Le changement de nom du programme « arts et lettres » pour « culture et communication », au niveau collégial, n’est que « cosmétique », s’est défendu le ministre de l’Enseignement supérieur Pierre Duchesne. Car le nombre d’heures d’enseignement de la littérature y augmentera. « Ce sont des mots qui ne me font pas peur », a-t-il ajouté. Pourquoi alors expulser les « lettres » du nom du programme ? Pourquoi faire de la littérature une simple option dans ce nouveau cursus ?
Lorsqu’il a eu à expliquer ce changement de nom, le ministre a soutenu qu’il fallait « moderniser » les intitulés. Dans le même esprit, David Descent, conseiller pédagogique au cégep régional de Lanaudière, à Terrebonne, a soutenu en entrevue au Devoir que « lettres » faisait un peu « vieilli ».
L’aveu est plus grave qu’il en a l’air. On y décèle une sorte de mépris envers un esprit qui a fondé l’Occident moderne, celui de la Renaissance. À cette époque, c’est en se replongeant dans les oeuvres objectivement « vieillies », celles des Grecs et des Romains, que les auteurs ont repensé l’Occident. Pour avoir accès à eux, il leur semblait nécessaire de passer par Platon, Thucydide, Virgile, Cicéron, etc. Il y avait là une conception profondément humaniste : des siècles de transformations historiques et techniques avaient beau séparer les auteurs Grecs des auteurs de la Renaissance, ces derniers y redécouvraient, y redéfinissaient leur humanité.
La notion de « classique », de cette liste d’oeuvres à discuter et à rediscuter, à transmettre et retransmettre de génération en génération, était enracinée dans l’esprit de la Renaissance. Cet esprit se retrouvait aussi dans la notion de « culture générale », défendue chez nous brillamment par Gaetan Daoust et Fernand Dumont, entre autres, à une certaine époque.
L’idéal du classique, de la culture générale, fait comprendre à l’étudiant qu’il est né « dans un monde plus vieux que lui », comme l’écrivait Hannah Arendt. Et qu’il doit s’abreuver aux livres des plus grands génies de la pensée que l’humanité a sélectionnés à travers les âges.
Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Même le Coke peut être « classique », ironisait Jean Larose dans les années 1980 ! Une très grande partie des professeurs du réseau collégial sont encore animés par l’idéal de la culture générale. Mais ils sont souvent comme des résistants face à la « révolutionnite » aiguë des programmes qui anime en permanence le ministère de l’Éducation du Québec.
Dans ces officines, l’idéal de la « culture générale », aujourd’hui, ne semble plus être vraiment défendu. La notion très mécanique de « compétences » à acquérir en 15 semaines - dont les formulations sont souvent absurdes ou tellement générales qu’elles en sont insignifiantes - semble avoir fait des ravages. Ainsi, dans le texte de présentation du nouveau programme de « culture et communication », on affirme ce qui suit : « Les arts, les lettres et les langues s’inscrivent dans un processus de communication : d’une intention émerge une production qui, lorsqu’elle est diffusée, peut être appréciée différemment par celles et ceux qui la reçoivent ou l’examinent. »
On comprend de ce jargon que la notion d’« oeuvre » est tout simplement impossible. D’ailleurs, une des compétences liées nous le fait comprendre. Il faut apprendre à « comparer des objets culturels en synchronie et diachronie ».
Comme l’écrivait une lectrice du Devoir : il est paradoxal que le ministre Duchesne insiste sur l’importance de l’histoire - car il souhaite imposer un cours obligatoire d’histoire du Québec au collégial -, « mais n’hésite pas à supprimer le mot “lettres” […] sous prétexte qu’il fait “vieux” ». En effet, on jurerait que ce passionné d’histoire s’est fait jouer un tour par ses fonctionnaires. Rien ne l’empêche de ramener à l’avant les beaux mots d’arts et de lettres.
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