C'est dans un état de haute tension que le Kosovo, cette province du sud de la Serbie habitée par une majorité d'Albanais, s'apprête à déclarer unilatéralement son indépendance aujourd'hui. Au risque de provoquer une explosion de violence - mais aussi des turbulences diplomatiques auxquelles le Canada tente discrètement d'échapper.
«Nous ne parlerons pas aujourd'hui d'une déclaration unilatérale d'indépendance.» Le ministre des Affaires étrangères Maxime Bernier a servi cette formulation sibylline vers la mi-décembre, en réponse à la question d'un journaliste sur la position canadienne au sujet des intentions indépendantistes du Kosovo.
Deux mois ont passé. La déclaration d'indépendance du Kosovo est attendue pour aujourd'hui. Et n'en déplaise au ministre Bernier, elle sera non seulement unilatérale, mais aussi potentiellement explosive.
Pourtant, à ce jour, la phrase citée plus haut demeure la seule position canadienne connue sur ce sujet controversé.
Encore vendredi, au ministère des Affaires étrangères, on s'en tenait à cette seule phrase: «La position canadienne n'est pas encore arrêtée.»
Le Canada a des tas de raisons d'hésiter avant d'admettre cette petite province du sud de la Serbie, habitée par une majorité albanaise, à la table des États. Ne serait-ce que parce que la Russie y est fermement opposée, et qu'avec le veto de Moscou, ce pays de deux millions d'habitants n'a aucune chance de passer la rampe du Conseil de sécurité de l'ONU.
Et puis, font valoir les experts, le Kosovo n'est pas de tout repos, son gouvernement est corrompu, il protège mal les minorités.
Mais il y a plus. Comme une poignée d'autres pays, le Canada craint l'impact que la reconnaissance d'un Kosovo indépendant provoquerait à l'intérieur de ses propres frontières.
«L'Espagne, la Grèce, la Bulgarie, la Slovaquie, tous les pays aux prises avec des minorités revendicatrices voient arriver l'indépendance du Kosovo d'un mauvais oeil», constate Frédéric Mérand, professeur de sciences politiques à l'Université de Montréal.
Il y a deux ans, le Canada a pourtant reconnu sans trop de problèmes le Monténégro - autre éclat du casse-tête post-yougoslave. Pourquoi le départ du Kosovo, que les analystes estiment pourtant inévitable, cause-t-il tant d'appréhensions?
Le merle s'envole
Retour en arrière. À l'époque de la guerre froide, la Yougoslavie communiste formait une fédération de six républiques - qui s'est disloquée dans les années 90, avec son lot de guerres. La Slovénie, la Croatie, la Bosnie, puis la Macédoine et le Monténégro ont tous quitté le giron de Belgrade.
Mais le Kosovo, lui, est dans une situation différente: il n'a jamais constitué une république à part entière, mais une simple province de la Serbie. Aucune disposition écrite ne lui accordait, même théoriquement, le droit de voler de se propres ailes.
Plus que ça: c'est à Kosovo Polje, ce fameux «champ de merles», que les Serbes ont autrefois subi une défaite mythique aux mains des Turcs - aux yeux des nationalistes serbes, le Kosovo est ni plus ni moins que le berceau de la nation. Un intouchable symbole.
«Le cas du Kosovo c'est le problème le plus difficile laissé par la désintégration de la Yougoslavie, et c'est pour ça qu'on l'a gardé pour la fin», résume un spécialiste des Balkans, Robert Austin, professeur de l'Université de Toronto.
Joint vendredi alors qu'il s'apprêtait à s'envoler pour Pristina, Robert Austin croit que l'indépendance du Kosovo ne pouvait se faire que de manière unilatérale: jamais la Serbie n'aurait accepté la séparation. Il n'en admet pas moins que le geste de Pristina ouvre une boîte de Pandore.
Après la clarté...
Le Monténégro a accédé à l'indépendance en 2006, à l'issue d'un référendum qui plaçait le seuil justifiant le divorce à 55% des voix. Ce seuil a été atteint et la Serbie a accepté le départ de son tout dernier «associé».
Mais au Kosovo, il n'y a pas eu de référendum et Belgrade tient à son intégrité territoriale de toutes ses forces. «Pour le Canada, se serait un précédent de reconnaître le Kosovo dans ces circonstances. Surtout depuis que nous avons la Loi sur la clarté», souligne Peter Stoett, politicologue de l'Université Concordia.
«Cette loi a établi que pour décréter son indépendance, une déclaration unilatérale, ce n'est pas assez», fait-il valoir. En reconnaissant le Kosovo indépendant, le Canada ne contredirait-il pas sa propre loi référendaire, au risque de faire la joie des indépendantistes?
«Le parallèle entre le Canada et le Kosovo est absurde», tranche le père de la loi sur la clarté, le chef libéral Stéphane Dion.
«Au Kosovo, la population a été victime d'exactions graves qui ont nécessité une intervention armée, et il y a une majorité claire en faveur de l'indépendance», fait-il valoir. En d'autres termes: les Québécois sont plus ambivalents, ils n'ont pas connu les souffrances des Kosovars, et jamais les avions de l'OTAN n'ont dû voler à leur secours, comme c'est arrivé au Kosovo en 1999.
Il n'y a aucune raison pour ne pas reconnaître le Kosovo indépendant, assure M. Dion.
C'est aussi ce que croit, évidemment, le Bloc québécois. «C'est un signal intéressant, qui rappelle le droit des peuples à l'autodétermination», dit Diane Barbeau, porte-parole adjointe du Bloc dans les dossiers internationaux.
«Sauf que ce signal, ça peut aussi devenir un couteau à deux tranchants», rappelle Stéphane Roussel, du Centre d'étude en politique étrangère de l'UQAM.
Dans les Balkans, la violence n'est jamais loin, rappelle-t-il. Et si les choses devaient tourner mal, le signal ne sera peut-être pas celui que souhaitent les indépendantistes.
- source
Faut-il reconnaître le Kosovo indépendant?
Comme une poignée d'autres pays, le Canada craint l'impact que la reconnaissance d'un Kosovo indépendant provoquerait à l'intérieur de ses propres frontières.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé