Jean Pronovost, président de la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois (2006-2008), a parcouru les régions du Québec afin de mettre en lumière les défis de l’agriculture et de l’agroalimentaire, puis de formuler des recommandations pour les affronter. Cinq ans après le dépôt de son rapport, il nous livre ses impressions sur la politique de souveraineté alimentaire dévoilée récemment par la première ministre Pauline Marois.
Le rapport issu de la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois a-t-il, cinq ans après son dépôt, enfin trouvé une oreille attentive du côté du gouvernement du Québec ?
Pas encore. Faisons un tout petit peu d’histoire. Le gouvernement de M. Charest, qui avait mis sur pied la Commission, a reçu le rapport d’une façon un tout petit peu, je dirais, froide. Il ne s’en est pas emparé. Il a commandé d’autres études. Pensons au rapport Saint-Pierre (février 2009). Pensons au rapport Ouimet (avril 2009). Il a continué les consultations. Finalement, il a lancé une étude en commission parlementaire de son Livre vert pour une politique bioalimentaire, qui reprenait un peu le travail qu’avait fait la Commission. Le gouvernement a changé. Puis, le gouvernement de madame Marois a dit : « Fini les consultations, on passe à l’action. »
Ils [les membres du gouvernement] ont produit la politique de souveraineté alimentaire. Deux choses qu’il faut souligner. C’est plein de bonnes intentions - je dis cela sans cynisme -, mais les moyens ne sont pas là. Ils sont encore à venir. C’est pour cela que je dis : pas encore. Il y a plus sérieux. Ce que la politique ne dit pas, c’est ce qu’elle entend faire avec les éléments les plus structurants de notre système qui méritent d’être retouchés pour tenir compte de l’évolution.
La politique de souveraineté alimentaire est remarquablement silencieuse sur des choses comme le programme d’assurance stabilisation des revenus agricoles ainsi que les autres moyens de protéger les revenus des agriculteurs contre les risques financiers du marché. Elle ne dit rien non plus sur tout ce qui s’appelle « la mise en marché ». Elle donne quelques pistes d’action pour la protection du territoire agricole. Mais, là encore, ce n’est pas très élaboré. On va rester sur notre appétit tant et aussi longtemps que le gouvernement n’aura pas fait connaître clairement ses intentions.
J’aimerais bien que le gouvernement réagisse à nos propositions sur les régimes de stabilisation des revenus agricoles. On a fait toute une série de remarques là-dessus. Le gouvernement ne doit pas une réponse à Jean Pronovost ou aux commissaires, mais à tous ceux qui sont venus nous parler.
Au terme de la tournée de l’ensemble des régions du Québec (sauf le Nord-du-Québec), vous constatiez que le secteur agricole et agroalimentaire est « en train de se refermer sur lui-même ». Êtes-vous toujours de cet avis ?
Il est en train d’étouffer, parce qu’il s’est entouré d’un régime de protection qui est devenu, avec les ans, toujours un petit peu plus étanche. Il est rendu à un point où il empêche le système d’évoluer, d’innover. Il empêche la diversification des produits. Ça, c’est mauvais pour l’avenir. Il faut que le système soit adaptable. Il faut qu’il s’ouvre aux nouveaux types de produits, de cultures et d’approches de commercialisation, de la grande ou de la petite. Le système est devenu rigide. On a essayé d’avancer quelques pistes de solution pour lui donner un peu de souplesse, là où elle semblait la plus requise. Ça implique des changements prudents parce qu’on ne retourne pas un système agricole sur un dix sous.
La politique de souveraineté alimentaire pourra-t-elle extirper l’agriculture de la « phase de doute, de remise en question et de crise » dans laquelle elle se trouve ?
La situation de l’agriculture n’est pas pire qu’elle l’était il y a cinq ans. Elle n’est pas meilleure non plus. Elle est sujette aux mêmes coups de boutoir de la conjoncture. La politique de souveraineté alimentaire risque de ne pas avoir tous les effets escomptés par le gouvernement puisqu’elle n’utilise pas les éléments les plus structurants du système pour faire évoluer l’agriculture dans le bon sens. Si on laisse le système à lui-même, il risque, à la faveur d’un coup de butoir, de devoir changer rapidement.
Un grand nombre de participants aux travaux de votre commission ont fait part de leur « attachement » à la ferme familiale « à dimension humaine ». Le modèle agricole québécois « une terre, une famille » est-il au bord de l’éclatement ?
Je ne dirais pas qu’il est au bord de l’éclatement. Par contre, on doit accepter que s’installent à côté de ce modèle plus traditionnel d’autres types de fermes. On peut penser à une variété de types de fermes qui veulent répondre à une variété de circonstances. Une ferme d’une certaine taille, qui est opérée par un agriculteur et son épouse, c’est vraiment, vraiment, vraiment beaucoup d’ouvrage, surtout si c’est une ferme où il y a de l’élevage. […] Dans certains cas, des agriculteurs ont de la difficulté à se trouver des épouses. Quand ils en trouvent, bien souvent, les garderies sont loin. […] Pour être plus confortables, certains pourraient choisir de changer de modèle de ferme. On peut penser à des fermes où deux ou trois agriculteurs s’associent pour avoir une plus grosse ferme qu’ils opèrent en commun, chacun se spécialisant dans un des aspects de l’opération et de la gestion de la ferme. On peut penser à une approche plus coopérative. On peut aussi penser à de petites fermes, qui sont spécialisées dans une production de niche. À l’autre bout du continuum, il n’est pas défendu d’avoir des fermes hautement mécanisées qui produisent sur une base quasi industrielle des produits pour consommation de masse.
Le mot qu’on a utilisé pour exprimer notre vision, c’est le mot « pluriel » : « une agriculture plurielle » par ses productions, par la taille de ses entreprises, etc.
Les jeunes agriculteurs pourront-ils prendre la relève de la ferme familiale des mains de leurs parents sans aide extérieure ?
Là où c’est le plus difficile, c’est une ferme où il y a la gestion de l’offre. Une ferme laitière moyenne, la « ferme familiale », qui a une cinquantaine de vaches, ça valait lors de notre tournée 2,5 millions, dont un million pour le quota. Si on est obligé d’emprunter tout ce montant, ça devient vraiment très difficile. Par contre, si c’est une ferme où on peut commencer tout petit, de la culture maraîchère par exemple, c’est moins nécessaire d’avoir un don des parents. Par contre, ça peut être nécessaire d’avoir recours à des institutions financières pour acquérir de la terre, comme on le fait pour acquérir n’importe quel type de propriété. Pour prendre une expression latine, c’est très « capital intensive ». Ça coûte cher en capital.
Il n’y a pas de solution unique. Nous, on suggérait notamment de faire attention au prix du quota.
Qu’avez-vous personnellement appris durant votre tournée du Québec, et qui a - peut-être - changé votre perception du secteur agricole et agroalimentaire et des producteurs agricoles du Québec ?
Je portais sans doute la vision la plus répandue au Québec, celle de la ferme familiale, qui est bien ancrée dans nos valeurs, qui fait partie de notre histoire encore proche. C’est une agriculture bien inscrite dans un monde rural avec un certain nombre de valeurs, d’entraide par exemple. Quand on a fait le tour du Québec, l’image qui s’est dégagée, c’était ça, mais c’était quelque chose qui était en même temps très différent. Oui, les gens qui sont venus devant nous, c’étaient des gens authentiques fiers de leur ruralité, de leur héritage, de la place qu’ils occupaient… Mais, ce qui était absolument fantastique, c’était de découvrir que ces gens-là étaient, à des degrés divers, à la fine pointe de la technologie moderne.
En plus, il faut qu’ils soient vétérinaires, agronomes, bons mécaniciens. Ils sont d’une polyvalence ! C’est une profession qui est très moderne. Elle est moderne dans ses techniques, mais pas assez dans ses structures.
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