Les missiles de croisière dirigés contre la base d’Al-Chaayrate recentrent l’attention sur la guerre en Syrie. Ce conflit qui débute en 2011 est le point focal des relations internationales, car s’y affrontent des coalitions représentant des conceptions géopolitiques opposées. […]
La priorité de l’État syrien est la sécurisation de l’ouest du pays, où se trouvent les quatre cinquièmes de la population. Refouler les djihadistes n’est pas une opération militaire classique, car ils disposent de bunkers souterrains, sont bien équipés par leurs commanditaires internationaux et utilisent les civils comme boucliers humains. Même s’ils sont difficiles à déloger, ces irréguliers ne font pas le poids devant l’armée syrienne. D’où les scénarios chimiques pour amener leurs soutiens étrangers à s’impliquer directement contre la Syrie.
La reprise d’Alep-Est en décembre 2016 met fin aux dernières velléités d’abattre l’État syrien. Cependant, quelque 70 000 djihadistes sont cantonnés dans la région d’Idleb (nord), 20 000 autour de Deraa (sud), 20 000 dans la banlieue de Damas et 10 000 entre Homs et de Hama. Al-Qaida et ses dérivés, ainsi que Daech, dominent ces phalanges.
En même temps, les négociations à Genève peinent à démarrer. Aucun des dossiers n’a encore été abordé. Les djihadistes persistent à croire qu’ils peuvent obtenir à Genève le renversement de régime qui n’est pas à leur portée en Syrie. Pourquoi ? Les véritables décideurs du camp djihadiste sont les pays étrangers qui les commanditent et ceux-ci ne parviennent pas à se départir de la chimère d’une chute du régime. L’incohérence et la cacophonie dans la politique américaine entretiennent leurs espoirs et sont un facteur de continuation de la guerre.
Trump aux abois
Candidat désireux de mettre fin aux ingérences américaines à l’étranger, Trump laissait prévoir une politique nouvelle en Syrie. Mais il est aux abois depuis son élection. L’establishment néoconservateur et néolibéral, maître de l’« État profond », des services de renseignements et des médias, met à mal cet intrus par des allégations incessantes d’accointances coupables avec la Russie. Le président serait à la solde de l’étranger. Une épée de Damoclès pend au-dessus de sa tête, l’exposant au chantage, non de la Russie, mais de ses adversaires qui flairent la destitution (impeachment). L’opération consiste à le mettre au pas et le retourner ou, à défaut, sonner l’hallali. […] La lutte au sommet est impitoyable. Trump va d’échec en échec. Assiégé, l’étau se refermant autour de lui, il largue des collaborateurs honnis par les néocons, d’abord Flynn en février, ensuite Bannon deux jours avant l’attaque contre la Syrie. Coïncidence ou pas, quelques jours après qu’il eut évoqué une normalisation avec la Syrie, des images d’horreurs « chimiques » sont diffusées et le font virer capot. En bombardant la Syrie, Trump fait volte-face et adopte la politique de ses adversaires pour alléger la pression qu’ils exercent sur lui. Est-il devenu l’exécutant apprivoisé de l’« État profond » ou est-ce une simple gesticulation d’un désespéré ?
En Syrie, si l’impact militaire est nul, le revirement de Trump aura des conséquences. Les djihadistes sont confortés. Ils obtiennent l’intervention directe et revendiquée des États-Unis. On peut prévoir une répétition des scénarios chimiques à l’avenir, l’opération étant payante, comme le versement de rançons à des ravisseurs. La guerre dont la fin se profilait à l’ouest se prolongera, tandis que les pourparlers à Genève sont désormais sur respirateur artificiel.
Guerre à plusieurs acteurs à l’est
Les objectifs de la guerre déclenchée contre la Syrie en 2011 sont le démantèlement de l’État et le partage du pays. Le premier s’avère irréalisable. L’autorité de l’État syrien est en voie d’être complètement rétablie à l’ouest. Mais le second n’est pas abandonné. Il concerne le centre et l’est où Daech s’est installé en 2014, faisant réagir les Kurdes, lesquels inquiètent la Turquie, base arrière de Daech.
L’élimination de « l’État islamique » est à l’ordre du jour depuis 2016. La Syrie revendique tout son territoire et, suite à la stabilisation de l’ouest, engagera ses forces à l’est. Entre-temps d’autres s’activent : Kurdes aux ambitions autonomistes, Turquie aux vues expansionnistes, États-Unis voulant intervenir selon les circonstances et cherchant une présence militaire permanente, Russie secondant la Syrie, sans oublier Daech qui compte bien perdurer.
Ostensiblement, tous sont contre Daech, mais ils s’opposent aussi les uns aux autres, ce qui permet à Daech d’espérer tirer son épingle du jeu. Chacun veut être celui qui prendra Raqqa, « capitale du califat », et damera le pion aux autres. Il en résulte un chassé-croisé étourdissant de collaborations éphémères, suivies de combinaisons tout aussi provisoires, un théâtre d’ombres obscurci par les rapports fluctuants entre la Turquie, la Russie et les États-Unis hors de la Syrie.
En aucun cas la Turquie n’admettrait une région autonome kurde à ses frontières. Mais la Syrie, appuyée par la Russie n’acceptera jamais que la Turquie lui ampute une « zone sécurisée ». Les États-Unis épaulent les Kurdes contre Daech, mais souscrire à l’autonomie kurde leur aliénerait leur allié turc. Comment finasser ? Le mois dernier les États-Unis ont opté pour les Kurdes, mais quand les lâcheront-ils ? Ne seront-ils, en fin de compte, que de la chair à canon ? Les États-Unis entraveront la récupération par la Syrie de ses provinces orientales, mais pour superviser leur remise à qui ? L’enjeu est l’intégrité territoriale de la Syrie ou son dépeçage.
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