Franco Fava nie en bloc

Commission Bastarache




Karim Benessaieh - Franco Fava, l'argentier libéral au coeur du témoignage de Marc Bellemare, celui qui aurait fait des pressions «colossales» pour forcer la nomination de trois juges, nie tout, et en bloc. Il ne connaît «absolument pas» les juges en question, n'a jamais communiqué avec M. Bellemare «au ministère, sur son portable, à la maison ou à l'hôpital», bref n'a jamais fait de représentations pour nommer aucun juge que ce soit.
En fait, a résumé cet après-midi M. Fava lors de son interrogatoire par le procureur de la commission Bastarache, Giuseppe Battista, «quand cette histoire est sortie (en avril 2010), j'avais l'impression de me retrouver dans un scénario avec un auteur et des acteurs. Je ne reconnaissais pas du tout dans cette pièce-là.»
Les trois juges mentionnés par M. Bellemare, soit Michel Simard, Marc Bisson et Line Gosselin Després, il ne les connaissait «pas du tout», a-t-il martelé. «C'est totalement faux, je ne le connais pas cet individu-là (Marc Bisson), ni aucun des deux autres, je ne connais aucune de ces trois personnes-là. Faites-les venir et posez-leur la question.»
«Ce n'est pas quelque chose qui m'intéressait, la nomination des juges, j'en avais rien à foutre avec ça.», a-t-il ajouté plus tard.
Il a cependant reconnu que son vieil ami Charles Rondeau lui avait avoué à quelques occasions être intervenu auprès de M. Bellemare pour mousser la candidature de Michel Simard au poste de juge en chef. «Quand il me l'a dit, je lui ai presque fait un reproche, je lui ai dit «Pourquoi tu fais ça?» C'était une personne qu'il connaissait, il m'a expliqué pourquoi il avait fait ça.»
La seule rencontre notable que M. Fava a reconnu avoir eue avec Marc Bellemare, c'était au ministère de la Justice le 12 décembre 2003, a précisé M. Fava. La réunion a eu lieu «en présence d'une armée de monde», à la demande de M. Bellemare qui souhaitait que M.Fava, à titre de membre du conseil d'administration de la SAAQ, lui donne son avis sur le projet de loi de réforme des tribunaux administratifs. M. Fava s'est en outre souvenu d'une occasion, le lendemain de la victoire des libéraux en avril 2004, où il aurait félicité M. Bellemare pour sa victoire.
Il a profité de l'occasion pour expliquer sa perception d'un épisode nébuleux décrit par M. Bellemare, qui a affirmé avoir appris de la bouche de M. Fava qu'il allait devenir ministre de la Justice. «Je le lui ai probablement dit, je ne m'en rappelle plus. On faisait ça pour s'amuser à la permanence du parti, on faisait notre conseil des ministres. On savait tous que M. Couillard, par exemple, allait aller à la Santé. (Pour M. Bellemare), on s'amusait à faire des devinettes, c'était presque une petite loterie.»
M. Fava a décrit d'entrée de jeu son travail de «solliciteur de fonds» au PLQ depuis 1983, date à laquelle il a participé au financement de la course au leadership de Robert Bourassa. Selon ses dires, M. Fava pouvait récolter «environ 1,5 million» par année pour les 33 comtés de l'est du Québec sous sa responsabilité. Il a cependant dû se contenter d'un territoire limité à partir de 2003, année où Jean Charest a pris le pouvoir. Celui qui se décrit comme un «militant» d'abord s'est alors vu confier l'organisation des deux activités les plus importantes du PLQ dans la région de Québec, le cocktail et le tournoi de golf du premier ministre.
«C'était des activités où on avait des beaux succès de financement parce qu'on présentait une bonne brochette de députés présents», a expliqué M. Fava à Me Battista. Ces deux activités cruciales étaient organisées en collaboration avec Charles Rondeau et Marcel Leblanc, a-t-il précisé, et les trois hommes ne tenaient pas une comptabilité précise de ce que chacun rapportait. «On ne tenait pas de score. Je ne peux pas dire que j'ai ramassé 50 000$, ça importait peu, ce n'était pas un concours de popularité. On essayait d'organiser des activités populaires. Je présume que M. Charest savait combien elles rapportaient.»
M. Fava a été identifié comme étant responsable de pressions «colossales» sur Marc Bellemare, à l'époque où celui-ci était ministre de la Justice, d'avril 2003 à 2004. Dans son témoignage, dès le premier jour, M. Bellemare avait soutenu que M. Fava était intervenu plusieurs fois au cours de l'été 2003 pour obtenir la nomination de Marc Bisson, fils d'un organisateur libéral de l'Outaouais, comme juge à Longueuil. En 2004, M. Fava aurait également exigé que la cousine du ministre du Travail de l'époque, Line Gosselin Després, accède au poste de juge à la Chambre de la jeunesse. M. Fava aurait rencontré le ministre à quatre ou cinq reprises dans des restaurants de Québec et il a passé une dizaine de coups de fil à son cabinet. «Il était comme chez lui, chez moi», a résumé l'ex-ministre.
M. Bellemare a également affirmé voir vu M. Fava remettre une impressionnante liasse d'argent à un permanent du PLQ dans un restaurant bien connu de Québec, le Michelangelo.
Lors de son témoignage cet après-midi, Franco Fava a décrit la stupéfaction de voir son nom à la une des journaux lors de son retour au Québec en avril dernier -il passe l'hiver à l'étranger, a-t-il expliqué.
«Je regarde tout ça, je me dis : «Ils sont tombés sur la tête!». Ç'a été ma première réaction, il y a quelqu'un qui hallucine. J'ai dit : «Je ne me laisserai pas piler sur les pieds, ce n'est pas mon genre, je vais donner une journée de ma retraite pour répondre à tous les médias. La journée du mardi, j'ai donné ma version des faits et j'ai fermé les livres.»
Toute cette controverse, qu'il voit comme «une vendetta entre M. Bellemare et M. Charest», lui pèse énormément, a-t-il déclaré. «J'ai hâte de retourner à la retraite et je commence drôlement à en avoir ras-le-bos.»
Son témoignage se poursuivra demain matin.
Le commissaire s'impatiente
À la reprise des travaux, au retour du dîner, l'avocat de Marc Bellemare, Jean-François Bertrand, a pu terminer son contre-interrogatoire grâce à une concession étonnante du commissaire Bastarache. Celui-ci, excédé en matinée par les questions qu'il jugeait «hors d'ordre» de Me Betrand, lui a cependant accordé une demi-heure «pour poser toutes ses questions», suggérant qu'il n'interviendrait pratiquement pas.
Pour son entrée en scène ce matin, Me Bertrand avait eu droit à un accueil pour le moins mouvementé. Nettement plus combatif que son prédécesseur, M. Bertrand a soulevé sans relâche les objections de ses collègues et s'est fait rabrouer sans ménagement par le commissaire Michel Bastarache lui-même.
Jusque-là flegmatique, le commissaire a perdu patience en milieu de matinée lors du contre-interrogatoire de l'argentier libéral Charles Rondeau par Me Bertrand. L'avocat de M. Bellemare tentait notamment d'en savoir plus sur les liens privilégiés entre M. Rondeau et Chantal Landry, présentée comme la responsable des embauches partisanes dans le nouveau gouvernement Charest, en 2003. Le commissaire a signalé que ce contre-interrogatoire était hors d'ordre et dépassait le mandat de la commission. Me Bertrand l'a interrompu à plusieurs reprises.
«C'est du harcèlement, a lancé M. Bastarache. Passez à la question de la nomination des juges. Je veux que vous posiez des questions pour qu'on termine ce contre-interrogatoire.»
Fait cocasse, Me Bertrand s'est montré cinglant envers l'avocat du PLQ, André Dugas, quand celui-ci a affirmé «en perdre son latin». «Dans la mesure où vous le parlez...», a laissé tomber Me Bertrand.
En ouverture, ce matin, les procureurs de la commission se sont montrés inquiets des révélations faites notamment hier soir à l'antenne de Radio-Canada, sur le «caviardage» de certains documents déposés devant la commission. On a évoqué le fait que le qualificatif «péquiste» avait été biffé à côté du nom d'un juge. Le procureur, Giuseppe Battista, a tenu à rappeler que des «réputations pouvaient inutilement être salies» si les médias ne respectaient pas les règles de confidentialité établies par la commission.


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