J’ai rencontré Gaëtan Brulotte à Paris.
Puis nous sommes devenus des amis.
Enfin, je l’ai lu. Pour être franc, certains de ses ouvrages seulement.
Et je n’ai pas éprouvé ce sentiment désagréable, trop fréquent, de devoir choisir entre la vérité et l’amitié, entre la lucidité littéraire et la relation chaleureuse.
Au contraire, les premières ont amplifié les secondes.
Gaëtan Brulotte n’est pas un tout jeune écrivain, fulgurant comme Raymond Radiguet, il n’est pas maudit ni ostracisé, pas né de la dernière pluie.
Il est né en 1945 et il est considéré, au Québec, comme un immense écrivain. Une grande partie du monde connaît et apprécie son œuvre multiple.
Mais la France qui est toujours en retard pour quelque chose traîne de l’esprit, de l’estime et de l’admiration en ce qui le concerne. C’est une injustice, un scandale : il ne faut pas avoir peur des grands mots pour qualifier les grandes aberrations.
À titre personnel j’avoue déjà mon plaisir, quand je le rencontre, à relier sans aucune difficulté l’auteur célébré et l’homme charmant et convivial, le premier et le second ayant su se délester de l’inévitable narcissisme qui gangrène même les âmes les plus rétives à l’encens. Gaëtan Brulotte offre une simplicité, une intelligence, une délicatesse qui révèlent beaucoup sur l’humain, infiniment sur le créateur.
Et celui-ci, depuis son premier roman exceptionnel, L’Emprise, en 1979, a su manifester une richesse et une invention sans commune mesure avec les littérateurs étriqués et réduits pourtant vantés à proportion même de la pauvreté de leur imagination.
[…]
Le Québec a reconnu à sa juste valeur la qualité, la diversité et la profondeur d’une œuvre capable d’une palette inouïe et à l’aise dans tous les registres. Elle a obtenu une quinzaine de prix prestigieux, est reprise dans des anthologies de la littérature française et canadienne, a bénéficié d’adaptations pour le cinéma, la télévision, la radio et la scène.
Pourquoi la France demeure-t-elle à la traîne, alors que Dany Laferrière, de la même génération que Brulotte, l’un et l’autre étant proches, vient d’être élu à l’Académie française et que, pour rester poli, le second dépasse pourtant le premier ?
Sans doute ce malentendu a-t-il pris sa source en 1979 quand Gaëtan Brulotte a dû arbitrer L’Emprise entre un prix québécois prestigieux et un éditeur français. Il a choisi la première option. Mais aujourd’hui, cela date. Il serait temps d’éditer Gaëtan Brulotte en France et de le faire lire aux passionnés de littérature si peu étrangère qu’elle semble nous avoir été destinée de toute éternité, qu’elle est naturellement pour nous.
Il serait inconcevable, parce que notre pays ne serait pas amateur de nouvelles – que d’exemples contraires pourtant ! -, de le priver d’un genre dans lequel Gaëtan Brulotte excelle et qui, il y a quelques années, a été consacré par un prix Nobel de littérature. Je songe en particulier au Surveillant et surtout à son dernier recueil qui porte ce très beau titre : La Contagion du réel.
Dans ces nouvelles, je retrouve la tonalité d’un Marcel Aymé facétieux, ironique et tragique, une atmosphère qui donne toute leur place aux coups du sort, aux caprices drôles ou dramatiques du destin, à des hasards qui font ou défont une existence. Avec un style dru, dense, sans apprêt, parfois joliment familier, accessible mais sans vulgarité. Des pages qui font rire, s’émouvoir, réfléchir ou s’attrister. La condition humaine et ses facettes contrastées.
Pourquoi La Contagion du réel n’irait-elle pas jusqu’à atteindre notre pays ?
Cette interrogation sur « qui est Gaëtan Brulotte ? » deviendrait absurde en France.
Extrait de : Qui est Gaëtan Brulotte ?
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