La crise spirituelle du Québec
_ Paul-Émile Roy
_ Bellarmin
_ Anjou, 2012, 180 pages
Nouveau Projet
_ Printemps-été 2012
Essayiste souverainiste et catholique, Paul-Émile Roy s'inscrit dans la lignée des Fernand Dumont, Pierre Vadeboncœur et Jacques Grand'Maison. Son style n'a pas le souffle ni l'élégance de celui de ses maîtres, mais sa pensée est habitée par une inquiétude spirituelle semblable à la leur. «Nous ne sommes plus dans la Grande Noirceur, nous sommes aveuglés par les lumières rutilantes du bazar», écrit Roy dans La crise spirituelle du Québec, pour résumer sa sombre vision du Québec moderne.
La Révolution tranquille, explique-t-il, devait faire accéder le Québec à la modernité et le mener vers sa libération, c'est-à-dire son indépendance. Or, si la modernité technologique a bien pris pied au Québec, le reste du programme aurait échoué. Le Québec actuel, selon Roy, se caractériserait par «l'absence de toute spiritualité, le manque flagrant d'âme et d'idéal», il sombrerait dans la consommation, l'indifférence et l'insignifiance, n'aurait plus d'identité et serait dans un cul-de-sac.
Profondément déprimé par cette évolution des choses qu'il explique par «le manque de détermination de nos hommes politiques et la profondeur de notre aliénation nationale», Roy, comme dans ses précédents ouvrages, s'adonne à un exercice de lamentation redondant et assommant. «C'est habité par le sentiment profond de la non-pertinence, de l'inutilité de la pensée dans le monde actuel que j'entreprends la rédaction de ce chapitre, écrit-il. Notre monde ne s'intéresse pas à la pensée, mais à la gestion, à la consommation, au spectacle.» Comme invitation au ressaisissement, on a déjà lu plus stimulant.
Roy n'a pas tort de diagnostiquer une crise morale ou spirituelle au Québec, comme ailleurs en Occident, qui s'exprime par une forme de dépossession existentielle liée à la perte du sentiment de la transcendance. Notre société, c'est vrai, ignore la métaphysique, «est obsédée par une certaine efficacité ...], cultive les rapports fonctionnels, se soumet en tout aux lois du marché». [Marcel Gauchet, que cite Roy, résume bien le phénomène en écrivant que «le déclin de la religion se paie de la difficulté d'être soi».
Parvenir à penser cette difficulté est justement le défi des penseurs contemporains. Comment, en effet, survivre spirituellement au déclin de la religion traditionnelle? Que serait une métaphysique pour aujourd'hui? Or Roy ne relève pas le défi. Il se contente de prôner un retour à l'héritage catholique du Québec, que nous aurions eu la faiblesse d'oublier et sans lequel tout perd son sens.
S'il s'agissait de plaider pour que les Québécois connaissent et assument mieux leur histoire, admettent que la culture qui les a fait être ce qu'ils sont est en grande partie déterminée par le catholicisme, on ne pourrait qu'acquiescer. Notre monde est peut-être désenchanté, mais il a des sources qui continuent de l'irriguer. Les reconnaître permettrait de les actualiser pour guider une quête identitaire moderne cohérente, substantielle et signifiante.
On peut, en d'autres termes, d'un point de vue civilisationnel, souhaiter la préservation laïque d'une fidélité à l'héritage — c'est la position que défendent avec profondeur André Comte-Sponville et Bernard Émond, par exemple, et qui n'exclut pas la foi individuelle —, mais on s'enfonce dans une stérile attitude réactionnaire en soutenant la thèse selon laquelle le refus de croire à l'existence de Dieu, pour une société, est la source de la ruine de l'âme. C'est là l'erreur de Roy, dont l'ouvrage tourne vite à une apologétique traditionnelle, parfois juste (contre l'oubli de la question de Dieu) et parfois affligeante (bête reprise des positions de l'Église sur l'avortement et l'homosexualité), mais surtout totalement inopérante dans la recherche d'une solution moderne à la crise spirituelle du Québec et de l'Occident.
Notre salut, à cet égard, passera par une foi dans la culture (histoire, littérature, philosophie, musique), qui n'exclut certes pas la foi religieuse, mais qui ne s'y résume pas non plus. Nous avons toujours besoin de transcendance, mais la transcendance n'est plus ce qu'elle était ni notre rapport à elle.
Aimer son époque
Il fait bon, en ce sens, lire le magazine Nouveau Projet, qui vient de lancer son premier numéro. En introduction, le romancier Nicolas Langelier cite Camus, qui refusait la posture chagrine. «Cette époque est la nôtre, écrivait-il, et nous ne pouvons vivre en nous haïssant.» Langelier, même s'il reconnaît les travers de notre époque, donne raison à Camus et nous propose de partir en quête d'une narration cohérente, qui n'exclut pas la spiritualité, pour mieux comprendre notre temps, apprendre à l'aimer et «changer ce qu'on peut».
Le monde, écrit le philosophe Jocelyn Maclure, est peut-être désenchanté, mais «la propension de l'esprit humain à chercher quelque chose qui dépasse ou transcende l'existence matérielle s'est montrée remarquablement résiliente». La modernité, cependant, est synonyme de «diversité des visions du monde et des conceptions de la vie bonne». Ce pluralisme de fait rend plus malaisé le défi de vivre ensemble et nous impose un questionnement individuel sur notre propre conception de la vie bonne.
«Aucune des réponses à cette question [du sens de la vie] n'est à l'abri de la critique et de la contestation», remarque Charles Taylor. Ceux qui ont la foi considèrent ainsi qu'une ouverture sur la transcendance manque aux non-croyants. Ces derniers, à leur tour, déplorent que les croyants règlent un peu vite la question du sens de la vie, tapi dans l'immanence. Les intégristes, de part et d'autre, refusent le dialogue, tuent le doute et se renforcent dans leur mutuelle exclusion.
Une autre alliance, écrit le grand philosophe, est pourtant possible. «Soupçonner que la "plénitude" puisse se vivre de différentes façons nous pousse, que l'on soit croyant ou non, vers des échanges mutuellement enrichissants qui élargissent notre capacité à reconnaître l'humanité là où elle se trouve», écrit Taylor. La fraternité des «chercheurs de sens anxieux» sera l'honneur de la modernité.
***
louisco@sympatico.ca
Entre la complainte et l'engagement
Essayiste souverainiste et catholique, Paul-Émile Roy s’inscrit dans la lignée des Fernand Dumont, Pierre Vadeboncœur et Jacques Grand’Maison.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé