La nouvelle est presque passée inaperçue, tellement l’actualité est chargée ces temps-ci, mais il y a deux semaines à peine, la Chambre de commerce du Montréal Métropolitain plaidait sans gêne pour une augmentation des seuils d’immigration à 78 000 par année. 78 000! Reprenant la rhétorique éculée de la pénurie de main d’œuvre, elle présentait cette proposition délirante sous le signe de «l’ambition». On ne sait trop si on doit en rire ou en pleurer. Un tel sans gêne relève à bien des égards de la provocation idéologique. Nous avons là un exemple caricatural de la droite patronale qui mise sur l’immigration massive pour exercer une pression à la baisse sur les salaires et qui s’entête à soumettre les peuples à une conception étroite de l’économie – une conception étroite, mal comprise et paresseuse, comme le rappelait par ailleurs Jacques Houle dans son essai Disparaître, un livre dont l’actualité est criante et que notre classe politique et médiatique devrait lire d'urgence. En gros, le CCMM mise sur une économie avec une main d’œuvre à bas salaire et ne s’imagine pas en sortir. Dès 2011, dans Le remède imaginaire, Guillaume Marois et Benoit Dubreuil avaient d’ailleurs démonté les «arguments économiques» sur ce sujet. Nous sommes ici devant un lobby qui témoigne d’un manque effarant de sens national, comme si le patronat ne se cachait même plus pour renier le Québec – ou du moins, pour confesser son indifférence absolue quant à l’avenir du peuple québécois.
Heureusement, le dogme de l'immigration massive est aujourd’hui enfin contesté, comme on le constate dans la présente course à la chefferie du Parti Québécois, où deux candidats, Frédéric Bastien et Paul St-Pierre-Plamondon plaident ouvertement pour une baisse significative et durable des seuils d’immigration. Ils rappellent que l’immigration massive est la principale cause de l’anglicisation de la grande région de Montréal. Le français est actuellement entraîné dans une dynamique régressive qu'il ne sera plus possible un jour de renverser. Il faut souligner cette proposition qui conjugue le courage et le bon sens. On ajoutera que Bastien et St-Pierre-Plamondon ne proviennent pas du même courant idéologique mais en arrivent à la même conclusion en la matière, ce qui laisse croire que les franges les plus éclairées de notre classe politique osent maintenant défier l’empire du politiquement correct sur une question qui relève de l’intérêt national. Nous n’oublierons pas non plus que la CAQ, ces dernières années, avait aussi plaidé pour une baisse des seuils d’immigration, certes temporaire et cosmétique, mais qui avait la vertu de rompre avec la logique du toujours plus héritée du régime Charest-Couillard et trop longtemps endossée par certains souverainistes mondains effrayés à l’idée de heurter les codes du système médiatique ou ayant complètement intériorisé une idéologie menant pourtant à la dissolution du peuple québécois. On peut d'ailleurs souhaiter que la CAQ se convertisse à l'idée d'une baisse durable et significative des seuils d'immigration : il en va de son propre intérêt, d'ailleurs.
Le souverainisme défiera le politiquement correct ou périra. Les nationalistes vont d’ailleurs devoir finir par comprendre que ce n’est pas parce qu’ils ne sont pas assez ouverts ou gentils que les populations issues de l'immigration ne se rallient pas à leur cause, mais simplement parce que la référence québécoise est bien moins forte, sur notre territoire national, que la référence canadienne. Notre échec ne s’explique pas par notre méchanceté mais par notre faiblesse, et toutes les incantations sur le beau grand projet inclusif censé les convertir aux vertus de l’indépendance n’y feront rien. La question n'est pas morale mais politique. C’est la souveraineté canadienne qui s’exerce au Québec. C'est elle qui exerce la puissance symbolique et politique qui joue un rôle central dans le processus d'intégration culturelle. Et à Montréal, ce n'est pas le français qui est la langue de prestige, mais l'anglais. En d’autres mots, les populations issues de l’immigration s’intègrent, quoi qu’on en pense, mais elles s’intègrent bien davantage au Canada qu’au Québec, comme en témoigne leurs comportements électoraux et l’évolution politique de Montréal et de Laval. Il ne s’agit évidemment pas de les condamner et de cesser de tendre la main aux nouveaux arrivants, ce qui serait une faute morale grave, mais d’évaluer de manière responsable nos capacités d’intégration. Ceux qui se croient malins en disant vouloir «dépolitiser» la question des seuils d’immigration ne se rendent-ils pas compte que le Canada et les fédéralistes qui le servent ici ont toujours utilisé l’immigration massive pour essayer de verrouiller démographiquement notre avenir politique ?
On y revient donc: la question migratoire est enfin en train de s’installer au cœur du débat public en redéfinissant les clivages auxquels nous sommes habitués mentalement. La droite néolibérale fait alliance avec la gauche multiculturaliste pour dénationaliser notre vie collective, effacer progressivement les frontières et favoriser l’immigration massive. Pour elles, la nation est une forme historique périmée, ou du moins, qui n’a plus aucun substrat identitaire: ils parlent de la nation mais n'en ont plus qu'une conception désincarnée. De l’autre côté, le centre-gauche éclairé et les nationalistes plaident, chacun à leur manière, pour une politique d’immigration responsable qui passe obligatoirement aujourd’hui par une baisse significative des seuils d’immigration, pour des raisons qui relèvent à la fois du bon sens économique, de la situation du français et de l’avenir politique du Québec – en d’autres mots, parce qu’ils voient le Québec comme une nation avec une capacité d’intégration qui n’est pas illimitée, pour peu qu'on tienne compte de sa situation politique dans la fédération et de sa situation géopolitique en Amérique du nord. Les nationalistes devront aussi, assurément, mettre de l'avant une politique d'intégration centrée sur le principe de la culture de convergence et des mesures de renforcement du français pour remuscler la loi 101. On ne peut que souhaiter à ceux qui se rallient à ce programme de réaffirmation nationale le courage nécessaire pour assumer pleinement leurs idées. Ils en auront besoin lorsqu’ils se feront accuser de racisme par les gardiens de l’ordre diversitaire. Cette accusation est aussi odieuse qu’inévitable. C’est en apprenant à ne plus avoir peur devant le politiquement correct qu’ils pourront vraiment servir le Québec.