Fini les nouveaux sénateurs, dit Harper

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Une fédération très malade

Avec son plus récent coup d’éclat sur le Sénat, Stephen Harper « détourne » carrément la Constitution canadienne, de l’avis d’un expert. Une procédure inédite pour forcer les provinces à agir afin de régler pour de bon les problèmes qui affligent la Chambre haute.

« Ce que Stephen Harper vient de faire, c’est sa façon de détourner la Constitution pour achever le Sénat », tonne Michael D. Behiels, professeur d’histoire à l’Université d’Ottawa et expert des enjeux constitutionnels canadiens.

À Regina, où il rencontrait le premier ministre de la Saskatchewan Brad Wall — un ardent promoteur de l’abolition pure et simple de la Chambre haute —, Stephen Harper a confirmé vendredi qu’il officialisait une pratique déjà en place à Ottawa, soit de ne pas nommer de nouveaux sénateurs. Le premier ministre a parlé d’un « moratoire ».

Selon lui, les Canadiens sont clairement insatisfaits du Sénat « non élu et non redevable ». Embourbés dans le scandale des dépenses du Sénat, les conservateurs n’ont nommé aucun sénateur depuis mars 2013. Pas moins de 22 sièges — dont 15 appartiennent au Québec et à l’Ontario — sont actuellement vacants, et ce nombre sera appelé à croître considérablement au cours des prochaines années si les conservateurs mettent leur plan à exécution.

Après s’être fait dire par la Cour suprême qu’il ne pouvait réformer la Chambre haute sans consulter les provinces, Stephen Harper tente donc de leur forcer la main : réformez ou voyez le Sénat mourir lentement mais sûrement, en somme.

« Stephen Harper souhaite faire de l’élection qui s’en vient un référendum sur l’avenir du Sénat, estime M. Behiels. Il est choqué de ne pas avoir pu changer la Chambre selon ses propres critères. Là, il veut soumettre la question à la population » pour contraindre les provinces à s’entendre.

Pression croissante

La Constitution canadienne exige l’appui unanime des provinces pour procéder à l’abolition de cette institution, mais celui de seulement sept provinces représentant 50 % de la population pour procéder à une réforme. Or, les avis divergent grandement d’une capitale provinciale à l’autre en ce qui a trait au sort à réserver à la chambre.

La pression mise sur les provinces ira en s’aggravant, de toute évidence. En 2016, quatre autres sénateurs atteindront l’âge de la retraite obligatoire, soit deux libéraux et deux conservateurs, deux Ontariens, deux Québécois. Huit autres sièges se libéreront en 2017 — dont seulement trois sièges conservateurs —, tandis que l’année suivante, sept autres seraient forcés de partir, parmi lesquels on compte deux conservateurs. Il ne resterait alors plus que 64 sénateurs sur les 105 sièges que compte le Sénat.

« Cela forcera les provinces soit à créer un plan de réforme complet, soit à conclure que le seul moyen de gérer le statu quo est l’abolition », a résumé M. Harper. Brad Wall a appelé ses vis-à-vis des autres provinces à donner suite à la manoeuvre d’Ottawa. « Il reviendra aux premiers ministres [des provinces] d’agir à présent », a-t-il dit.

Le Québec approuve

Québec a réagi promptement : « Nous constatons tous le dysfonctionnement actuel du Sénat et le malaise qui existe au sujet de cette institution », a indiqué le ministre québécois responsable des Affaires intergouvernementales canadiennes, Jean-Marc Fournier.

« Dans un pays aussi vaste que le Canada, on ne peut prétendre que le gouvernement fédéral [est] un gouvernement de proximité. Pour que soient mieux prises en compte les réalités des provinces de l’Atlantique, du Québec, de l’Ontario, de l’Ouest et du Nord, il est nécessaire de réformer le Sénat afin qu’il joue efficacement ce rôle de représentation régionale. »

Coup médiatique

Reste que pour Stephen Harper, l’annonce de vendredi est avant tout un coup médiatique, à quelques semaines du déclenchement des élections.

La Cour suprême a déjà établi que les conservateurs ne peuvent laisser le Sénat mourir à petit feu en le laissant se vider de ses membres peu à peu jusqu’à dépérir. Et une poursuite a été intentée en Colombie-Britannique pour forcer Ottawa à nommer des sénateurs.

« Stephen Harper le sait très bien, il va être forcé de nommer des sénateurs de toute manière par les tribunaux, soit à cause de la poursuite en Colombie-Britannique, soit parce que les provinces vont demander à la Cour suprême de se prononcer », dit M. Behiels. Entre-temps, le Sénat va continuer à se vider, au gré des départs à la retraite obligatoire des membres de la seconde chambre.

Le NPD maintient depuis longtemps que la seule solution pour régler les problèmes du Sénat est l’abolition pure et simple de l’institution. Mais le parti est incapable d’expliquer comment il compte y parvenir puisque certaines provinces, dont le Québec, y sont catégoriquement opposées. Justin Trudeau, qui avait décrété l’an dernier, sans les aviser, l’exclusion des sénateurs libéraux de sa formation politique, propose pour sa part de créer un processus non partisan visant à conseiller le premier ministre sur les nominations à la Chambre haute, ce qui dépolitiserait selon lui le Sénat.

Le chef libéral a rappelé que M. Harper avait promis à maintes reprises de ne pas nommer de sénateurs, avant d’aller de l’avant avec la titularisation de 59 personnes depuis son arrivée au pouvoir, pour l’essentiel des proches du Parti conservateur. « Il tente de distraire la population et de faire oublier son inaptitude à s’occuper de l’économie. Nous ne le croyons pas », a dit M. Trudeau.


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