Immigration et diversité culturelle: sommes-nous allés trop loin?

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Accommodements - Commission Bouchard-Taylor


(Photothèque Le Soleil)



Les 9 et 12 août dernier, le Couchiching Institute on Public Affairs organisait sa 76e rencontre annuelle près d'Orillia, Ontario. Cette conférence coïncide également avec le dévoilement récent du document de consultation et du site internet de la commission Bouchard-Taylor, ainsi que le débat Charest-Dumont sur l'immigration. La thématique de l'événement portait sur la diversité, notamment les problématiques, défis et bénéfices liés à la présence croissante des immigrants au sein de notre société. Et cette diversité se reflétait parmi l'assistance, où tous partageaient une citoyenneté commune aux racines plurielles.
L'immigration : la compétitivité canadienne
Le Canada est aujourd'hui l'un des pays recevant le plus d'immigrants eut égard à sa population : près de 250 000 nouveaux arrivants en 2006. Non seulement est-il accueillant, comme le commentait Pierre Pettigrew, l'un des conférenciers invités, mais il est aussi celui qui est le plus à même de favoriser leur intégration politique et à partager le pouvoir avec les immigrants. Ainsi, ceux-ci représentent près de 25% du caucus fédéral... tout en fournissant trois députés souverainistes au Bloc Québécois (en provenance du Liban, d'Haïti, du Cameroun). Ce qui fait de notre pays l'un des plus ouverts à ce chapitre dans le monde. Cette tolérance, comme l'a souligné l'auteur à succès Michael Adams, en est venue à exprimer la quintessence même de Toronto, où 14 ethnies représentent chacune plus de 1% de la population totale de la ville.
Diversité : est-on allé trop loin?
Dans un récent article publié dans le National Post, George Jonas soulignait que le multiculturalisme avait contribué à cultiver les deux solitudes dénoncées par la gouverneure générale Michaëlle Jean et même à en créer de nouvelles! Ce qui a incité certaines communautés à revendiquer les privilèges propres aux autres. Et malgré le paradigme qui prédomine actuellement à l'effet que la diversité constitue une richesse pour le Canada, une récente étude publiée par le réputé chercheur Robert Putnam de l'Université Harvard a démontré que plus il y a de diversité au sein d'une société, moins les gens ont tendance à aller voter et à s'impliquer au sein de leur communauté.
Au Québec, la polémique entourant les accommodements raisonnables a largement défrayé la chronique au cours de la dernière année. Ce qui a nourrit le sentiment populaire à l'effet que nous sommes allés trop loin dans notre adaptation aux nouvelles diversités culturelles et religieuses, dixit la professeure Marie McAndrew.
En effet, une frange importante de la population estime que la Charte des droits et libertés accorde trop de droits aux individus en ce qui a trait à leurs spécificités. Comme le constate la professeure Janice Stein, la frontière entre espaces publics et privés tend à se diluer avec l'empiètement du second sur le premier. D'où la crainte des citoyens qui perçoivent ces accommodements non pas à l'orée d'une quelconque tolérance, mais à celle de l'envahissement de la sphère publique (kirpan, eruv, vitres givrées du YMCA). Elle met également de l'avant les contradictions inhérentes au choc des cultures entre sécularisme et religion lorsque certains orthodoxes en viennent à militer en faveur de la prévalence des lois religieuses.
Pourtant, le Canada n'a pas toujours été aussi favorable envers la diversité, tel que le rappelle Will Kymlicka, professeur à Queen's University. Le Canada, rappelle-t-il, a déjà tenté d'assimiler par la force certaines minorités, dont les Amérindiens, avec le résultat que l'on connaît aujourd'hui.
Selon lui, la diversité de la société canadienne est la résultante d'un rejet massif des vieilles dichotomies (conquérants/conquis, maîtres/esclaves ou civilisations avancées/retardées) qui animent encore de nombreuses nations à travers le monde. Il en est découlé, notamment à partir de la fin des années 1960, la remise en question de la partie de notre héritage valorisant l'exclusion, la hiérarchie et la stigmatisation.
La société canadienne connaît alors l'émergence de mouvements sociaux en faveur des droits des noirs, des femmes, des GLBT, des droits humains et l'abolissement de la peine de mort. Cette valorisation de la diversité a contribué à faire du Canada une société pluraliste où les citoyens se révèlent de moins en moins rejetés dans leurs particularismes et dorénavant considérés comme égaux. Une des conséquences directes de cette évolution est la plus grande participation des nouveaux arrivants aux débats publics, que ce soit à l'urne ou comme député, contribuant ainsi à vitaliser le processus démocratique.
Sécurité : menace à la diversité?
Suite aux attentats du 11 septembre, nombreux sont les analystes à avoir dénoncé la restriction des libertés civiles et des droits qui y sont attachés. Audrey Macklin de la Faculté de droit de l'Université de Toronto critique la manière dont les autorités publiques en sont venues à acheter la sécurité du pays en échange de certains droits, ainsi que la rhétorique qui y est associée; pour être en sécurité, les citoyens se doivent de céder certains droits...
Ainsi, l'application des nouvelles mesures de sécurité dans les transports publics a conduit au profilage et à la suspicion envers une certaine catégorie de citoyens affichant certaines caractéristiques physiques particulières. L'exemple de Maher Arar témoigne des excès dans lesquels la rhétorique de sécurité est susceptible de s'embourber, et surtout, des conséquences dramatiques pour les citoyens partageant le même profil.
Cette situation a d'ailleurs déjà été appréhendée par Émile Durkheim lors de l'Affaire Dreyfus, tient à rappeler la professeure Body-Gendrot, citant à cet effet que lorsque «la société souffre, elle éprouve le besoin de trouver quelqu'un à qui elle puisse imputer son mal, sur qui elle se venge de ses déceptions; et ceux-là sont naturellement désignés pour ce rôle auquel s'attache déjà quelque défaveur de l'opinion. Ce sont les parias qui servent de victimes expiatoires».
Diversité culturelle : la marginalité du mainstream?
Questionnés quant à l'existence d'une culture canadienne qui soit mainstream, tous les conférenciers s'entendent pour affirmer que la culture canadienne est diversifiée, mouvante, tirant ses inspirations des nombreuses communautés présentent au pays, Little Mosque on the Prairie en étant l'exemple typique. Tout en dénonçant l'emprise de l'économie sur ce milieu, où le mainstream se résume bien souvent aux nombres de billets vendus et au succès commercial des productions, les conférenciers ont toutefois noté un renforcement de la popularité des oeuvres composées par les auteurs et les artistes nationaux. Paradoxalement, malgré la présence de représentants des minorités culturelles, aucun invité francophone n'était présent pour insérer la francophonie au centre du débat. Omission plutôt décevante par ailleurs et qui n'a pas manquée d'être soulevée par l'assistance.
Le creuset canadien, où convergent en une société cosmopolite les peuples de l'espace-monde, s'extériorise de plus en plus tel que le montre la statistique à l'effet que 19% des Canadiens sont nés à l'extérieur du pays. Pour emprunter la métaphore de Pierre Pettigrew, peut-être est-il temps de favoriser le passage de l'approche mosaïque à celle du kaléidoscope. Ensembles, égaux, mais différents. Certes, le respect des minorités est fondamental, mais l'établissement de ponts entre ces dernières l'est encore plus. Les citoyens du Québec se doivent de prêter une attention particulières aux travaux de la Commission Bouchard-Taylor, lesquels risquent d'être particulièrement intéressants et susceptibles de nourrir le débat.
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Patrick Forest
Candidat au doctorat en études internationales
Université Laval

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Postdoctorant en géographie à l'Université McGill - L'auteur a prononcé une allocution dans le cadre du Colloque sur la gouvernance de l'eau dans les Amériques, à l'Université Laval.





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