Indépendantistes : pourquoi il faut tenir

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Le renoncement à l’indépendance entraine une dynamique de pourrissement de la vie politique





Bien des amis précieux, souverainistes de cœur et de toujours, me confessent depuis un temps, avec un air triste et résigné, qu’à leur avis, l’indépendance ne se fera jamais et qu'il faut se faire à cette réalité. Ils y voient une forme de lucidité nécessaire. Je comprends leur sentiment: souvent, il m'habite. Comment un indépendantiste peut-il être optimiste par les temps présents? Ces amis cherchent naturellement à survivre politiquement au déclin de leurs idéaux et veulent s’engager autrement dans la cité. Alors plus souvent qu’autrement, ils cèdent aux délices de la division entre la gauche et la droite. L’un rêve d’un Québec plus ou moins socialiste, l’autre d’un Québec qui s’arracherait à la social-démocratie: les deux oublient qu’un Québec provincial ne sera jamais qu’un demi-Québec, condamné à évoluer dans un cadre institutionnel et politique qui programme pourtant son effacement.


La constitution d’un pays, quoi qu’on en pense, le façonne de manière absolument fondamentale. Le Canada de 1982 est fondé sur la négation de notre identité nationale: plus nous y demeurons, plus nous intériorisons des principes qui nous poussent à l’auto-déconstruction. Les Québécois se reconnaissent de moins en moins le droit de penser leurs intérêts à l’extérieur du périmètre étroit et surveillé tracé par l’ordre constitutionnel canadien. S’il renonce pour de bon à l’indépendance, le peuple québécois achèvera sa normalisation politique et identitaire dans l’ordre canadien. C’est pourquoi, même si les temps sont durs pour les souverainistes, je ne parviens pas à ranger mes convictions au musée des idées morte. C’est justement en des temps difficiles, et plus encore dans un environnement médiatique marqué par une hostilité idéologique avouée, qu’il faut tenir fièrement l’étendard de l’indépendance, en rappelant que ce vieux combat est le plus noble des combats. Il faut l’ancrer aussi dans la longue histoire qui le porte.


Il faut garder la question nationale vivante au cœur du débat public au nom de l’honneur, naturellement. On ne saurait renoncer à l’indépendance sans renoncer à une part essentielle de nous-mêmes. Le réalisme est une bonne chose mais on ne saurait justifier en son nom toutes les démissions. Mais il faut aussi le faire en gardant en tête que la politique n’est pas le domaine de l’inéluctable. Au contraire: l’histoire peut nous surprendre. Ceux qui tiennent bon dans des circonstances difficiles peuvent, à un moment ou une autre, créer une conjoncture nouvelle, riche de nouveaux possibles. Les idées agonisantes peuvent se réénergiser, les idées mortes peuvent même renaître. Mais pour cela, il ne faut pas se coucher devant l’idéologie dominante qui veut nous convaincre que toute révolte contre le mauvais sort qui est le nôtre est vain et relève d’une protestation désespérée contre la fatalité. Les minorités créatrices sont d’abord des minorités obstinées.


Les indépendantistes sont présentés par le système médiatique comme des hommes accrochés au monde d’hier : au mieux, ce sont des romantiques, au pire, des réactionnaires. Rien ne les oblige à intérioriser cette vision qui les présente en derniers gardiens d’un monde déchu auxquels ils seraient liés à cause d’un vilain défaut qu’on nomme nostalgie. Ils pourraient plutôt se voir comme les conservateurs de ce qui ne peut ni ne doit mourir. Car ils défendent une idée essentielle: le Québec doit être à lui-même sa propre norme, il doit se définir comme une nation à part entière, il a vocation à participer au monde en son nom. Celle qu’on nomme de manière pudique la majorité historique francophone représente en fait le cœur de la nation et il serait tragique qu’elle devienne étrangère chez elle et qu’elle renonce à la maîtrise de son destin pour devenir une minorité gérant simplement sa décroissance puis son inévitable marginalisation historique. De là l’importance de la question identitaire.


Il y là une question politique fondamentale: le peuple québécois ne saurait se laisser définir par un autre peuple qui en plus, le nie et le ravale au statut de minorité ethnique qui doit accepter ce mauvais rôle sans quoi on l’accusera de xénophobie. Dans le Canada, dès que le peuple québécois se remue un peu, on l’accuse de crispation identitaire. C’est seulement lorsqu’il aura renoncé à son destin propre qu’on le jugera enfin démocrate et respectable. La quête de la liberté politique est la plus grande que puisse poursuivre une nation, parce qu’elle lui permet à la fois de persévérer dans son être historique et de décider de son destin: à travers elle, ce sont les plus hautes vertus politiques qui se révèlent. Encore doit-on définir le Québec à la manière d’un peuple et non comme une société faite d’individus déliés vivant dans un présent perpétuel et ne sachant plus parler que le langage des droits.


Inversement, le renoncement à l’indépendance entraine une dynamique de pourrissement de la vie politique. Le corps politique s’émiette, les luttes fratricides deviennent la norme, la chose publique devient incapable de traduire en enjeux politiques les questions fondamentales posées à la nation, un sentiment de médiocrité s’empare de tout et ruine l’idée même de bien commun, l’identité collective devient non plus un tremplin vers le monde mais un fardeau dont on veut se délivrer, la quête d’idéalisme de la jeune génération se perd dans des causes vaines, qui versent aisément dans une brutalité idéologique contre-productive, et ainsi de suite. Comme je l’ai souvent écrit, la défaite défait et un peuple n’échoue pas son indépendance sans en payer le prix.


Tenir dans l’adversité relève du courage civique. Il faut aussi avoir des convictions trempées. Mais pour tenir bon dans une période difficile, il faut garder à l’esprit les nombreux moments dans l’histoire où ceux qui semblaient condamnés sont parvenus à renverser la tendance. Il arrive que l’histoire s’écrive autrement que ne le suggèrent ceux qui s’imaginent que tout est toujours décidé à l’avance. Il ne faut évidemment pas confondre la fermeté intellectuelle avec la rigidité stratégique. Un peuple avance souvent en multipliant les détours. Mais au cœur de l’espace public, les indépendantistes doivent faire valoir leurs convictions sans fléchir et sans les affadir comme s’ils espéraient recevoir les compliments toxiques de ceux qui passent leur temps à décerner ou à retirer des certificats de modernité.


On en revient à l’essentiel: les indépendantistes, au fond d’eux-mêmes, définissent leur engagement politique de manière non pas gestionnaire mais existentielle. C’est de l’existence même d’un peuple dont il s’agit. Le nationalisme québécois, dans les bons jours comme les mauvais jours, rappelle à ce peuple ses espérances les plus profondes, qu’il a souvent tendance à oublier pour s’endormir tranquillement, comme s’il n’avait plus l’énergie politique pour mener une grande lutte ou même pour survivre. Le plus grand service que peuvent rendre les indépendantistes à leur peuple est de ne pas s’endormir aussi.




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