Foire d'empoigne

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Primaires américaines 2008


Pour les adeptes de la prévision électorale, le tableau politique actuel aux États-Unis devrait rendre la tâche plus simple qu'à l'habitude. L'économie va mal, le président sortant est impopulaire et le pays est embourbé dans des conflits coûteux. De surcroît, on n'aurait qu'à comparer l'enthousiasme généré par les deux campagnes pour conclure que les démocrates voguent vers une victoire facile en novembre.

Mais, pour reprendre une phrase bien connue: «Y en aura pas de facile...»
Les démocrates réussiront-ils l'exploit de faire succéder à George Bush un autre républicain? Réussiront-ils à arracher une défaite des griffes de la victoire?
Sans sous-estimer les capacités de John McCain, l'adversaire le plus coriace des démocrates pourrait bien être leur propre parti, dont le cow-boy humoriste Will Rogers disait, au début du siècle dernier: «Je ne suis pas membre d'un parti politique organisé... Je suis un démocrate.»
Aujourd'hui, le parti réputé pour son désordre est dans de beaux draps. D'abord, comme les démocrates répartissent les délégués de façon proportionnelle, la marge entre les candidats de tête restera infime. De plus, le parti réserve environ une place sur six au congrès à des «superdélégués» (élus, ex-élus et autres officiels du parti) qui ne sont pas liés par le vote populaire.
Voici donc le premier problème: comme il est impossible à Hillary Clinton ou à Barack Obama de remporter la majorité des 4049 délégués au congrès de Denver en comptant uniquement sur les délégués liés au vote populaire, la pression sera grande pour que les superdélégués ne renversent pas la volonté des électeurs.
Superdélégués
La majorité des superdélégués qui ont affiché leurs couleurs appuient la sénatrice de New York. Le scénario selon lequel une courte majorité des délégués «ordinaires» en faveur d'Obama pourrait être renversée par les élites du parti donne des maux de tête aux démocrates. Une victoire du clan Clinton acquise en catimini dans les corridors de l'aréna de Denver pourrait provoquer l'ire des partisans du sénateur de l'Illinois et les amener à tourner le dos au parti.
Comme si cela ne suffisait pas, le cafouillage qui a mené aux sanctions contre les délégations du Michigan et de la Floride pourrait revenir hanter le parti. En effet, pour «punir» ces deux États d'avoir désobéi aux consignes en devançant leurs primaires, les autorités du parti ont retiré à leurs délégués le droit de voter au congrès. Les démocrates de ces États ont tenu leurs primaires quand même.
Seule à faire fi des consignes du parti, Hillary Clinton y a gagné par défaut.
Le dilemme est cornélien. Si le parti revient sur sa décision, ce sera la révolte chez les partisans d'Obama. Si de nouvelles primaires sont tenues dans ces États, la sanction deviendrait récompense.
À l'inverse, si le clan Clinton entretient l'espoir des délégués laissés pour compte et qu'Obama gagne dans la controverse, la névralgique Floride pourrait pencher de nouveau du côté des républicains.
On peut aussi se demander si le ton de plus en plus négatif des échanges entre Hillary Clinton et Barack Obama n'aura pas comme conséquence de fournir des munitions aux républicains pour la dernière ligne droite.
Pour ajouter au comique de la situation, celui-là même qui était candidat démocrate à la vice-présidence en 2000, le sénateur démocrate indépendant Joe Lieberman, a donné son appui à John McCain. Ça pourrait aller mieux.
Les républicains sont aussi divisés. La droite religieuse, les libertaires, les néoconservateurs et les traditionnalistes «paléoconservateurs» forment une alliance souvent contre nature. La victoire de John McCain a provoqué des remous parmi les porte-parole stridents de chacun de ces courants, mais l'attrait du pouvoir a toujours permis aux républicains de présenter un front uni.
Pendant que les candidats démocrates continueront de s'entre-déchirer, John McCain pourra unifier son parti et consolider ses liens avec les électeurs centristes, qui pourraient préférer son image de stabilité à la foire d'empoigne démocrate.
Dans un parti politique, ce sont souvent les divisions internes qui sont les plus difficiles à surmonter. Les péquistes en savent quelque chose; les libéraux fédéraux aussi. Aujourd'hui, les démocrates continuent de se faire la lutte entre eux plutôt que contre leurs adversaires... à leurs risques et périls.
Mon point de départ était une réflexion bien connue de Will Rogers, à qui on attribue aussi ce mot d'esprit encore plus mordant: «Les démocrates, disait l'humoriste, sont des cannibales qui se nourrissent d'autres démocrates. Les républicains sont pareils. Eux aussi se nourrissent de démocrates.»
Photo Bloomberg
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Pierre Martin

L'auteur est directeur de la chaire d'études politiques et économiques américaines à l'Université de Montréal. Il a codirigé, avec Michel Fortmann, l'ouvrage «Le système politique américain», qui vient de paraître aux Presses de l'Université de Montréal. À l'hiver 2008, il est chercheur invité au Wilson Center à Washington. Ce texte est tiré d'un article de la revue Options politiques.

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Pierre Martin est professeur titulaire au Département de science politique de l’Université de Montréal et directeur de la Chaire d’études politiques et économiques américaines (CÉPÉA). Il est également membre du Groupe d’étude et de recherche sur la sécurité internationale (GERSI)





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