Le « meilleur élève de la classe », le « sauveur », « l’habileté faite homme » et même le « vice-président ». N’en jetez plus ! Une fois n’est pas coutume, tels sont quelques-uns des qualificatifs élogieux que réserve la presse française au ministre de l’Éducation d’Emmanuel Macron, Jean-Michel Blanquer. Alors que la plupart de ses prédécesseurs n’ont été épargnés ni par les médias ni par les mouvements de protestations, le nouveau ministre a réussi en quelques mois le tour de force de devenir la coqueluche du gouvernement, malgré ses airs un peu gauches et son manque de charisme évident.
Jeudi soir, il se sortait avec brio de plus de deux heures d’entrevues en direct à la télévision dans le cadre de la grande Émission politique que propose périodiquement la chaîne publique France 2. C’est à peine si ses contradicteurs, comme son prédécesseur Jack Lang ou le député de La France insoumise Alexis Corbière, sont parvenus à égratigner celui qui possède ses dossiers sur le bout des doigts. Le ministre a été jugé convaincant par plus de 70 % des téléspectateurs, battant à plate couture ses prédécesseurs, comme Marine Le Pen et le premier ministre Édouard Philippe. Il trouve même le moyen d’être plébiscité dans les sondages par 72 % des électeurs de droite et 52 % de ceux de gauche.
« Ni droite ni gauche »
Il faut dire que ce spécialiste de l’Amérique latine baigne depuis quinze ans dans l’administration scolaire, où il a occupé quelques-uns des postes les plus prestigieux. Il a notamment été recteur de l’Académie de Créteil, où il a mis en pratique quelques-unes de ses thèses. Avant de rallier Emmanuel Macron, chose rare, il a pris le soin de faire connaître ses propositions dans un livre, L’école de demain (Odile Jacob). On raconte que cet ami d’enfance de l’ancien ministre François Baroin aurait aussi bien pu être le ministre de l’Éducation d’Alain Juppé et de François Fillon que d’Emmanuel Macron.
Est-ce un de ses secrets ? Au printemps dernier, l’homme est arrivé à la tête de ce que les Français surnomment le « mammouth » sans proposer de révolution, comme c’est pourtant devenu la règle en éducation depuis des décennies. Sa première mesure, à l’apparence anodine, a consisté à faire la rentrée 2017 en musique. Partout, il a mobilisé les orchestres et même dépêché l’orchestre philharmonique de Paris dans les banlieues. Avec sa collègue de la Culture, il a annoncé qu’il allait promouvoir les chorales dans tous les établissements. Les Français n’ont pas pu s’empêcher de penser aussitôt à Clément Mathieu, ce professeur chaleureux et exigeant incarné par Gérard Jugnot dans le film Les choristes.
Le message était clair. Le ministre entendait revenir aux fondamentaux : « lire, écrire, compter et respecter autrui », répète-t-il en boucle. Coup sur coup, il a annoncé un certain nombre de décisions symboliques qui ont réconforté les parents : retour aux cours de latin et de grec offerts dans les écoles secondaires et à l’enseignement chronologique de l’histoire et de la littérature, interdiction complète du téléphone portable à l’école, retour du par coeur, des récitations de poésie et de la dictée au primaire et création d’unités dans chaque académie afin d’épauler les enseignants dans le respect de la laïcité. Sans oublier la suppression du « prédicat », « notion inutilement complexe », a-t-il déclaré, lequel était destiné à remplacer le bon vieux complément d’objet dans les grammaires et auquel personne n’avait encore rien compris. Lorsqu’on lui a demandé ce qu’il pensait de l’écriture dite « inclusive », il a répondu :
Le jour où on parviendra à faire diminuer le nombre de femmes battues avec des “.e” à la fin des mots, on en reparlera
— Jean-Michel Blanquer, à propos de l’écriture dite « inclusive »
S’il considère que l’école est d’abord un lieu de transmission du savoir, on sent bien que Jean-Michel Blanquer ne veut pas se faire coller l’étiquette d’un conservateur ou d’un progressiste. Comme son prédécesseur, le ministre de Mitterrand Jean-Pierre Chevènement, il aurait tendance à se définir comme « un conservateur… du progrès ». Un autre de ses prédécesseurs, le centriste François Bayrou, dit aussi de lui qu’« il incarne le bon sens. Or, le bon sens n’est ni de droite ni de gauche ».
Un « bain de langage »
Ainsi le ministre entend-il concentrer ses efforts sur le primaire et la maternelle, qui dure trois ans en France. Il veut, dit-il, immerger les enfants dans « un bain de langage ». Partisan de la méthode syllabique d’apprentissage de la lecture contre la méthode dite globale, le ministre ne veut surtout pas ressusciter les vieilles polémiques. Pour cela, il dit se contenter d’appliquer les « méthodes qui marchent ». Selon lui, pour les enfants en bas âge, les sciences cognitives ont donné raison aux partisans des méthodes d’apprentissage explicites comme le syllabique en lecture et le calcul mental en mathématiques. Des capacités qu’il faut, dit-il, acquérir très tôt si l’on veut éviter les déficits plus tard.
« Dresser ce constat, ce n’est pas être rétrograde, écrit-il. Il s’agit plutôt de reconnaître sans détour que [depuis des années] l’imprégnation du langage et la maîtrise des savoirs fondamentaux ont cessé d’être une priorité. » Cette semaine, le ministre confiait au magazine Le Point que « beaucoup de choses qu’on analyse comme relevant du passé […] relèvent en réalité de l’éternité ».
Depuis son arrivée rue de Grenelle, Jean-Michel Blanquer s’est donc entouré de scientifiques. Pour valider ses décisions, il en a nommé à plusieurs comités. Parmi eux, citons le titulaire de la Chaire en psychologie expérimentale au collège de France Stanislas Dehaene, qui préside le Conseil scientifique chargé notamment de la formation des maîtres, le mathématicien et médaillé Field Cédric Villani, à qui il a confié une mission sur l’enseignement des mathématiques, et le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, qui devra réfléchir à la maternelle.
Un peuple conservateur ?
Pour le sociologue de gauche François Dubet, interviewé sur France Inter, les succès de Jean-Michel Blanquer prouvent que « les Français, en matière d’école, sont conservateurs ». Le sociologue se dit cependant favorable à la réforme, qui simplifiera le baccalauréat, cet examen incontournable qui précède l’entrée à l’université. Jean-Michel Blanquer veut réduire à quatre le nombre des matières évaluées et créer un « grand oral » où chaque élève devra défendre dans une langue soutenue et pendant vingt minutes le résultat d’une recherche et répondre à des questions.
Plusieurs ont vu dans ce nouveau baccalauréat une forme d’« individualisation du diplôme ». Or, le développement d’un enseignement à la carte, à l’exemple des cégeps au Québec, est justement ce que certains craignent le plus. Les syndicats redoutent notamment un accent plus grand mis sur l’évaluation continue des élèves. Une façon de faire qui pourrait, disent-ils, accentuer l’écart entre les écoles des milieux défavorisés et celles de l’élite.
Sur un plan plus politique, la popularité de Jean-Michel Blanquer souligne un dernier paradoxe, faisait remarquer dans le magazineMarianne l’historien Jacques Julliard. « Le domaine où Emmanuel Macron aura, pour le moment, le plus changé la donne » est l’éducation.
> Lire la suite sur Le Devoir.