La Gendarmerie royale du Canada n'a pas l'habitude des excuses. C'est pourquoi celles présentées hier à Mahar Arar par le commissaire Giuliano Zaccardelli sont à souligner, qu'elles soient attribuables ou non à des pressions politiques. Mais pour le reste, le témoignage du commissaire était aussi flou que le rapport du juge O'Connor était clair. La GRC a beau dire, elle ne reconnaît pas ses véritables torts dans cette affaire.
Officiellement, le commissaire Zaccardelli accepte en l'état le rapport de la commission d'enquête sur l'affaire Maher Arar. Dans les faits, le grand patron de la GRC se raccroche surtout à ce qui semble sauver l'image du corps policier.
Devant les parlementaires, M. Zaccardelli a ainsi répété que le rapport ne tirait aucune conclusion sur ce qui a finalement mené les Américains à expédier M. Arar en Syrie. Oui, la GRC leur a transmis des informations erronées en qualifiant M. Arar de terroriste, mais, ajoute le commissaire, le rapport dit aussi que la GRC n'a pas participé à son envoi en Syrie. Drôle d'interprétation ! Le juge O'Connor a plutôt écrit : «Dans le présent rapport, j'ai conclu que l'information fournie par la GRC a très vraisemblablement joué un rôle dans la décision des Américains de détenir et de renvoyer M. Arar vers la Syrie. En ce sens, ces actions ont "causé ce qui est arrivé à M. Arar ou y ont contribué".» On ne peut pas être plus clair !
Tout au long de son témoignage (comme devant les journalistes en soirée), le commissaire s'en est tenu à de telles parades, parfois irrité d'être bousculé par les députés mais ne s'éloignant jamais de la ligne officielle, plaidant d'abondance la bonne foi, la sienne comme celle de ses agents, et indiquant que les recommandations du rapport seraient toutes mises en oeuvre.
Mais il ne s'agit pas du vrai problème. Comme le disait hier un ancien commissaire, Norman Inkster, la GRC avait déjà une foule de politiques en vigueur. Ce qu'il faut savoir, c'est ceci : pourquoi n'ont-elles pas été suivies ? De nouvelles directives seront-elles davantage respectées en cas de crise ?
Et pourquoi, comme le demande le rapport O'Connor, la direction générale de la GRC n'a-t-elle pas suivi de près le Projet A-O Canada, créé dans la foulée du 11-Septembre et qui a pris au piège M. Arar, alors qu'elle le fait toujours lorsque des enquêtes touchent la sécurité nationale ? D'autant qu'elle savait que les agents affectés à cette enquête manquaient de formation et d'expérience en matière de terrorisme. Elle est là, la responsabilité de M. Zaccardelli.
Deux agents de la GRC qui ont travaillé sur le dossier Arar viennent eux aussi de témoigner de leur bonne foi dans le National Post. Mais ça n'a rien à voir ! On peut être de bonne foi et faire preuve d'incompétence ou commettre une faute professionnelle grave. Or être policier et étiqueter officiellement quelqu'un comme terroriste en l'absence de toute preuve est une faute grave qui, de toute évidence dans le contexte actuel, risque d'avoir (et a eu) de terribles conséquences. La GRC a vite corrigé son erreur auprès des Américains, se défendait hier M. Zaccardelli. Mais ces correctifs étaient des plus équivoques, démontre le rapport O'Connor !
Et les Canadiens sont-ils à l'abri d'autres dérapages ? C'est loin d'être sûr. Le Globe and Mail rapportait hier qu'un Ontarien d'origine libanaise avait été inscrit par erreur sur la liste des gens interdits de vol aux États-Unis (il a été confondu avec un homonyme). L'erreur vient finalement d'être corrigée, mais il a fallu neuf mois pour y arriver et bien des embêtements pour l'homme en question. Et on ne sait toujours pas d'où les Américains tenaient leurs renseignements, si ce n'est que la GRC a travaillé en collaboration avec eux dans ce dossier.
Maher Arar lui-même n'a connu que cette semaine l'expérience d'une envolée sans tracas. Même le jour où le rapport le concernant a été rendu public, son embarquement a été bloqué et son identité longuement vérifiée alors qu'il se rendait à Ottawa pour l'événement. Des ennuis qui s'ajoutent à toutes les fuites qui ont nui à sa réputation et sur lesquelles la GRC semble faire enquête bien mollement.
Et il faudrait faire confiance ?
jboileau@ledevoir.ca
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