Facebook : standards de la communauté ou censure déguisée ?

Cfb655cad20f25653e0d6b32972d14c2

« La politique d’entreprise de Facebook n’est pas fondée sur le principe de légalité mais sur des critères internes exorbitants du droit. »

Selon un article publié sur le Journal du Net (JDN)[1]Facebook aurait compté 37 millions d’utilisateurs mensuels actifs chaque mois en France fin 2019, se plaçant au premier rang des réseaux sociaux de notre pays. Cofondé en 2004 par l’informaticien et chef d’entreprise américain Mark Zuckerberg, ce réseau social en ligne a connu un développement et un succès reposant sur la possibilité offerte aux utilisateurs de publier des textes, des images, des vidéos, mais aussi d’échanger des messages, de participer à des groupes et d’utiliser une grande variété d’applications.


Les personnes engagées dans la vie publique étant soucieuses de faire connaître leur action, nombre d’entre elles utilisent le réseau Facebook comme un moyen de communication facile d’utilisation, peu coûteux et permettant que leurs messages soient relayés par des contacts baptisés « amis ». A ce titre, on pourrait affirmer que Facebook participe sinon à la diffusion de la conception occidentale de la démocratie, du moins à la liberté d’expression consacrée par de nombreux textes fondamentaux. On songe évidemment en France à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui dispose que « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »


On mesure la sagesse des députés de la première Assemblée nationale qui ont voulu consacrer la liberté d’opinion et la liberté d’expression qui en est le corollaire, tout en concevant que certains pourraient abuser de cette liberté auquel cas ils auraient alors à en répondre dans les cas déterminés par la loi. Brisé dès 1793 par la loi dite « des Suspects », cet idéal a été restauré par la loi de 1881 sur la liberté de la presse, avant d’être de nouveau mis à mal par les lois controversées de 1972 (loi Pleven) et de 1990 (loi Gayssot). Récemment, une proposition de loi contre les contenus réputés « haineux » sur internet, dite loi Avia (du nom du député qui en fut l’un des rapporteurs), a conduit le juriste américain Jonathan Turley a déclaré que « la France est devenue l’une des menaces mondiales à la liberté d’expression[2]. » Facebook étant une entreprise américaine, on pourrait supposer que le sévère jugement de Monsieur Turley ne saurait être étendu au fonctionnement de ce réseau social dont les dirigeants devraient être attachés à la liberté d’expression par ailleurs posée dès 1791 par le premier amendement de la Déclaration des droits des Etats-Unis qui dispose que « Le Congrès n’adoptera aucune loi (…) pour limiter la liberté d’expression. » Or, le fonctionnement de Facebook montre qu’il n’en est rien.


L’attribution d’une subvention contestée dans les Hauts-de-France


Lors d’une réunion de la Commission permanente du Conseil régional des Hauts-de-France le 4 février 2020, l’auteur de cet article a interpellé Xavier Bertrand à propos d’une délibération visant à attribuer une subvention à une association locale : « Horizon Dunkerque ». Le site internet de cette association présentait les dirigeants et salariés tous vêtus de noir, les Messieurs portant tous la barbe et les Dames ayant toutes les cheveux, les oreilles et le cou dissimulés par des foulards. L’attribution d’une subvention régionale à une association étant subordonnée à l’engagement de « réfléchir aux moyens de faire vivre la réflexion sur la laïcité au sein de [la] structure[3] », l’image donnée par les membres et les salariés de l’association « Horizon Dunkerque » permettait de concevoir un doute raisonnable à propos de la « vie » du principe de laïcité au sein de cette structure. Il était donc demandé au Président du Conseil régional de s’assurer plus complètement notamment du caractère non confessionnel et non communautariste de l’association « Horizon Dunkerque ».




AGENDA : CÉRÉMONIE DES BOBARDS D'OR LE 24 FÉVRIER À PARIS. RÉSERVEZ SANS TARDER VOS BILLETS EN CLIQUANT ICI.

Cérémonie des Bobards d'Or le 24 février à Paris




Xavier Bertrand ayant refusé tout débat, un doute raisonnable perdurait et un communiqué a été envoyé à la presse au motif qu’il était anormal dans ces conditions que le Conseil régional subventionne une association dont l’image était à ce point équivoque[4]. Quelques heures plus tard, « Daily Nord », un journal en ligne, relayait l’information sous le titre : « Duel André Murawski et Xavier Bertrand sur la laïcité[5] ».


À l’épreuve des « Standards de la communauté » de Facebook


Le lien avec l’article de « Daily Nord » a été publié sur Facebook avec le commentaire suivant : « On ne peut pas se présenter comme le chantre de la laïcité et « en même temps » subventionner une association équivoque. J’ai demandé que le Conseil régional précise les choses au moyen d’un dialogue approfondi avec cette association. Xavier Bertrand a refusé le débat. » Cette mise en ligne n’a posé aucune difficulté.


Toutefois, le partage de l’article et du commentaire dans différents « groupes » a entraîné, après une quinzaines de partages, le blocage de la possibilité de continuer à partager la publication. Un message confirmait le blocage par le texte suivant : « Action bloquée. Vous ne pouvez plus temporairement rejoindre et publier dans les groupes ». La durée du blocage était fixée à 24 heures. La suite du message indiquait ce que l’on pourrait prendre pour une voie de recours, mais qui en réalité n’en est pas une : « Si vous pensez que ceci ne va pas à l’encontre des règles de la communauté, dîtes-le nous ».


Bien qu’un message a été aussitôt envoyé à Facebook, le blocage a été maintenu et aucune réponse n’a été faite avant que le délai de 24 heures ne soit expiré. Cela permet de présumer que les « messages » envoyés à l’utilisateur de Facebook ne sont en fait que des algorithmes générés automatiquement et destinés à faire naître chez l’utilisateur l’illusion d’un dialogue.


Un procédé dont Facebook ne fait pas mystère puisque la page permettant de rédiger un message que l’on prendrait à tort pour un moyen de contestation indique clairement que : « Pour que Facebook reste une plate-forme sûre, nous bloquons parfois certains contenus et certaines actions. Si vous pensez que nous avons fait une erreur, veuillez nous le dire. Si nous ne pouvons pas examiner chaque rapport, les commentaires que vous nous envoyez nous aident à améliorer les mesures de sécurité mises en place sur Facebook. Veuillez expliquer pourquoi vous pensez qu’il s’agit d’une erreur. Nous vous remercions d’avoir pris le temps de nous envoyer un rapport ».


Qui limitent la liberté d’expression et bafouent les principes élémentaires du droit


L’utilisateur qui ne peut plus accéder à l’ensemble des fonctionnalités de sa page Facebook ou à seulement une partie de ces fonctionnalités comprend aisément que sa liberté d’expression est entravée. L’unique explication qui lui est donnée est qu’il est allé à l’encontre des « règles de la communauté ». Des règles suffisamment étendues pour permettre tous les abus et contenues dans un document intitulé « Standards de la communauté ».


La seule introduction des « Standards de la communauté[6] » affirme que Facebook prend son rôle « très au sérieux afin d’écarter les abus de [son] service ». Le gestionnaire du réseau admet donc d’emblée l’existence de blocages abusifs. Il précise que ses politiques sont fondées sur « l’avis de spécialistes », mais aussi « sur les retours de notre communauté », et qu’il s’efforce de prendre en compte « les différents points de vue et croyances, surtout ceux des personnes et communautés marginalisées ou négligées ». On l’a compris, la politique d’entreprise de Facebook n’est pas fondée sur le principe de légalité mais sur des critères internes exorbitants du droit.


C’est ainsi que Facebook s’arroge le droit de bloquer totalement ou partiellement un compte sans avertissement préalable de l’utilisateur, sans discussion possible, sans moyen de recours et, même, sans jugement puisque la décision est entièrement laissée à l’appréciation de Facebook, immédiatement applicable et sans appel ! Pire, Facebook s’arroge un droit de blocage, donc de sanction, sans autre justification qu’une infraction à des « règles de la communauté » laissées à l’appréciation souveraine de Facebook. Juge anonyme, Facebook contrôle le réseau de communication, et contrôle donc… la liberté !


Dans sa proposition de loi, Laetitia Avia entend confier aux opérateurs de réseaux sociaux la mission de bloquer, sous 24 heures, les contenus estimés « haineux » sur internet. Amendé à la marge, cette proposition de loi a été adoptée par l’Assemblée nationale le 9 juillet 2019, par 434 voix POUR, 33 voix CONTRE et 69 ABSTENTIONS. En décembre 2019, le Sénat a supprimé la mesure-phare du texte. Saisie en août 2019, la Commission européenne a demandé à la France de ne pas voter ce texte pour incompatibilité avec le droit européen. Mais le gouvernement persiste. Et si le cauchemar décrit par Orwell dans 1984 était déjà en cours de mise en place ?


André Murawski – 10 février 2020

Conseiller régional Hauts-de-France

Président du groupe «  Les Indépendants »


Notes


[1] journaldunet.com

[2] Jonathan Turley, « France has turned into one of the worldwide threats to free speech », sur The Hill, 7 juillet 2019

[3] Conseil régional des Hauts-de-France, Charte de la laïcité

[4] André Murawski, Communiqué de presse : « Subvention à une association équivoque : Xavier Bertrand refuse le débat »

[5] dailynord.fr

[6] Facebook, Standards de la communauté