Thilo Sarrazin est l’une des personnalités politiques les plus « controversées » – c’est-à-dire « lucides » – outre-Rhin. Cet entretien exceptionnel publié par Polémia a été réalisé par Nicolas Faure, essayiste et traducteur (à ne pas confondre avec Nicolas Faure d’I-Média et Sunrise !)
Après une longue carrière au ministère des Finances fédéral, Thilo Sarrazin, diplômé en économie de l’université de Bonn, docteur en droit et en science politique, est nommé secrétaire d’État au ministère des Finances de Rhénanie-Palatinat.
De janvier 2002 à avril 2009, il est élu sénateur en charge des finances à Berlin. Adhérent au SPD (parti socialiste allemand) dès le début des années 1970, il en est exclu en 2020.
Aujourd’hui âgé de 76 ans, Thilo Sarrazin porte un regard acéré sur les enjeux des sociétés allemande et française confrontées à des vagues migratoires inédites dans leur Histoire.
Il nous accorde ici un entretien et éclaire pour nous, de son expérience et de ses analyses, l’un des enjeux majeurs de l’avenir : la question de l’immigration. Il est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages, essentiellement économiques, mais ce grand serviteur de l’État jette une bombe dans le paysage administratif allemand lorsqu’il publie, en 2010, le livre Deutschland schafft sich ab (littéralement « L’Allemagne s’autodétruit »).
Le livre s’est, à ce jour, vendu à plus de deux millions d’exemplaires, provoquant d’innombrables débats en Allemagne et ailleurs. L’impact de ce livre tient beaucoup à la personnalité de son auteur. Il nous accorde ici un entretien.
Nicolas Faure : Monsieur Sarrazin, le livre Deutschland schafft sich ab (« L’Allemagne s’autodétruit ») a fait la une des journaux dès le début. Même la chancelière Angela Merkel a commenté le livre, déclarant qu’elle ne l’avait pas lu et qu’elle ne le ferait pas. Le porte-parole du gouvernement, Steffen Seibert, a qualifié le livre de « sans intérêt ». Pourquoi votre travail a-t-il suscité un tel rejet de la part des politiciens et des médias ?
Thilo Sarrazin : En tant que membre de l’establishment politique, j’avais commis le péché impardonnable, aux yeux de mon « groupe de pairs », d’aller à l’encontre de l’orthodoxie dominante, qui voulait que l’islam appartienne à l’Allemagne et que toute immigration soit dans tous les cas bénéfique. Cependant, et parce que les faits sont exacts, la matraque du racisme a été ressortie. C’est ainsi que l’on évite de faire face aux faits. L’accusation absurde de racisme joue toujours un rôle central. Elle a visé à me délégitimer en tant que personne et auteur, à ôter la substance factuelle et la crédibilité de mes déclarations et à me présenter sous un aspect douteux sur le plan moral. Jusqu’à ce jour, je continue à lire dans les médias que j’ai affirmé dans Deutschland schafft sich ab que les musulmans sont génétiquement plus bêtes. Il s’agit d’un grossier mensonge, diffusé par ces médias et des opposants politiques dans un but diffamatoire. Je n’ai jamais prétendu une telle chose dans le livre, mais j’ai plutôt souligné à plusieurs reprises l’effet des facteurs culturels sur les compétences cognitives et les performances scolaires. Mes déclarations différenciées sur le caractère héréditaire de l’intelligence ont été examinées en détail et entièrement confirmées par deux chercheurs renommés dans le domaine de l’intelligence, Detlef Rost et Heiner Rindermann, dans un long article paru dans le FAZ quelques jours seulement après la parution du livre.
Nicolas Faure : Et pourtant, dans votre livre, vous montrez de grandes différences entre les différents groupes ethniques en matière d’éducation et même de criminalité.
Thilo Sarrazin : Il y a l’idéologie dominante selon laquelle, lorsque les gens naissent, à travers l’éducation et la société, ils peuvent être façonnés comme on le souhaite, comparablement à une feuille de papier vierge. Ce n’est pas juste. Les caractéristiques génétiques, culturelles et religieuses des humains influencent leur comportement même après plusieurs générations. L’origine de l’homme, l’influence de ses caractéristiques héritées et sa socialisation culturelle et religieuse sont tout sauf indifférents à la nature et au développement de la société humaine. Et je ne le soutiens dans mon livre qu’avec des faits accessibles au public. Il ne s’agit pas de racisme. Le racisme commence là où des différences déterminées sont évaluées et attribuées à des groupes spécifiques selon l’origine ethnique. C’est une ligne de démarcation claire que j’ai toujours observée et soulignée avec une profonde conviction dans toutes mes publications écrites et déclarations publiques.
Nicolas Faure : Néanmoins, vous avez depuis été exclu du SPD…
Thilo Sarrazin : La raison de mon exclusion du SPD en 2020 est liée à la publication en 2018 de mon livre Feindliche Übernahme, un ouvrage dans lequel je dressais une critique générale de l’islam : le SPD ne s’est pas donné la peine de me reprocher d’éventuels propos mensongers ou de quelconques déclarations offensantes. Il lui suffisait que le sujet du livre et sa ligne de pensée soient considérés comme politiquement incorrects pour justifier mon éviction du parti. Pour ce qui est de la question migratoire, il faut constater que le taux de natalité en Allemagne est de plus en plus déterminé par le grand nombre d’enfants nés d’immigrants. Quant aux enfants nés en Allemagne, plus de 40 % d’entre eux sont issus de l’immigration.
Les médias (en particulier la télévision publique) et tous les partis politiques (à l’exception de l’AfD) ont complètement occulté les questions de politique migratoire tout au long de la campagne électorale des élections de septembre dernier, et ont préféré se focaliser sur le changement climatique qui semble représenter pour eux la plus grande menace pour notre avenir. Mais comme la population allemande, si la tendance que je décris se poursuit, s’éteindra de toute façon dans les 100 prochaines années, le changement climatique, quelle que soit la façon dont on l’évalue, ne constitue plus aujourd’hui une menace pour l’avenir, du moins pour les Allemands.
J’ai été membre du SPD pendant 47 ans. On verra si mon exclusion aidera le SPD à redevenir le parti du peuple qu’il aimerait tant être. Pour l’instant ça n’en a pas l’air. Lorsque mon livre L’Allemagne s’autodétruit a été publié en août 2010, le SPD était encore à 30 %. Si mes avertissements et suggestions avaient pu être pris au sérieux à l’époque, alors le SPD pourrait être dans une bien meilleure position aujourd’hui, et l’AfD n’aurait jamais dépassé les cinq pour cent.
Nicolas Faure : À Cologne, une des plus grandes villes d’Allemagne, les autorités municipales ont décidé d’autoriser la diffusion de l’appel à la prière musulmane. Cette mesure vous a-t-elle étonné ?
Thilo Sarrazin : Dans le dernier chapitre de L’Allemagne s’autodétruit, j’ai esquissé la tournure que va prendre la situation lors des cent prochaines années : j’y ai décrit clairement l’adaptation opportuniste des politiques à cette situation que nous vivons actuellement. L’exemple de l’autorisation d’appel à la prière du vendredi à Cologne illustre cela parfaitement. À cet égard, la décision des autorités municipales de Cologne ne me surprend pas du tout. Cela correspond à l’image que je me fais de l’évolution des choses à venir à ce sujet. En France, je trouve que Michel Houellebecq envoie le même message dans son livre Soumission.
Nicolas Faure : On peut supposer que la 20e édition de votre livre relancera le débat sur l’immigration et l’islam.
Thilo Sarrazin : Il est certain que le débat sera à nouveau relancé, car le livre contredit une hypothèse de base centrale de la culture contemporaine. Selon cette théorie, la biologie, l’origine, les dons intellectuels, la culture, la religion et le genre ne doivent jouer aucun rôle pour l’individu et la société. Je pense au contraire que nous avons besoin d’équité et d’égalité des chances dans la société et que nous ne pouvons pas nous contenter de ces deux éléments. Sur cette base, chacun doit pouvoir développer au mieux ses aptitudes et ses talents et les utiliser comme il l’entend. La politique axée sur l’individu doit toujours considérer l’individu. Mais pour la régulation de la société dans son ensemble, par exemple pour la politique d’immigration, d’éducation ou de santé, il est très important de prendre en compte les différences liées aux groupes et d’orienter la politique publique en fonction de celles-ci avec prévoyance.
Nicolas Faure : En France, on vous appelle parfois le « Zemmour allemand ». Le connaissez-vous ?
Thilo Sarrazin : De tels parallèles sont toujours difficiles à établir. Éric Zemmour et moi nous ressemblons sur un point : nous avons tous deux la capacité d’appliquer les lois des mathématiques (par le biais des statistiques par exemple) à des questions de vie pratique : si les Français, comme les Allemands, voient leur population diminuer en raison de leur faible taux de natalité, et que les immigrés, essentiellement issus de la sphère culturelle islamique, continuent d’affluer et ont des taux de natalité nettement plus élevés, c’est parce que le « grand remplacement » a bel et bien commencé. En France, comme en Allemagne, il progresse à grands pas chaque année : objectivement, on ne peut que le constater à travers les statistiques des décès, des naissances et des nouvelles arrivées de migrants. Ceux qui ne peuvent pas nier ces faits évidents, mais ne veulent pas non plus les admettre ont souvent recours à l’insulte et à la diffamation à l’encontre de ceux qui mettent en garde contre les conséquences qui résultent de ces faits. C’est pourquoi on critique Zemmour en France, et moi-même en Allemagne.
Nicolas Faure
23/05/2022