Commentaire au sujet du dossier :
«Fin des journaux, fin des nations?»
Le Devoir, 27 et du 28 juin 2009
La Fondation littéraire Fleur de Lys ne croit pas Internet responsable du déclin de l'idée de nation, contrairement aux déclarations des spécialistes interviewés par le journaliste Antoine Robitaille du quotidien montréalais LE DEVOIR dans le cadre de son dossier « Fin des journaux, fin des nations? » publié dans l'édition des 27 et 28 juin 2009.
Est-ce que le déclin des journaux papier au profit d'internet, de la multiplication des chaînes de télévision spécialisées,..., bref l'éclatement des auditoires et de l'espace public, entraînera un déclin des nations? Pour répondre à cette question, il faut évidemment reconnaître que les journaux ont grandement contribué à l'émergence de la nation, de l'identité nationale au sein de la population. On parle ici des journaux comme d'un « espace public » rassembleur et identitaire. C'est vrai, ou plutôt, c'était vrai.
Depuis la fin des années 80, les journaux se sont éloignés de la nation, du peuple lui-même. Parties prenantes de la nation québécoise, les journaux ont progressivement perdu contact avec l'esprit national et, par conséquent, leur « espace public » a été déserté.
Il faut distinguer « la nation » de « l'esprit national ». Au Québec, le peuple ne s'identifie pas à la nation elle-même, mais d'abord et avant tout à « l'esprit » qui propulse la nation, qui la met en mouvement au quotidien. Il faut lire les journaux de la fin des années 50 jusqu'à la fin des années 80 pour comprendre avec quelle facilité le peuple québécois se retrouvait au jour le jour dans l'espace public fourni par les journaux. Pendant cette période, les journaux étaient complices de l'esprit national, ils évoluaient avec le peuple, plus encore, ils faisaient eux-mêmes partie du peuple. Le meilleur exemple de cette complicité s'illustre dans l'accès des simples citoyens aux journaux. Il suffisait d'un article dans un journal pour lancer un projet, leur espace public étant très achalandé. Or, cet article était facile à obtenir, tant pour le simple citoyen que le politicien. Les journaux faisaient partie du lancement et du succès des projets de tout un chacun. Bref, les journaux se permettaient alors de donner une chance égale à chacun. Il y a avait donc de l'espoir dans l'air et il en résultait une unité nationale en perpétuel mouvement. Les lecteurs et les acteurs s'identifiaient l'un à l'autre dans un esprit national fortement soutenu par les journaux.
Puis, au début des années 90, on observe un changement de cap drastique au sein des journaux, un changement qui agira comme une douche d'eau froide sur l'esprit national. Soudainement, le simple citoyen ne profite plus d'un accès facile aux journaux pour lancer son projet. Les journaux deviennent élitistes et corporatistes. Le « Québec Inc. » est en place. La nation n'ayant pas d'autre espace public à fréquenter, elle se sentira peu à peu prisonnière des journaux. Ces derniers se posent désormais en chien de garde de ce qui a été bâti, des acquis, et ils s'élèvent au-dessus de la nation. L'espace public des journaux agresse de plus en plus l'esprit national qui a fait jusque-là le succès de la modernisation du Québec. On sent qu'on ne passera pas le flambeau comme par le passé. L'esprit national n'est plus une affaire collective. Des préjugés s'installent. Désormais, on surveille les journaux. On parle de développement du sens critique de la population face aux médias.
L'esprit national n'en peut plus de se contenir devant ce barrage du cours de la pensée par les journaux. On stagne. On se décourage. On se désintéresse. On ne vote plus. Puis arrive l'Internet domestique, une véritable planche de salut pour l'esprit national, un nouveau canal d'irrigation en contournement du barrage. On délaisse les journaux. Voilà ce qui se passe. L'internet n'y est pour rien dans le déclin des journaux. Seuls les journaux sont responsables de leur déclin. C'est le prix à payer quand on prend l'ascenseur pour le dernier étage, coupant ainsi ses racines avec sa base, ses lecteurs. Je ne sais pas par quel truchement du coeur et de l'esprit les journaux ont pensé que la nation les suivrait au sommet de la pyramide. Aujourd'hui, il faudrait empiler des milliers de journaux pour s'élever au niveau ne serait-ce que d'un simple journaliste. Même les ministres ont de la difficulté à attirer les journaux à leurs conférences de presse.
Le journaliste du quotidien LE DEVOIR rapporte en ces mots le propos de Daniel Jacques, philosophe, auteur de l'essai La Fatigue politique du Québec français (Boréal, 2008) : « Le premier média de masse, le journal, fait-il remarquer spontanément, “est le lieu dans lequel on sort de sa bulle et on a accès à un monde commun”. Ces nouvelles toujours organisées en fonction d'un intérêt national tranchent avec Internet, univers global où c'est “chacun dans sa niche”; laquelle niche est le plus souvent transnationale. “On n'a pas besoin de fréquenter beaucoup l'univers d'Internet pour prendre conscience qu'il est complètement fragmenté. Il ne donne aucun sens d'unité”, note Daniel Jacques. »
Reprenons chacune des affirmations à commencer par : « Le premier média de masse, le journal est le lieu dans lequel on sort de sa bulle et on a accès à un monde commun ». Il n'était pas question de gens enfermés dans leurs bulles avant les années 90 au Québec. Chacun était partie prenante de la nation, même ceux qu'on appelle les « exclus » aujourd'hui. En fait, il n'y avait qu'une seule bulle pour tous les Québécois. Quand les journaux ont changé de cap au cours des années 90 en devenant élitistes et corporatistes, nous nous sommes soudainement retrouvés « seul dans la foule » sur les pavées de l'espace public des journaux.
Puis vient cette seconde affirmation : « Ces nouvelles toujours organisées en fonction d'un intérêt national tranchent avec Internet, univers global où c'est “chacun dans sa niche”; laquelle niche est le plus souvent transnationale. » S'il fut un temps où les nouvelles étaient organisées en fonction d'un intérêt national, ce n'est plus le cas depuis plusieurs années. Les nouvelles des journaux suivent davantage les intérêts des corporations, comme si on percevait ces dernières comme seules protectrices de la nation québécoise ou, pis encore, comme si la nation était elle-même devenue une corporation aux yeux des journaux.
En 2003, il était dans l'intérêt national de doter le Québec d'une première maison d'édition en ligne sur Internet avec un service d'impression à la demande, mais rares sont les journaux qui ont participé aux efforts de la Fondation littéraire Fleur de Lys. En 1982, il était aussi dans l'intérêt national de doter le Québec d'un premier organisme d'éducation aux médias et nombreux furent les journaux qui ont participé aux efforts du Club d'initiation aux médias. Il y a un peu plus de 20 ans entre les deux projets et le seul constat possible est le désintéressement des journaux face à la nation.
Revenons maintenant sur ces mots : « (...) Internet, univers global où c'est “chacun dans sa niche”; laquelle niche est le plus souvent transnationale. » C'est vrai, l'Internet n'a pas de frontière. Heureusement, car si le premier éditeur libraire québécois en ligne sur Internet a pu naître, c'est grâce à la participation des Français, à défaut d'avoir eu le support des journaux d'ici pour informer les auteurs québécois du projet. Curieusement, si de nombreux auteurs français se sont joint à la Fondation littéraire Fleur de Lys au cours de ses premières années, c'est parce que les journaux français les avaient informés par de nombreux articles au sujet de l'édition en ligne et de l'impression à la demande. En rejoignant les rangs d'un cyberéditeur québécois, ils ne venaient pas occuper une niche « transnationale ». Ils s'associaient à la nation québécoise. La niche de la fondation a toujours été québécoise, ici et à l'étranger.
L'idée de « niche » est issue du vocabulaire du marketing. Elle est apparue à la fin des années 80 pour connaître son heure de gloire dans les années 90. À l'époque, on disait à nos clients que leur produit devait occuper une niche bien à lui pour survivre dans le marché. Et heureux était celui qui découvrait une nouvelle niche afin d'être le premier à l'occuper. Les journaux furent parmi les premiers à épouser le marketing de niches. Les chroniques se sont multipliées comme jamais auparavant, soi-disant pour rejoindre le plus grand nombre de niches. Les nouvelles d'intérêt national sont elles-mêmes devenues une niche, une niche comme les autres. Bref, les journaux ont eux-mêmes brisé l'unité et ainsi fragmenté leur lectorat respectif.
Il y a aussi cette affirmation à réviser : « On n'a pas besoin de fréquenter beaucoup l'univers d'Internet pour prendre conscience qu'il est complètement fragmenté. Il ne donne aucun sens d'unité », note Daniel Jacques. » Nous venons de voir que l'univers des journaux était fragmenté bien avant que l'Internet entre dans nos maisons avec, pour conséquence première, une nation fragmentée. L'Internet n'est qu'un outil technologique. Les internautes ne pouvaient pas faire ce qu'ils n'étaient pas. Il est donc tout à fait normal de les voir se regrouper sur le web suivant leurs intérêts. Mais attention, il est faux de prétendre que l'Internet ne donne aucun sens d'unité. Il suffit d'attaquer un internaute pour que l'ensemble de la communauté se mobilise, comme ce fut le cas avec la Fondation littéraire Fleur Lys lors de l'attaque de Manuscrit.com en France. La poursuite annoncée est tombée au fond du lac comme une roche grâce à la mobilisation spontanée des internautes québécois (Lire l'article de Bruno Guglielminetti à ce sujet).
Au Québec, le sens d'unité donné par l'Internet est particulier. Il est né en grande partie du traitement négatif du web par les journaux. Après avoir hurlé aux lecteurs d'investir à plein régime dans les nouvelles technologies à la fin des années 90, les journaux se sont mordu les lèvres lors de l'éclatement de la bulle boursière en 2000, à commencer par la dégringolade de Nortel. Les journaux ont alors confondu le contenant avec le contenu et condamné les deux à la fois. Aujourd'hui, le pire d'Internet occupe facilement l'espace public médiatique traditionnel. Or, la nation branchée s'est sentie abandonnée, voire trahie par les journaux papier. Internet est devenu non seulement un refuge national, mais aussi et surtout un nouvel espace public pour la nation québécoise.
Si les journaux avaient encouragé le développement d'un Internet national québécois, la nation leur serait reconnaissante aujourd'hui. Mais ce ne fut pas le cas. Il ne faut pas s'étonner que les journaux ne fassent plus partie des intérêts nationaux et que leur espace public se vide.
Enfin, quelle réponse donner à la question du journaliste Antoine Robitaille : « Bref : et si, dans les prochaines années, on avait de moins en moins le sentiment de former une nation parce que l'espace public ne cesse d'éclater, de se morceler? » Je ne crois pas que le sentiment de former une nation soit menacé par l'éclatement ou le morcellement de l'espace public. Ce n'est pas parce que les gens délaissent les journaux qu'ils éprouvent moins le sentiment de former une nation. En fait, c'est sûrement le contraire qui survient : les gens délaissent les journaux parce que ces derniers ne leur permettent plus d'éprouver le sentiment de former une nation, de s'identifier à la nation. La survie des journaux québécois passe avant tout par le retour à la base, et ce, avec toute l'humilité nécessaire pour se réinstaller au rez-de-chaussée et ainsi redevenir rassembleur et porteur de l'esprit national.
Serge-André Guay, président éditeur
Fondation littéraire Fleur de Lys
«Fin des journaux, fin des nations?» NON !
Tribune libre
Serge-André Guay34 articles
Marié et père de quatre enfants, Serge-André Guay est
né à Lévis (Québec, Canada) en 1957. De formation autodidacte et
travailleur autonome depuis 25 ans, il a tout d'abord été animateur,
commentateur, chroniqueur, journaliste, recherchiste et rédacteur en...
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Marié et père de quatre enfants, Serge-André Guay est
né à Lévis (Québec, Canada) en 1957. De formation autodidacte et
travailleur autonome depuis 25 ans, il a tout d'abord été animateur,
commentateur, chroniqueur, journaliste, recherchiste et rédacteur en chef
au service de différents médias québécois et ontariens.
Puis, son expérience des médias et un stage de formation en Europe font de
lui un éducateur aux médias dont les interventions sont recherchées par le
milieu scolaire. Ensuite, à titre de consultant, l'utilité de ses plans
d'action en communication et en marketing est vite appréciée.
Depuis 1990, il développe une expertise hautement spécialisée en recherche
marketing, soit l'étude des motivations d'achat des consommateurs, axée sur
l'évaluation prédictive du potentiel commercial des produits et des
services, nouveaux et améliorés.
Pour ce faire, il retient la méthode et l'approche indirecte proposées par
le chercheur américain Louis Cheskin, à qui il accorde le titre de premier
scientifique du marketing.
Depuis, il a étudié les réactions sensorielles involontaires et les
réactions inconscientes de plus de 25,000 consommateurs dans le cadre de
plus d'une centaine d'études des motivations d'achat pour différents
manufacturiers et distributeurs canadiens.
Il a signé de nombreux articles et donné plusieurs conférences
percutantes. Il a aussi publié une série de vingt-quatre études traitant du
caractère scientifique du marketing sous le titre "Science & Marketing ",
Prédire le potentiel commercial des biens et des services". À ses yeux, le
marketing doit renouveler son efficacité sur des bases scientifiques
rigoureuses.
Il n'hésite pas à questionner les idées reçues. Animé par une profonde
réflexion sur la conscience et la condition humaine, il est un «
penseur-entrepreneur », à la fois fonceur et analytique.
En 2000, il écrit un essai de gouvernance personnel sous le titre J'aime
penser – Comment prendre plaisir à penser dans un monde où tout un
chacun se donne raison.
En juin 2003, il met sur pied la Fondation littéraire Fleur de Lys,
premier éditeur libraire francophone sans but lucratif en ligne sur
Internet
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3 commentaires
Michel Guay Répondre
4 juillet 2009C'est évident que la fin des journaux limités et le début de la télévision payantes diversifiées divisent la population à l'infini .
À ces nouveautés il y a des côtés positifs mais il y a pour le moment des côté négatifs et divisionnistes
La langue , la religion et la culture devraient nous unir mais dans la crise des valeurs actuelles ces trois forces sont devenues des faiblesses vers le multilinguisme, le sectarisme et le multiculturalisme , donc vers l'éparpillement
Je crois cependant que certains journaux s'adapteront comme la radio s'est adaptée lors de l'avènement de la télévision.
Archives de Vigile Répondre
4 juillet 2009L'article de Robitaille est carrément de la désinformation.
Il demande l'avis d'un philosophe ! :-)
Comme si l'économie n'est pas en jeu dans ce domaine !
Son seul but est de colporter que noir est blanc et vice versa.
Lire Le Devoir, les journeaux de Québécor media ou de Gesca, c'est lire la propagande et la désinformation des corporations multinationales qui les possèdent.
Ce sont d'excellentes sources pour étudier les techniques de manipulation de l'opinion publique.
Et sont gratuits en ligne ! :-)
Raymond Poulin Répondre
3 juillet 2009Les nations ne sont pas nées avec les journaux ni à cause d'eux. Les journaux passent, les nations demeurent. Prétendre le contraire, c'est de la philosophie à la cocotte-minute.