Foules sentimentales

Quand les amuseurs publics remplacent les journalistes ou que ces derniers se prennent pour les premiers, il ne faut pas se surprendre de la volatilité des électeurs.

2 mai 2011 - Que s'est-il donc passé?



Pour l'observateur étranger, l'élection canadienne de lundi dernier avait des airs de déjà-vu. Plus qu'à la vague adéquiste de 2007, cette volte-face électorale m'a fait penser au 21 avril 2002. Sans que rien n'annonce un tel cataclysme, les électeurs français avaient alors éliminé le socialiste Lionel Jospin au premier tour de l'élection présidentielle au profit du chef du Front national (FN) Jean-Marie Le Pen.
À l'exception d'un certain populisme, il n'y a évidemment pas le moindre parallèle entre les opinions du jovial Jack Layton et celles, xénophobes et parfois antisémites, de Jean-Marie Le Pen. C'est plutôt dans cette douce insouciance qui avait alors caractérisé l'électorat de gauche que le parallèle existe. En effet, comme lundi dernier, ces électeurs étaient allés voter «le pied léger», comme l'écrivait fort justement un lecteur cette semaine dans nos pages. Le lendemain, c'est «la mort dans l'âme» (selon les mots ce même lecteur) qu'ils avaient contemplé «la mine déconfite» (c'est toujours lui qui parle) non pas de Gilles Duceppe, mais de Lionel Jospin. Comme au Québec, le résultat n'avait finalement servi qu'à reporter la droite au pouvoir.
À l'image de ce qu'ont fait les Québécois cette semaine, les Français avaient alors décidé d'exprimer leur mal-être et leur déception par rapport aux «vieux partis». Plus qu'un choix stratégique et longuement réfléchi, ils avaient voulu manifester une certaine colère à l'égard d'une conjoncture politique où toutes les voies d'avenir semblaient bloquées. C'est ce vote de protestation qui explique d'ailleurs les hauts et les bas du Front national français. En passant, lors des dernières élections cantonales, la télévision française s'était amusée à pister quelques «poteaux» du FN qui refusaient toute entrevue et se cachaient des journalistes. Que ce soit à Joliette, à Paris ou à Las Vegas, il n'y a rien qui ressemble plus à un «poteau» qu'un autre «poteau».
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On a très peu parlé de cette élection à l'étranger. Ce qui n'a pas empêché, cette semaine, l'excellent chroniqueur français Philippe Meyer, qui sévit sur France Culture, de comparer la sympathie des électeurs québécois à l'égard de Jack Layton et la vague de soutien qu'avait suscitée le député français Patrick Roy, lui aussi atteint d'un cancer. Meyer voulait montrer que l'émotion était aujourd'hui pour les électeurs un gage de sincérité des hommes politiques.
Il faudrait néanmoins ajouter que cette émotion est devenue le pain et le beurre de nombreux médias. Ajoutons-y un rythme de diffusion accéléré et on a là tous les ingrédients d'un emballement médiatique. C'est d'ailleurs ce qui s'était produit en 2002. Trois jours avant le scrutin, la télévision française avait fait ses choux gras d'un retraité surnommé «papy Voise», roué de coups dans son domicile par deux jeunes voleurs. Il est facile de croire que l'émoi suscité par ce traitement médiatique avait permis au Front national d'engranger les voix supplémentaires qui lui permirent de passer au second tour. Dans un autre registre, toute la France tente aujourd'hui de mesurer l'influence que pourrait avoir sur la prochaine élection présidentielle une éventuelle grossesse de Carla Bruni. La question mérite d'être posée dès lors que le président français a toujours instrumentalisé sa vie privée.
L'interview complaisante accordée par Jack Layton à Tout le monde en parle devant 1,5 million de personnes n'est donc que le dernier exemple de cette confusion des genres. Quand les amuseurs publics remplacent les journalistes ou que ces derniers se prennent pour les premiers, il ne faut pas se surprendre de la volatilité des électeurs.
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Mais les sautes d'humeur de l'électorat et la complaisance des médias n'expliquent pas tout. Si la situation politique française peut apparaître bloquée, celle du Québec l'est triplement. Le blocage constitutionnel qui empoisonne la vie politique québécoise depuis bientôt un demi-siècle trouve difficilement d'équivalent ailleurs. Sauf en Belgique, où le système est ainsi fait que le pays ne peut pas fonctionner, comme fait aujourd'hui impunément le Canada, sans l'accord des deux nations qui le composent.
D'ailleurs, dans une perspective historique, le vote de lundi dernier obéit tout de même à une certaine logique. Depuis 30 ans, les Québécois cherchent de l'air dans un Canada dont ils se sentent de plus en plus étrangers. Afin de se faire entendre, ils votent toujours massivement pour le même parti. Ils l'ont fait avec les libéraux après le référendum de 1980 «pour avoir du changement» et furent amèrement déçus. Ils l'ont fait avec les conservateurs dans les années 1980. L'aventure se termina dans le fond du lac Meech. Ils l'ont fait avec le Bloc dans les années 2000 pour bien montrer qu'ils pouvaient faire grève.
C'est maintenant au tour du NPD. À défaut d'être vraiment «nouveau», et peu importe qu'il soit de gauche ou de droite, ce parti était le seul que les Québécois n'avaient pas encore essayé. Advenant une nouvelle déception, ce qui est plus que probable, il ne restera plus que les verts, le Parti de l'héritage chrétien ou encore celui de la marijuana! La liste commence à se faire courte.


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