Fais ce que dois

Anglicisation du Québec

« Je parle anglais quand ça me plaît ». C’est le discours que tiennent certains indépendantistes. Ils se disent en faveur de l’indépendance du Québec, de la survie du français. Ils se proclament francophiles et chantent les vertus d’une République française. Des Patriotes, des Héros, que dis-je. Il faudrait les acclamer, voire les remercier pour leur engagement. « J’ai fait de la prison moi, monsieur ». Non, tu n’as rien fait. Tu rêves, tu fabules. Des mots dans l’éther, éparpillés, et une pensée dysfonctionnelle.

Entre 1951 et 2006, la proportion de Canadiens de langue maternelle française est passée de 29% à 22%. Hors-Québec, c’est une chute de 7,3% à moins de 4%. Mais je parle anglais quand ça me plaît. Entre 2001 et 2006, le poids démographique de la population de langue maternelle française au Québec a chuté de 81% à 79%, la réduction la plus brutale depuis que Statistique Canada compile ces données. Et le pourcentage d’anglophones de langue d’usage au Québec a augmenté, encore une fois une première. Mais je parle anglais quand ça me plaît. L’indice de vitalité linguistique de l’anglais à Montréal est de cinq fois celui du français, et dix fois à Laval. Il n’y a qu’au Nunavut où l’anglais se porte mieux qu’au Québec. Mais je parle anglais quand ça me plaît.
Schizophrénie.
Comment peut-on dissocier le comportement d’un individu à la maison et son comportement en public? Comment peut-on écouter la télévision en anglais, de la musique en anglais, aller voir des spectacles en anglais, lire des journaux en anglais et travailler en anglais sans croire que de tels comportements ne sauraient, à terme, finir par nous angliciser? Les gens n’ont pas une double-personnalité; ce qu’ils sont dans leur vie privée finit, irrémédiablement, par se transposer dans la vie publique. Au début, ce ne sont que quelques mots en anglais par-ci par-là. Puis, sans s’en rendre compte, ce sont des phrases entières et, à la fin, on ne se rappelle même plus comment dire une expression dans sa langue natale.
Colonisés.
Mais ces grands francophiles de pacotille, ceux qui « parlent anglais quand ça leur plaît » et qui se targuent de se plaire fréquemment dans cette utilisation, comment peuvent-ils seulement prétendre vouloir défendre notre langue? L’intellectuel Régis Debray l’écrivait: « [la langue] n’est pas un instrument, mais un milieu de vie, le fil d’or d’une vitalité longue et singulière ». Comment peut-on prétendre vouloir défendre une langue quand on vit dans une autre? Comment prétendre à la diversité et à la pluralité de la survie des centaines de langues humaines quand on s’empresse d’en apprendre une seule, l’impériale, la toute-puissante, l’anglaise?
« J’aime écouter un film dans sa version originale » qu’ils disent. Mais demandez-leur quelle est cette version originale. Ce n’est pas le serbe. Pas l’hindi. Pas le russe. Ni même le pendjabi. C’est l’anglais. Ils se disent ouverts, ils se croient fondamentalement à l’écoute de l’humanité, mais cette ouverture s’avère sélective, se contentant de la troisième langue la plus parlée au monde, la vieille anglaise, dépassée par le mandarin et l’espagnol, mais qui se veut universelle parce que quelques financiers de Wall Street ont commencé à prêter de l’argent en Europe il y a quatre-vingt ans. Plutôt que d’exiger une traduction de qualité de films de partout au monde, ce qui permettrait la véritable ouverture aux centaines de cultures sur cette planète, ils préfèrent se cantonner dans l’apprentissage d’une seule langue, la seule valable à leurs yeux, la seule pure, la seule qui mérite toute notre attention.
Félix Leclerc écrivait: « la langue, c’est comme un instrument de musique, celui qui les joue tous, les joue mal. Celui qui n’en joue qu’un seul le joue bien. » Ces anglomanes qui « parlent anglais quand ça leur plaît » ne veulent même pas jouer de tous les instruments. Ils désirent en jouer un seul, le maîtriser, le perfectionner, « s’ouvrir » à sa mélodie, à ses rythmes, à sa richesse. L’anglais. La seule langue valable à leurs oreilles. Pour eux, le français est déjà une langue seconde derrière l’universelle, la langue des affaires, celle qui s’impose et qui domine. Ils écrivent un français approximatif, leur vocabulaire est limité, mais vite vite – vite! – il importe de parler anglais, car c’est, à leurs yeux, la seule langue valable.
Le véhicule et l’objectif
Ces indépendantistes mous, ces anglophiles qui ne s’assument pas, sont nos pires ennemis pour la défense de notre langue commune. Ils font fi de toutes les statistiques, ils camouflent leur veulerie linguistique et identitaire derrière une idée d’indépendance sans conséquences et ils se font les plus grands promoteurs de la liberté totale de faire ce qui leur plaît, de parler anglais s’ils en ont envie. Ils ne se rendent même pas compte qu’en réclamant le droit de « faire ce qui leur plaît » ils accordent ce même droit à ceux qui foulent de leurs pieds notre Loi 101 et qui ne rêvent que de voir notre langue disparaître. « Je parle anglais quand ça me plaît ». Oui, c’est bien ce que disent les anglophones de l’ouest de Montréal, ne croyez-vous pas?
L’indépendance, c’est un véhicule, rien de plus. L’objectif, le seul qui compte, c’est la survie de notre langue et de notre identité. Si la majorité des francophiles et des nationalistes sont indépendantistes, c’est parce qu’ils ont compris que l’indépendance demeurait le meilleur moyen d’atteindre cet objectif. Mais cela ne fait pas de l’indépendance un objectif à atteindre. C’est un véhicule, rien de plus. Il faut se rendre dans une ville et nous avons une voiture. La faire démarrer et la mettre en marche ne constitue pas un but à atteindre; c’est l’arrivée dans la ville choisie qui constitue la finalité de l’action. Et si quelqu’un proposait un autre moyen de locomotion, il nous faudrait le considérer.
Or, en faisant d’une indépendance sur papier le seul objectif valable, en se réclamant d’une République où « je parle anglais si ça me plaît », ces mollassons confondent l’objectif avec le moyen de l’atteindre. Il ne servirait pas plus d’obtenir une indépendance où le français n’est pas assuré de sa survie que d’avoir une voiture qui roule dans la mauvaise direction.
Non, ceux qui parlent anglais quand ça leur plaît n’aident pas notre cause. Oui, ils ont le droit de parler la langue qui nous menacent. C’est leur choix le plus strict. Mais ils justifient automatiquement le choix le plus strict des immigrants de ne pas s’intégrer à notre nation et d’anglophones de vivre ici sans jamais apprendre un seul mot de français. « Je parle anglais si ça me plaît », c’est un choix personnel égoïste qui, s’il était généralisé, mènerait à la disparition rapide de notre nation et à la destruction des rêves de nos ancêtres qui, eux, n’ont pas fait ce qui leur plaisait, mais plutôt ce qu’ils avaient à faire pour oeuvrer à la survie de notre langue.
Faire ce qu’il plaît, c’est facile. L’enfant de deux ans en est capable. Mais faire ce que doit, voilà une tâche ô combien plus hardie, mais nécessaire.
Si je parle français chez moi, c’est que je pense en français, je vis en français, j’existe en français. Ensuite, je ne peux que rayonner de cette spécificité et contribuer à enrichir l’humanité de la présence de ce peuple québécois auquel j’appartiens parce que je m’identifie à sa lutte pour sa survie.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé