Gérard Bouchard et le pluralisme désintégrateur

Tribune libre

Depuis son retour de Harvard l’été passé, le preux chevalier du pluralisme identitaire piaffe d’impatience de reprendre sa croisade vouée à l’ouverture du cercle identitaire de la majorité et à la mise au rancart des vieilles souches encombrantes du terroir québécois: «l’historien et sociologue Gérard Bouchard organise un grand symposium international autour du concept d’interculturalisme. Le gouvernement du Québec et le Conseil de l’Europe vont parrainer l’événement, ce qui lui donne un caractère plus officiel», nous révélait le journal Le Devoir en date du 12 janvier passé.
En juin 2008, il s’était porté à la défense de l’héritage pluraliste de René Lévesque pour repousser les critiques de ses détracteurs qui se faisaient de plus en plus nombreux, Gérard Bouchard les accusaient d’user de «prétextes fallacieux, ces réactions sont en train de déplacer le débat vers des terrains où tous les Québécois auront à perdre. J'obéis aussi à un autre motif, plus personnel. Au cours des derniers jours, on m'a montré du doigt ici et là pour me reprocher d'avoir manqué à mon devoir qui était de veiller, en ma qualité de coprésident, aux intérêts du groupe majoritaire dont je suis issu.»
Il avait aussi indiqué que «Cette remarque - il me déplaît d'avoir à le préciser - vise tout particulièrement certains représentants de la famille de pensée politique à laquelle j'appartiens depuis plus de quarante ans et dont les prises de position menacent de compromettre le pluralisme en matière de rapports ethniques, cette grande tradition instaurée par le Parti québécois lui-même et qui a fait honneur à notre société. Quelques ténors nationalistes, en effet, sont en train de prendre l'initiative du débat pour lui imprimer une orientation néfaste, susceptible de creuser des clivages ethniques et d'instituer des tensions déplorables entre Québécois. Il s'agit là d'une rupture radicale avec l'héritage de René Lévesque.»
Au printemps de 2009, M. Bouchard avait témoigné en faveur des cours d’Éthique et de culture religieuse (ÉCR), ce qui lui avait valu une certaine critique de la part de Mathieu Bock-Côté: «Aujourd’hui, nous dit Bouchard, « toutes les nations véritablement démocratiques » se réclameraient du pluralisme identitaire. Cette rhétorique relève de l’intimidation académique. D’abord parce qu’elle occulte le fait, pourtant reconnu par Bouchard, que dans toutes les sociétés occidentales, le multiculturalisme est d’abord la doctrine de l’intelligentsia et n’est en rien partagée par les populations qui n’en finissent plus de lui adresser des critiques. Ensuite, parce que Gérard Bouchard confisque ainsi la démocratie pour lui seul et accuse brutalement ses contradicteurs de ne pas être démocrates. Il laisse planer la rumeur qu’ils seraient animés par des passions malsaines qui mèneraient à la crispation identitaire. En m’opposant à la « philosophie pluraliste » découverte après les horreurs du dernier siècle, je témoignerais donc de mon insensibilité à ces horreurs, sinon, de ma complaisance devant elles. Cela n’a évidemment aucun sens et un professeur aussi distingué que Gérard Bouchard devrait se garder d’un tel usage de la méthodologie du soupçon. On peut même croire que cette mentalité inquisitrice, qui amène les procureurs du multiculturalisme d’État à dépister les symptômes de l’intolérance chez ceux qui ont le malheur de les contredire, est responsable en grande partie du malaise démocratique des sociétés contemporaines, où la souveraineté populaire est systématiquement censurée lorsqu’elle contredit les prescriptions des ingénieurs sociaux.»
Cet analyste des peuples déclare « que tous les habitants du Québec sont des Québécois qui, ensemble, forment une nation spécifique. Il stipule qu'il y a une identité québécoise en formation depuis quelques décennies, nourrie principalement de la tradition francophone. Et il soutient qu'il faut en priorité fortifier cette tendance qui tend à supprimer ou à atténuer les clivages ethniques Eux/Nous.»
Il précise par la suite que l’«on doit tout de même admettre que cette nouvelle identité ne peut pas être imposée à qui que ce soit. Chaque citoyen a le droit, s'il le désire, de conserver une référence à ses racines et de cultiver une appartenance ou une identité particulière, parallèle à l'autre et en relation avec elle. Pour ces deux raisons, il arrive parfois qu'on doive parler de Québécois d'origine juive, de Québécois d'origine italienne ou antillaise, etc. Pourquoi, suivant la même logique, serait-il condamnable de parler de Québécois d'origine canadienne-française, en particulier à l'intention de ceux qui tiennent à cette référence? L'expression est parfaitement neutre, précise et équitable, et elle correspond à la réalité historique.»
Pour les descendants de la Nouvelle-France bafoués par la récupération de leurs symboles par l’envahisseur et ses assimilés qui sont toujours très actifs au chapitre du nettoyage ethnique, être québécois, c’est le résultat d’une métamorphose identitaire servant à soustraire les habitants majoritaires de ce territoire québécois du piège identitaire qu’est devenu l’étiquette canadienne-française.
En dehors du Québec, M. Bouchard sait très bien que les canadiens-français sont en grande partie assimilés et sont toujours prompts à manifester une certaine méfiance se traduisant invariablement par un réflexe de dissociation face aux aspirations légitimes de leurs frères et sœurs du Québec.
Pour revenir aux idées défendues par M. Bouchard: un québécois d’origine juive, italienne ou antillaise est une illusion, au mieux une chimère. Pour ces trois communautés aux identités marquées, massivement anglicisées ou américanisées - au choix - leur loyauté s’exprime avant tout envers les leurs. Parmi ces trois communautés, ceux qui se considèrent comme étant québécois sont très marginaux.
Étant un chercheur voué à l’étude des peuples, c’est un peu désolant de constater à quel point M. Bouchard a de la difficulté à décoder ce qui se passe avec son propre peuple et les minorités qui lui qui résistent et portent entrave à son destin national, comme la communauté anglophone à laquelle ils se rallient massivement.
Pour le gouvernement en place à Québec, la commission itinérante Bouchard-Taylor aura été un exercice sans conséquences servant à valider le port de signes religieux ostentatoires dans certains emplois de la sphère publique. À la même occasion, l’œuvre de Bouchard-Taylor a facilité la réintroduction de la religion à l’école par les cours d’Éthique et de culture religieuse. La commission B.-T. a minimisé les accommodements aux caprices religieux des communautés culturelles réfractaires à la majorité et ouvertes sur les mythes entretenus par cette autre charte instrumentalisée par le Canada pour court-circuiter l’intégration à la majorité au Québec.
L’immigration massive et la langue sont deux aspects que M. Bouchard et ses pluralistes désintégrateurs éviteraient à tout prix. Voici une petite question de démocratie à laquelle j’aimerais voir M. Bouchard se prononcer: est-ce que les québécoises et les québécois – je ne parle pas ici des électeurs de Jean Charest – ont voté pour l’immigration massive ou le port du voile dans la fonction publique?
En date du trois février, certains des anciens employés de la commission Bouchard-Taylor se sont portés avec empressement au secours de Gérard Bouchard en publiant à la hâte leur Manifeste pour un Québec pluraliste, rédigé en réaction au «virage dangereux du débat sur l’identité.» On penserait que c’est un texte qui aurait été concocté lors d’un atelier de Québec solidaire.
Se réclamant d’une vision ouverte, pluraliste et moderne - fiers de leurs diplômes - les auteurs de ce texte et la centaine de suiveux qui l’ont endossé condamnent sans réserve toute contestation qu’ils réduisent automatiquement à de la démagogie ou à de l’exagération. C’est là un procédé de la presse jaune fédéraliste maîtrisé à merveille par Rima Elkouri.
Leur analyse dédaigneuse de l’identité, de la culture ou de la mémoire collective de la majorité québécoise cherche à faire un amalgame tiré par les cheveux entre ce qu’ils perçoivent comme étant un nationalisme conservateur et une laïcité stricte, ce qui les amène à assimiler toute volonté d’affirmation de la prérogative d’intégration à la majorité comme de l’intolérance et de la crispation identitaire. Ils opposent ce nationalisme suspect et cette laïcité caricaturée à l’ouverture et à la modernité de l’interculturalisme, prétendant qu’il y a là un devoir d’adaptation réciproque lorsqu’en pratique, l’ouverture se fait à sens unique, du moins la plupart du temps.
Les auteurs de ce manifeste du pluralisme clament que: «C'est à tort que l'on revendique parfois la laïcité comme si ses principes étaient absents de notre culture publique. Au Québec, l'État élabore les normes collectives indépendamment des groupes religieux ou de conviction.»
Un exemple magistral pour réfuter leurs thèses sur la laïcité de la culture publique, qui vient également confirmer la notion d’ouverture à sens unique abordée précédemment, c’est lorsque la ministre Michelle Courchesne a décrété à la sauvette la modification au calendrier scolaire en branlant dans l’manche pendant quelques semaines pour mettre le milieu de l’éducation bien à l’aise. Hier, elle a indiqué qu’il s’agissait là de la meilleure entente possible pour rendre légales les écoles juives illégales.
Aujourd’hui, la ministre a prétendu que son décret taillé sur mesure pour six écoles juives après deux ans de négociations «n'était pas le seul objectif que poursuit le gouvernement avec le projet de règlement. Je fais d'une pierre deux coups.»
Soutenant maintenant que son seul objectif consiste à favoriser la réussite scolaire des jeunes en difficulté par un assouplissement du calendrier scolaire et de fixer les nombres d’heures requises pour les matières obligatoires, elle se dit fière d’avoir enfin réglé, ce faisant, le problème des écoles juives illégales.
Je ne suis pas tout à fait certain de ce qu’elle a réglé. Mais, en conclusion, j’aimerais en profiter à nouveau pour souligner que l’État québécois est un des seuls au monde à financer ses écoles privées à hauteur de 65%, ce qui est un autre accommodement fort discutable.
Daniel Sénéchal
Montréal


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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    13 février 2010

    @Serge Charbonneau
    Cher mouton noir de QS,
    Juste pour vous rassurer que vous n'êtes pas le seul à exhiber un pelage noir, si ça peut être rassurant. J'ai moi-même adhéré à QS, en raison de ses options sociales et écologistes. J'ai même participé à la campagne du candidat local aux Îles.
    Mais lorsque ce parti prend position sur la laïcité et les accommodements dits raisonnables, là mon pelage se dresse et je fais partie des moutons qui refusent de se jeter en bas du cap, à la suite des quelques leaders atteints de « la maladie du mouton cinglé : maladie chronique et incurable ; à de rares exceptions près, tous les moutons en sont atteints. Les moutons atteints restent les mêmes, mais en pire. En cas de crise, le seul remède est de se planquer en attendant que ça passe. »
    (http://desencyclopedie.wikia.com/wiki/Mouton)
    « Solidairement » noir,
    Raymond Gauthier
    Îles de la Madeleine

  • Serge Charbonneau Répondre

    12 février 2010

    Merci et bravo pour ce texte.
    Je partage entièrement votre point de vue.
    J'ai spécialement apprécié certains passages, entre autres:
    « leur Manifeste pour un Québec pluraliste, rédigé en réaction au « virage dangereux du débat sur l’identité. » On penserait que c’est un texte qui aurait été concocté lors d’un atelier de Québec solidaire. »
    Ça m'a fait bien rire.
    Je suis membre de QS. Lors du dernier «atelier sur la laïcité» au mois de novembre dernier juste avant le vote au Congrès sur le port des signes religieux pour les agentes de l'État, nous avons pris à l'unanimité lors de cet atelier l'option de reporter cette décision difficile. Par contre, en assemblée plénière, par une procédure rapide et j'oserais dire défectueuse, cette option n'a pratiquement pas été discutée, la passion a pris toute la place. La direction de QS voulait régler au plus vite cet épineux dossier.
    Voilà où nous en sommes, il y a beaucoup de division entre nous.
    J'ai spécialement apprécié le passage: «Se réclamant d’une vision ouverte, pluraliste et moderne - fiers de leurs diplômes - les auteurs de ce texte et la centaine de suiveux … »
    Serge Charbonneau
    le mouton noir de QS