L’ampleur dramatique de cette crise, qui sera durement ressentie par les nations les plus fragiles, montre qu’on ne peut se contenter de réformes cosmétiques, avertit Joseph Stiglitz. Il est urgent, dit-il, de refonder le système financier international et de l’ouvrir aux pays émergents. Des institutions nouvelles devront être créées, de même qu’une devise de réserve internationale, ce qui aurait pour effet immédiat d’affranchir les pays émergents de l’obligation d’amasser des piles de dollars sous la forme de bons du Trésor US afin de se constituer des réserves de changes qui seraient plus utilement employées à financer leur développement. Joseph Stiglitz présente ici les principales conclusions de la commission d’experts rassemblés sous l’égide des Nations Unies.
Par Joseph Stiglitz, The Guardian, 27 mars 2009
La crise financière qui a débuté aux Etats-Unis sur le marché des subprimes s’est désormais transformée en une récession mondiale - avec une croissance qui devrait être négative de 1,5%, soit la pire valeur depuis la Grande Dépression. Même les pays qui ont agi correctement subissent une baisse marquée de leurs taux de croissance, voire une profonde récession. Et les douleurs seront ressenties de façon bien plus aiguës par les pays en développement.
La commission d’experts des Nations Unies sur les réformes du système monétaire et financier international, que je préside, vient de publier son rapport préliminaire. Il se concentre en particulier sur l’impact, pouvant être grave, qu’aura cette crise sur les pays en développement et les populations pauvres partout dans le monde. On estime que 30 millions de personnes supplémentaires seront au chômage en 2009 par rapport à 2007. Le nombre de chômeurs supplémentaires pourrait même atteindre 50 millions. Les progrès réalisés dans la réduction de la pauvreté pourraient être interrompus. Le rapport avertit que : « quelques 200 millions de personnes, surtout dans les économies en développement, pourraient être entraînées vers la pauvreté si des mesures ne sont pas rapidement prises pour contrer l’impact de la crise. »
Bien qu’il s’agisse d’une crise mondiale, les mesures sont prises par les gouvernements nationaux, qui, tout naturellement se préoccupent d’abord de l’intérêt de leurs citoyens. Les mesures protectionnistes, comme le « buy America » du plan de relance des États-Unis sont particulièrement injustes. De fait, la Banque mondiale indique que 17 pays du groupe des 20 ont utilisé des mesures protectionnistes, après s’être engagés à ne pas le faire lors de leur réunion à Washington en novembre. En se concentrant sur les impacts nationaux, plutôt que sur les impacts globaux, la relance sera moindre - et la reprise mondiale affaiblie.
Bien qu’il existe un consensus sur le fait que tous les pays doivent prendre des mesures de relance budgétaire fortes, de nombreux pays en développement n’en ont pas les moyens, et appellent à la mise en oeuvre d’une approche concertée de financement supplémentaire, tant pour soutenir les dépenses que pour maintenir l’accès à la liquidité pour les nations et les entreprises des pays en développement qui sont touchées par le resserrement du crédit à l’heure actuelle. Les pays développés devraient contribuer de 1% aux dépenses de relance. Il devrait y avoir immédiatement une émissions de droits de tirage spéciaux (DTS), cet « argent du FMI » qui peut être utilisé en particulier pour aider ceux qui sont confrontés à des difficultés, et pour favoriser les efforts régionaux, tels que l’initiative Chiang Mai en Asie. [1]
Il est important que toute aide soit fournie sans les habituelles contraintes associées. Des conditions telles que celles qui obligent les pays en développement à réduire leurs dépenses et à augmenter les taux d’intérêt sont contreproductives : l’objectif de cette assistance est de les aider à développer leurs économies, ce qui devrait contribuer à la reprise mondiale. Les déficiences des règles institutionnelles pour l’octroi de ces fonds - par exemple, par l’intermédiaire du FMI - sont connues depuis longtemps, mais les réformes à ce jour sont insuffisantes. Les pays disposant de fonds sont souvent réticents à donner de l’argent à des institutions dans lesquelles ils n’ont que peu de poids, et qui ont préconisé des politiques qu’ils ne soutiennent pas, et ceux qui veulent emprunter sont souvent réticents à le faire, étant donné la stigmatisation associée à l’appel à ces institutions. La commission demande instamment la création d’une nouvelle facilité de crédit, dans laquelle la voix des nouveaux prêteurs et emprunteurs seraient toutes deux mieux entendues.
Il y a plusieurs leçons importantes à tirer de la crise. La première est qu’il existe un besoin de meilleure réglementation. Mais les réformes ne peuvent pas être seulement cosmétiques, et elles doivent aller au-delà du secteur financier. Une application insuffisante des lois sur la concurrence a permis aux banques de se développer au point de devenir trop grosses pour être laissées faillir. L’insuffisance de la gouvernance d’entreprise a abouti à des systèmes d’incitations qui ont conduit à une prise de risque excessive et à des comportements à courte vue, qui n’ont même pas servi les intérêts des actionnaires.
La Commission recommande la création d’un Conseil de Coordination de l’Economie Mondiale, non seulement pour coordonner la politique économique, mais aussi pour évaluer la situation économique, identifier les lacunes dans l’ensemble du dispositif institutionnel, et proposer des solutions. Par exemple, il est nécessaire de disposer d’une Autorité de Réglementation Financière Mondiale - sans laquelle il existe un risque d’arbitrage réglementaire [2], ce qui compromet la réglementation, et entraîne une course au moins disant. Il est nécessaire d’instituer une Autorité Mondiale de la Compétition, car les marchés sont d’envergure mondiale. Il y a nécessité de mettre en place une meilleure méthode pour traiter les défaillances de pays, dont plusieurs pourraient survenir durant de cette crise. Et il est nécessaire de disposer de meilleures approches dans la gestion des nombreux risques que rencontrent les pays en développement, en particulier concernant la dette et la gestion du compte de capital.
L’autre importante recommandation de la Commission concerne la création d’un nouveau système mondial de réserves. Le système existant, avec le dollar américain comme monnaie de réserve, se détériore. Le dollar a été très instable. Il existe de plus en plus d’inquiétudes sur les risques inflationnistes futurs. Par ailleurs, la mise en réserve de sommes aussi importantes chaque année pour protéger les pays contre les risques d’instabilité mondiale crée un distorsion baissière de la demande globale, ce qui affaiblit l’économie mondiale. En outre, le système présente cette caractéristique bien singulière qui est que les pays pauvres prêtent des milliers de milliards de dollars aux États-Unis, essentiellement à taux zéro, alors que dans leur pays, existent tant de besoins auxquels cet argent pourrait être affecté. La Commission fait valoir que le nouveau système mondial de réserves est « possible, non-inflationniste, et pourrait être facilement mis en œuvre ».
Après la crise de l’Est Asiatique, on a beaucoup parlé de réforme, d’une nouvelle architecture financière mondiale. Mais ce n’étaient que des paroles, et lorsque l’économie mondiale a redémarré, cette dynamique de réforme s’est évanouie. Il s’agit aujourd’hui d’une crise plus grave, qui durera plus longtemps. Espérons que, cette fois, nous en tirerons des enseignements.
Sur le web :
Rapport de la commission Stiglitz : Recommendations by the Commission of Experts of the President of the General Assembly on reforms of the international monetary and financial system (pdf)
Publication originale The Guardian, traduction Contre Info
[1] Accord signé par les membres de l’ASEAN plus Chine, Japon et Corée du Sud, portant sur l’ouverture de lignes de crédit par échange bilatéraux de devises.
[2] Stratégie des entreprises consistant à privilégier les pays où les exigences de la loi sont moindres
Indispensable réforme du système financier mondial
Crise mondiale — crise financière
Joseph E. Stiglitz9 articles
Joseph E. Stiglitz, a professor of economics at Columbia who was chairman of the Council of Economic Advisers from 1995 to 1997, was awarded the Nobel prize in economics in 2001.
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