La diversité au Québec, c'est une majorité française, une minorité anglaise, dix nations amérindiennes et la nation inuite. C'est également 45 000 nouveaux arrivants par année, qui parlent 150 langues, qui proviennent de 180 pays et pratiquent 200 religions. Objectivement, pour toute nation qui a les pouvoirs d'un pays, l'intégration d'une telle diversité représente un grand défi. Pour celle qui n'a pas ces pouvoirs, le défi est gigantesque. Et pour une nation comme le Québec, qui promeut une approche contraire à celle de la nation tutélaire, le Canada, le défi devient himalayen.
D'aucuns prétendent qu'une commission sur les accommodements raisonnables est parfaitement inutile: «Y a rien là!», entend-on dans certains milieux. Que quelques incidents, que quelques incendiaires et un peu trop de populisme! Hérouxville? Des épais! D'autres estiment par ailleurs que la réalité de l'immigration ayant changé, en diversité et en volume, les institutions, les pratiques et les mentalités n'ont pas réussi à tout apprivoiser et à tout absorber. «Il est bon d'en parler. Surtout, il faudra davantage de ressources», disent ceux-là. D'autres encore soutiennent qu'il y a un os dans le fromage; politique, celui-là. Que les projets canadien et québécois sont en totale contradiction, l'un étant ethnique, l'autre civique. Et que, selon le projet, la ligne séparant le «nous» du «eux» ne se trouve pas au même endroit.
Le «nous» territorial
Avant d'être des Québécois, nous avons été ces Canadiens français qui poursuivaient un projet d'égalité d'un océan à l'autre. Le «nous» était ethnique, canadien-français, et la ligne faisant office de démarcation avec le «eux», les Canadiens anglais, passant à travers le Canada, divisait aussi le Québec.
En 1968, lors des États généraux du Canada français, aux prises avec l'évident cul-de-sac de l'avenir de la réalité française en Amérique et au Canada, les Canadiens français du Québec ont rompu avec cette approche pour -- sur le seul territoire et avec le seul demi-État qu'ils contrôlaient dans la foulée de la Révolution tranquille -- procéder à une relance tous azimuts de leurs institutions, de leur langue et de leur culture.
C'est alors que s'est amorcée l'affirmation d'un «nous» territorial et civique québécois. Et le Québec allait consacrer de gigantesques efforts pour faire de sa collectivité une nation française moderne, progressiste, accueillante et solidaire, protégeant la minorité anglaise (respect intégral de ses institutions), dialoguant avec les nations amérindiennes (convention de la Baie-James, paix des Braves et approche commune) et intégrant les nouveaux arrivants (loi 101, compétence partielle en matière d'immigration). Le tout avec un certain bonheur.
Entre-temps, en 1982, le Canada changeait sa constitution et élaborait de nouveaux textes: la Charte des droits. C'était essentiellement pour censurer le Québec, qui s'était donné la loi 101, en lui enlevant des pouvoirs de légiférer à nouveau en matière de culture et de langue. Ce qui devait conduire tous les gouvernements du Québec, tant fédéralistes que souverainistes, à refuser de reconnaître ces textes et de les signer.
Malheureusement, dans la réalité de tous les jours, ces textes ont de plus en plus valeur de loi, à travers les institutions canadiennes comme les tribunaux, Élections Canada et plusieurs autres. Cela donne comme résultat un travail de sape à l'endroit de l'orientation civique et française que le Québec moderne essaie de donner à sa collectivité.
Un Québec sans contrôle
Sous la tutelle canadienne, le Québec n'a la pleine maîtrise d'aucun secteur névralgique de sa vie quotidienne et de son avenir: immigration, égalité des droits, laïcité, langue, culture, etc. Pire, en application des textes de 1982 liés au projet de domestication du fait français, les organes du pouvoir fédéral achèvent d'émasculer la loi 101, réinsèrent le religieux dans l'espace public, banalisent l'équité dans la pratique démocratique et, bientôt, pourraient prendre des libertés dans la pratique de l'égalité des droits hommes-femmes. Ce sont toutes des décisions qui vont à l'encontre de la marche récente du Québec moderne.
Le Canada ne craint pas de dérive dans sa propre société puisque sa masse critique est telle que, dans le contexte nord américain, l'intégration de sa diversité se fait presque automatiquement. Sur le plan linguistique, en dehors du Québec, le taux des transferts à l'anglais est de 99,7 %. Au Québec, le transfert en faveur du français n'est que de 46 %. Précisément parce que les obstacles à l'affirmation d'un «nous» civique en français n'ont pas encore été levés. Au contraire, les décisions des tribunaux et des organismes fédéraux les ont multipliés. Pour installer de nouveau et si possible à demeure la bonne vieille vision ethniciste du Québec.
La difficulté est d'ordre structurel. Découlant du nouvel ADN du Canada (Constitution et Charte), les états d'âme des uns et les discours politiciens des autres n'y changeront rien. La vraie nature du Québec, telle que voulue par le Canada, a encore été décrite récemment en Australie par le premier ministre Stephen Harper. Parlant du Québec, il a de nouveau utilisé l'expression «Québécois nation». Pour lui comme pour l'ensemble de la classe politique canadienne, le Québec n'est pas une nation civique mais bien une nation ethnique, comme le sont le peuple acadien ou les nations amérindiennes et inuite. À cette différence près que, contrairement à ces dernières, elle n'est même pas reconnue dans la Constitution canadienne et encore moins intégrée.
Deux conceptions s'affrontent. Deux pratiques politiques et judiciaires se télescopent. Sans en avoir une connaissance explicite, le peuple québécois sent que de gros enjeux sont en cause. Peut-être appréhende-t-il qu'ils ne lui échappent de plus en plus. D'où son inquiétude, son désir de prendre la parole et, vraisemblablement, sa volonté de redevenir un acteur politique. De ce point de vue, cette commission Bouchard-Taylor fait oeuvre démocratique.
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Gérald Larose, Coprésident du Conseil de la souveraineté du Québec
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