Mais quand on sait la très forte emprise qu'exercent les religions sur leurs adeptes, on peut se demander si cela sera possible un jour.
Les musulmans traditionalistes ainsi que les islamistes combattent farouchement ceux et celles qui critiquent l'islam et qui remettent en cause l'origine divine du Coran. Ils les accusent injustement de nourrir l'islamophobie, qu'ils brandissent encore et toujours de façon insidieuse comme arme de victimisation. Il existe pourtant un fossé entre l'islamophobie véritable, qui s'attaque aux personnes des musulmans, et les critiques argumentées et documentées qui ne font que dénoncer les zones troubles de l'islam. Le fondamentalisme islamique, comme tous les autres fondamentalismes (juif, chrétien, bouddhiste, etc.), cherche sans cesse à censurer la critique religieuse alors que celle-ci relève de la liberté d'expression et de pensée et qu'elle représente un devoir citoyen essentiel au progrès de l'humanité.
L'islamophobie et la dénonciation des abus dans les régimes islamiques
Dans la plupart des pays musulmans comme l'Afghanistan, l'Arabie saoudite, l'Iran, la Mauritanie, le Pakistan, l'État se définit comme islamique, et la religion est fortement imbriquée dans le politique et le juridique. Les régimes islamiques appliquent la charia, code juridique qui découle du Coran et de la Sunna et qui est tenu pour supérieur à toutes les lois humaines. En 2001, la Cour européenne des droits de l'homme a pourtant conclu que les principes démocratiques étaient incompatibles avec les règles de la charia. L'ensemble des régimes islamiques sont en fait des dictatures qui ne respectent pas les droits humains.
Toute critique des abus de ces régimes oppressifs est décriée par les musulmans traditionalistes et radicaux comme un crime de lèse-majesté et comme une autre manifestation d'islamophobie. La dénonciation des injustices commises dans les États islamiques n'a pourtant rien d'islamophobe. Au contraire, elle est nécessaire pour libérer ces populations misérables, asservies et tenues dans l'ignorance. Dénoncer par exemple qu'on restreigne l'accès des jeunes femmes à l'instruction n'est pas du tout islamophobe. Dénoncer la campagne obscurantiste contre le vaccin de la poliomyélite qui sévit actuellement dans plusieurs pays islamiques comme l'Afghanistan et le Pakistan n'a rien non plus d'islamophobe, mais est avant tout humanitaire.
Il faut le dire haut et fort : on doit lutter contre la véritable islamophobie qui prend la forme de discours haineux ou d'actes violents à l'endroit des musulmans, mais on ne doit jamais se laisser tromper par le recours abusif de ce terme qui ne vise qu'à museler toute critique raisonnable et nécessaire de l'islam et des pays islamiques, surtout quand les droits humains sont bafoués.
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