La cause du français au Québec a refait surface ces derniers jours à la faveur d'une curieuse conjonction: le décès de Jean-Paul Desbiens et la tenue des Outgames à Montréal. Les réactions ont été nombreuses: parlons-nous mieux français qu'il y a 40 ans? le parlons-nous tout court? Le débat actuel est-il le signe d'un réveil ou le constat d'un déclin?
Il y a belle lurette que la question de la langue n'avait suscité autant de courrier dans les médias, un phénomène d'autant plus remarquable qu'il survient dans la langueur de l'été et au milieu de la fureur de l'actualité internationale. La mort du frère Untel aurait pu être l'occasion d'un simple salut à un homme du passé, elle a au contraire redonné une nouvelle jeunesse à certains de ses écrits.
Or, dans la même semaine s'ouvraient les Outgames, une appellation semble-t-il aussi peu traduisible en français que la flopée de marques de commerce et de noms d'établissement anglais qui tissent l'univers de la consommation au Québec, et que plus personne ne remarque. On a toutefois rapidement constaté que ce nom de Outgames ne tenait pas qu'à un plaisant jeu de mots intraduisible, mais relevait plutôt d'une franche indifférence et d'un laxisme certain. Comment expliquer autrement l'omniprésence de l'anglais entourant la cérémonie d'ouverture des jeux la fin de semaine dernière, tant lors de sa préparation que lors de sa présentation ? Même les pancartes identifiant les délégations ne s'affichaient qu'en anglais.
La cérémonie de clôture, ce soir, aura-t-elle corrigé le tir ? La seule présence, plus forte, d'artistes francophones permet de l'espérer, mais le malaise reste. L'utilisation de l'anglais n'a-t-elle pas, au cours de ces jeux, été expliquée par un souci d'efficacité ? La fierté d'être soi gobée par la pseudo-compréhension universelle... comme il y a 40 ans.
Mais de quelle fierté s'agit-il, pouvait-on aussi se demander en relisant Jean-Paul Desbiens, quand ce dernier pourfendait le joual. On ne refera pas ici le débat des Belles-Soeurs, celui des classes sociales et des niveaux de langue. On peut reconnaître la langue populaire, la mettre en scène, en jouer. Mais s'y complaire ? C'était ce reproche que le frère Untel faisait à sa société, et c'est ce qui n'a pas changé. Au contraire, le respect et la connaissance de l'armature de la langue vont déclinant, comme le constatent les professeurs d'expérience. Mais quelle importance, ce français massacré : «Mes chums, euzôtres, y m'comprennent !», pour reprendre l'anecdote racontée cette semaine par l'une de nos lectrices, enseignante.
Évidemment, le nouveau jargon utilisé par les jeunes pour clavarder accentue ce phénomène : on écrit au son, les mots sont ramenés à une lettre ou deux -- souvent sur la base de leur version anglaise --, la ponctuation n'existe plus, encore moins les phrases complètes. Et surtout, surtout, on ne se relit jamais !
Ce qui est inquiétant, ce n'est pas cette nouvelle forme d'expression en soi, c'est qu'il s'agit de la seule forme d'écriture que les jeunes pratiquent en dehors de la sphère scolaire. Or ces écrits syncopés, tronqués, sont en complète rupture avec le dur et long apprentissage du français à l'école. Il ne reste plus dès lors à celle-ci qu'à s'ajuster, de peur de voir quasiment des classes entières échouer.
Et puis on cible l'école, alors que tout le monde a baissé les bras. La mairesse de Québec, Andrée Boucher, a de nouveau frappé les esprits cette semaine en disant souhaiter imposer des examens de français aux futurs policiers et fonctionnaires de sa ville. «Ce serait normal qu'on puisse me rédiger un message sans fautes !», a expliqué la mairesse, qui ciblait en particulier son service des... communications !
Ah, madame Boucher et son obsession des fautes, ont dû de nouveau soupirer, sans sympathie aucune, ceux qui ont déjà travaillé avec elle. Le fait qu'elle renvoie à leur auteur des textes où les fautes d'orthographe étaient soulignées fut même déjà décrit comme l'une des caractéristiques de son style de gestion autoritaire !
Hélas, si les erreurs de calcul sont des marques d'incompétence dans le milieu professionnel, ce n'est pas le cas des fautes de français, même pour ceux dont le travail implique de rédiger des notes ou des rapports. Quel incitatif les jeunes, dès lors, ont-ils pour se corriger, puisque les employeurs font comme l'école : ils ferment les yeux.
Et dans ces mailles trop lâches, l'anglais, si facile à apprendre, si amusant à parler, si efficace pour communiquer, continue de s'infiltrer. Alors on manque de vocabulaire pour traduire Outgames et on manque même de mots pour s'en indigner.
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