C'est ce qui s'appelle «tenir son bout». Dans une décision pour le moins surprenante, le directeur général des élections du Canada, Marc Mayrand, a décidé de s'en tenir à l'interprétation stricte de son rôle d'administrateur de la loi électorale et de ne pas recourir, comme l'a fait son collègue québécois le printemps dernier, à des pouvoirs spéciaux qui auraient interdit de voter le visage couvert.
Il aurait pu intervenir. En effet, l'article de la loi électorale du Canada stipule que le Directeur général peut «adapter les dispositions de la présente loi dans les cas où il est nécessaire de le faire en raison d'une situation d'urgence, d'une circonstance exceptionnelle ou imprévue, ou d'une erreur».
Le contexte actuel ne peut être qualifié de «situation urgente» mais avec le débat sur la question des accommodements raisonnables qui fait rage au Québec et le début des travaux de la commission Taylor-Bouchard, on peut néanmoins le décrire comme étant «exceptionnel».
Il est impossible de reprocher à M. Mayrand de ne pas avoir suffisamment réfléchi avant d'annoncer sa décision. En effet, le 16 mai dernier, le directeur général des élections participait aux travaux du comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Aux côtés du directeur général des élections du Québec, Marcel Blanchet, il répondait aux questions des sénateurs à propos du projet de loi C-31 modifiant la loi électorale du Canada. En mars dernier, son collègue M. Blanchet avait utilisé ces fameux pouvoirs d'exception pour interdire le vote voilé aux élections provinciales partielles. Il a expliqué sa décision aux parlementaires fédéraux en ces termes: «C'était en train de devenir un cas d'hystérie collective. De nombreux électeurs ont formulé des menaces de troubler l'ordre le jour du vote face à la possibilité que des femmes puissent voter le visage voilé. Pour assurer le bon déroulement du vote, j'ai décidé d'utiliser les pouvoirs spéciaux et de changer la loi (...) J'ai craint qu'on fasse du jour du vote une journée d'Halloween alors que ce n'est pas le cas. (...).»
Le même jour, M. Mayrand a confirmé aux membres du comité que le projet de loi à l'étude, dans sa forme actuelle, permettait aux femmes voilées de voter le visage couvert aux élections fédérales (voir en page ci-contre).
À quoi sert le comité sénatorial des affaires juridiques si aucun parlementaire n'a suggéré une modification au projet de loi à la suite de ces audiences? La question est légitime.
M. Mayrand a raison de croire que cette délicate question est avant tout une responsabilité parlementaire et qu'il revient à la Chambre des communes de modifier la loi (le Bloc québécois a d'ailleurs annoncé son intention de déposer un projet de loi dès la rentrée parlementaire). Par contre, il a tort de ne pas invoquer ses pouvoirs spéciaux d'ici là.
Vendredi dernier, jour de vote par anticipation, des femmes non-musulmanes se sont présentées à l'isoloir le visage couvert, par pure provocation. C'est à notre avis une raison suffisante pour que le directeur des élections intervienne en attendant que la loi soit modifiée.
Souhaitons que son attitude ne jette pas de l'huile sur le feu et n'incite pas d'autres électeurs à faire des gestes de provocation. Si cela se produisait, M. Mayrand devrait porter sa part de responsabilité.
nathalie.collard@lapresse.ca
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