La lune de miel est terminée. Les premières salves sont lancées : Trudeau qui rejette la proposition de la déclaration d’impôt unique, Leblanc qui finasse sur la question des seuils d’immigration. Trudeau, encore, qui persiffle sur la laïcité, Rodriguez qui laisse tomber son masque et les civilités pour nous servir le mépris du Québec français.
Cela ira en s’accélérant et le signal en a été donné à la sortie du caucus de la CAQ : le tir groupé sur les déclarations de François Legault au sujet de cette chose aussi mal définie que l’islamophobie aura donné un avant-goût de ce qui l’attend lorsque son gouvernement déposera le projet de loi sur la laïcité. À Radio-Canada et dans de nombreuses officines du cartel médiatique, les chantres du multiculturalisme ont de plus en plus de mal à cacher leur jupon ; la nébuleuse diversitaire s’agite, publie, appelle à la censure, l’intolérance vertueuse s’affiche et se répand. La politique québécoise restera aussi fermement tenue coincée entre le consentement à la « normalisation » minoritaire et l’humiliation. C’est entre ces deux pôles – et entre eux seulement – que l’ordre canadian est déterminé à contenir le Québec.
Le gouvernement caquiste, qui a largement profité de l’effet de contraste avec le règne méprisant du gouvernement le plus antinational de notre histoire, va maintenant voir s’éroder son capital de sympathie. L’autonomisme dont il se réclame et qui, si l’on en croit les sondages, rallie une grande part de l’opinion va devoir s’incarner, se matérialiser dans des gestes politiques. Les bonnes intentions et la politique de concorde vont devoir passer le test du réel. Malgré les turbulences que provoquera le projet de loi sur la laïcité, le premier grand rendez-vous sera celui du budget. Il s’agira là d’un grand révélateur. Déjà, le discours des compressions qui n’en sont pas recommence à surgir. Le mythe tenace de la bureaucratie obèse donne toujours bonne bouche, mais il est d’ores et déjà évident que l’idée d’aller chercher encore 800 millions supplémentaires en « économies » sur le dos de la fonction publique ne peut signifier qu’un affaiblissement de l’État.
Il faut, en effet, rappeler avec insistance que la réduction des ressources de la fonction publique ne fera qu’aggraver un problème déjà aigu : le règne libéral a littéralement dépouillé la machine de l’État de nombre de compétences essentielles. Jadis objet d’une fierté nationale légitime et reconnue pour sa très grande compétence, notre fonction publique n’est plus que l’ombre de ce qu’elle a été. De fait elle est exsangue : non seulement a-t-elle subi l’opprobre et le mépris des néo-libéraux et en particulier de ceux-là qui ont sévi au cours des quinze ans de saccage libéral, mais elle a été condamnée à composer avec une médiocrité imposée à grands coups de PPP et de nominations partisanes, quand ce ne fut pas le patronage et la corruption. Le surplus dont se sont vantés les libéraux et que le gouvernement a cueilli comme une manne est un dangereux simulacre. C’est la somme de ce qui a été sacrifié non seulement de la qualité des services directs à la population, mais aussi des compétences de l’État.
L’épisode du gaz de schiste l’a révélé avec éclat : le ministre et le ministère ont reconnu avoir été pris de court par les événements, n’avoir pas les compétences fines requises pour faire face à ses responsabilités. C’est la mobilisation citoyenne qui a permis de limiter les dégâts, mais il est encore extrêmement difficile d’évaluer comment nous aura coûté collectivement ce déficit d’expertise. Une enquête publique reste à faire pour bien comprendre ce qu’aura coûté – et continuera de coûter longtemps – le parti-pris idéologique du privé dans les services de garde, sans parler de ce qui marine dans les eaux boueuses des aventures immobilières de la SIQ. Quant au plus grand scandale de corruption du MUHC qui est venu s’ajouter au choix obscène de confier la moitié du budget disponible pour construire un mégahôpital que ni les besoins ni le poids démographique des anglophones ne justifiaient, il ne fait qu’aggraver l’indécence qui afflige l’offre de services dans les régions. La nouvelle ministre n’a pas fini de répondre aux interpellations de citoyens outrés et aux abois. La gloutonnerie salariale des médecins et la posture de maitres chanteurs de leurs corporations ont déjà fait voir que rien ne sera cédé. Quand on a pu se jeter à deux mains dans l’assiette au beurre…
La vérité que la CAQ va devoir assumer et que son mandat va révéler de plus en plus crument, c’est que le gouvernement du Québec n’a plus les moyens de ses responsabilités. Les budgets de la santé et de l’éducation absorbent à eux seuls l’essentiel des ressources de notre demi-État. Cela condamne à une indigence certaine la plupart des autres missions en plus d’imposer des conditions de bricolage qui expose au risque de faire de mauvais choix et de se contenter de demi-mesures. Le discours autonomiste devra trouver les moyens de ses prétentions. Et c’est là que le bât va inévitablement blesser. Pour l’instant, le gouvernement, les médias et la plupart des bonimenteurs souscrivent à la rhétorique gestionnaire, mais cela ne durera pas. Les pressions de toutes sortes exercées sur les demandes de services par l’accélération du vieillissement de la population, les défis de la reconversion économique sous la poussée des exigences de la lutte aux GES et des nouvelles technologies, pour ne mentionner que ces deux ensembles de forces, vont imposer des choix qui vont faire craquer les dynamiques budgétaires et les moyens d’action de la province de Québec.
La combinaison du manque de ressources financières et de la privation des compétences essentielles pour assurer les fonctions nationales vont très rapidement rattraper ce gouvernement. Dans les débats qui s’en suivront, il lui faudra trouver une autre réponse que l’austérité. Les Québécois et Québécoises ont déjà trop souffert de cette fuite en avant. Il faudra leur faire comprendre qu’il n’y a pas moyen de satisfaire les attentes et de réaliser le potentiel de développement de notre société pourtant si inventive sans récupérer les dizaines de milliards versés en taxes et impôts à un gouvernement étranger qui n’a que faire de nos choix de développement. Les projets du gazoduc reliant l’Ontario à d’éventuels ports au Saguenay et celui du pipeline Énergie Est qui se trouvera au cœur de la campagne électorale fédérale en dresseront la cruelle évidence : le Canada est un pétro-État et son modèle de développement extractiviste est absolument contraire à nos intérêts nationaux.
Le mandat de la CAQ fournira l’occasion, encore une fois, de constater qu’une question nationale ne disparaît pas : elle se règle ou elle pourrit tout. Les tensions qui sont susceptibles de s’intensifier trouveront dans le déni actuel et sous le maquillage autonomiste un alibi et des subterfuges de moins en moins efficaces. Il faudra faire comprendre au gouvernement Legault qu’il aura à regarder du côté du régime pour régler les problèmes au lieu de faire comme les libéraux et de s’en prendre à son propre peuple. Plus impérativement que jamais, il faudra sortir de la politique politicienne pour traiter des enjeux avec la hauteur de vue requise.
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