Semaine 1

ÉLECTION QUÉBÉCOISE 2012 (6)

Tribune libre

La campagne a commencé sur les chapeaux de roue. Et, les étudiants ont plus ou moins été relégués à la banquette arrière. En fait, on peut même se demander s'ils sont encore passagers.
Dès les premiers moments de la course, tout le monde aura une occasion de se mettre en valeur, alors que les médias font état de l'offre d'achat du géant américain Lowe's visant l'acquisition de la société québécoise Rona. Ce sera évidemment la ruée au casting pour l'obtention du rôle de protecteur en chef du patrimoine économique québécois. Au conseil de Rona, on semble espérer que l'événement donnera lieu à un élan de patriotisme vert, comme dans billets verts, de la part des candidats. On aurait en effet attendu trois semaines avant de dévoiler l'offre de Lowe's (D-1-8-12, p., B-1; D-2-8-12,p., B-1; J-4-8-12, p., 37).
Dans quel monde vivons-nous! À la CAQ, on en a assez, faut que ça change. Alors, dorénavant, ce sera tolérance zéro pour la corruption. Entouré de deux candidates vedettes, Sylvie Roy et Maud Cohen, François Legault présente un ambitieux programme visant à rétablir l'intégrité dans les affaires publiques. Il n'est surtout pas question de laisser le PQ prendre un contrôle monopolistique du marché de la vertu (D-3-8-12, p., A-1)
Et, la CAQ ne badine pas. Une rumeur circule à l'effet que l'ex-chef de l'Unité anticollusion, Jacques Duchesneau, s'apprêterait à joindre les rangs du parti. Et, la rumeur est suffisamment sérieuse pour que le Globe and Mail en fasse une nouvelle. Mais, François Legault laisse durer le suspense: «Si j'ai quelque chose à annoncer, je l'annoncerai; je n'ai rien à annoncer concernant Jacques Duchesneau» (D4-8-12,p., A-1). Quant à Jacques Duchesneau lui-même, c'est le mystère: «Je n'aurai pas accès à mes messages vocaux et mes courriels d'ici au 3 septembre», pouvait-on entendre sur sa boîte vocale, selon les médias (D-4-8-12,p., A-1).
Gilles Duceppe est par contre beaucoup plus loquace. En tout début de campagne, il livre sa version du concept de vote stratégique, avec une sortie tous azimuts contre le co-porte-parole de QS, Amir Khadir. M. Khadir, donc, est un opportuniste à genoux devant la NPD, qui ne mérite même pas le respect. En plus, il n'est même pas indépendantiste (D-4-8-12, p., A-3). L'intéressé, lui, juge l'attaque «déplorable» (J-4-8-12, p., 15). En politique, donc, la mémoire est une faculté qui n'oublie pas toujours.
Puis, la rumeur se confirme. Jacques Duchesneau entre à la CAQ par la grande porte. Pouvait-on en attendre moins de la part d'un homme dont la famille a ses armoiries? Lorsque Jean Charest s'est attribué une note de 8/10 au titre de la lutte à la corruption, monsieur Duchesneau ne l'aurait pas pris. Et, c'est là qu'il aurait décidé de se lever...pour le Québec. Au PQ, Pauline Marois refuse de commenter. C'est Bernard Drainville qui le fera à sa place. Non, Jacques Duchesneau n'a pas un brevet sur la vertu. Mais, le PQ l'aurait quand même accepté dans ses rangs. À QS, on se dit déçu que Jacques Duchesneau ait choisi la CAQ. Le parti l'aurait apparemment lui aussi accueilli avec bienveillance. Mais, M. Duchesneau a choisi son camp. Ce sera la CAQ. Et, il s'attend à faire l'objet d'attaques nourries, un vrai «merdier» prévoit-il (D-6-8-12,p., A-1; D-6-8-12, p., A-3).
À QS, Françoise David veut bien passer l'éponge sur l'affaire Duceppe. QS appuierait donc un PQ minoritaire, dans ses initiatives progressistes tout au moins. Il en va du «simple bon sens« selon Mme david (D-6-8-12, p., A-5).
On se bouscule littéralement à la conquête du créneau de la vertu. Trois députés péquistes, Bernard Drainville, Nicolas Girard et Bertrand St-Arnaud dépoussièrent une vieille affaire datant de 2008 mettant en cause la commission scolaire Riverside et la Fondation F. Catania. La commission, donc, aurait vendu un terrain à la Fondation pour la somme de 600 000 $, mais le projet de centre communautaire que l'on devait construire sur le terrain en question est finalement abandonné. La Fondation revend le terrain à un promoteur immobilier pour la somme de 1,6 million $ et le centre communautaire devient un site de condos. Les trois limiers péquistes ne manquent surtout pas de rappeler que les dirigeants de Construction F. Catania sont de généreux donateurs à la caisse libérale (D-7-8-12,p., A-1).
À la CAQ, Jacques Duchesneau se taille une place à sa mesure. En entrevue au 98.5 FM, il laisse entendre que c'est lui qui aura la responsabilité de nommer les ministres aux Affaires municipales, aux Transports, aux Ressources naturelles et à la Sécurité publique. François Legault devra passer le reste de la journée à récupérer la situation (D-7-8-12-, p., A-2).
Jacques Duchesneau avait averti qu'il commettrait d'autres «bourdes». Et, il tient parole. Probablement agacé d'entendre dire qu'il avait été avare de noms lors de son passage à la Commission Charbonneau, il accuse le procureur de la Commission, Me Benoît Boucher, de ne lui avoir posé que des questions sans intérêt comme la grandeur de son local, la taille de son bureau et le nombre de toilettes auxquelles il avait accès. Pourtant, il avait beaucoup plus à raconter. Jean Charest, lui, veut savoir. Que Jacques Duchesneau prouve ses allégations, au lieu «de salir tout le monde» (J-7-8-12, p., 3).
À la Commission, le procureur-chef, Me Sylvain Lussier semble par contre en savoir suffisamment. Si monsieur Duchesneau voulait donner des noms, il n'avait qu'à les donner: «Vous connaissez le personnage, ce n'est pas quelqu'un qu'on contrôle. S'il avait des choses à dire, il n'avait qu'à les dire.» Duchesneau de son côté demandera à être réentendu, offre que finira par rejeter la procureur-chef (D-8-8-12, p., A-1; J-8-8-12,p., 4).
La semaine se terminera sur deux coups de thâtre dignes de la fiction. D'abord, le leader étudiant Gabriel Nadeau-Dubois annonce sa démission. Il en avait apparemment assez des attaques personnelles dont il fait l'objet depuis le début de la crise étudiante. Lorsque l'on s'aventure dans la cour des grands, Gabriel, on est traité comme un grand. Puis, Radio-Canada s'invite inopinément dans la campagne de Jean Charest qui se serait bien passé de cette visite. Il aurait, donc, ordonné à la Sûreté du Québec de cesser la filature d'un vieille connaissance à lui, Eddy Brandone, que certains associent au monde interlope (D-9-8-12, p., A-1; D-9-8-12,p., A-7; J-9-8-12,p., 7).
Mais, il faut parfois savoir lire entre les lignes. Alors revenons donc plus attentivement sur la première semaine de campagne pour mieux voir de quoi il en retourne. Il faut parfois avoir recours au microscope pour mieux saisir notre réalité ambiente.
*Le dossier Rona
La campagne vient à peine de commencer lorsque le ministre des finances Raymond Bachand voit s'abattre sur lui une chance en or de saisir le rôle de protecteur intrépide du patrimoine économique québécois. Le conseil de Rona annnonçait tout juste une offre d'achat vieille de trois semaines faite par le géant américain Lowe's, visant l'acquisition de la société québécoise Rona. Brièvement, Lowe's offre 1,8 milliard $ aux actionnaires de Rona, soit 14,50 $ l'action. Celles-ci se vendaient sous les 10 $ avant que des rumeurs de prise de contrôle commencent à circuler. Avant la débâcle de 2008, en 2005, elles se transigeaient à 25 $. Rona achète 47 % de ses produits au Québec et y soutient environ 50 000 emplois, directs et indirects. La Caisse détient 14,2 % du capital en circulation de l'entrepeise. Avec 12 %, Invesco Trimark pèse également lourd dans le dossier. Invesco Trimark se dit favorable à la vente, en raison de la mauvaise gestion de Rona. Autrement dit, des départs sont à prévoir si la transaction se concrétise.
Aussitôt, le ministre Bachand est aux barricades. Le groupe Lowe's, donc, n'est pas le bienvenu et il devrait le comprendre. En outre, le passage du contrôle de Rona à des mains étrangères ne serait ni dans l'intérêt du Québec ni dans l'intérêt du Canada. Mais, voilà, avec la mondialisation, tant célébrée par son gouvernement, on a abrogé la loi de tamisage des investissements étrangers mise en place par le gouvernement Trudeau dans les années 70. En d'autres termes, on a livré les entreprises du pays pieds et poings liés au capital étranger, beaucoup plus plus puissant que le nôtre. Les ventes de Lowe's, par exemple, font 50 milliards $ annuellement, ce qui signifie environ 31 % des actifs de la Caisse de dépôt. Et, à ce jeu, Claude Béland ne donne pas cher de la peau du parc économique québécois:
«Face aux immenses réservoirs de capitaux étrangers dont les détenteurs ne voient pas l'avenir du québec de la même façon que les gens d'ici, comment jouer à ce jeu de Monopoly qui fait que c'est toujours le plus riche qui gagne?» (D-7-8-12,p., A-7)
Le soussigné lui non plus ne donne pas cher de la peau des «fleurons» québécois dans cet environnement financier où règne la loi du plus fort. Malheureusement, la classe dirigeante du Québec feint de ne pas le comprendre. On espère bien sûr mettre un jour la main sur le gros lot du capital étranger lors d'une prise de contrôle, ce qui ne serait pas possible si les investissements étrangers faisaient l'ojet d'un tamisage plus strict. Et, pour souffler le gros lot, on hésite pas à mettre la Caisse à contribution. À ce jeu, cependant, le lot de retraite des Québécois risque de prendre un sale coup (D-2-8-12, p., B-1; J-4-8-12, p., 37; D-7-8-12, p., A-7; D-2-8-12, p., A-1)
*Les étudiants
En début de campagne, le dossier des frais de scolarité pesait pour 14 % dans l'échelle des priorités de l'électorat, s'il faut en croire les résultats d'un sondage Léger Marketing publiés le 1er août dernier (J-1-8-12, p., 2). Pourtant, la turbulence des manifestations étudiantes faisait les manchettes depuis le mois de février. En fait, il y avait à peu près consensus autour du fait que les élections avaient été déclenchées dans le but de trancher le débat.
Malgré l'apparente unité d'action qui avait caractérisé leur opposition à la hausse des frais de scolarité au cours de l'hiver, les étudiants aborderont la campagne dans une situation de relative désunion. La FECQ et la FEUQ choisiront donc de cibler un certain nombre de circonscriptions où les candidats libéraux montrent une vulnérabilité évidente. On en retiendra environ 25, dont celle de Sherbrooke où Jean Charest l'avait emporté par des majorités de 1 332 en 2007 et 2 314 en 2008. On compte bien en outre tirer avantage du fait que la Ville de Sherbrooke est une ville étudiante pour fragiliser le candidat Charest. Plus globalement, les deux fédérations affirment vouloir hausser la participation étudiante de 45 % à 65 %. On se garde bien, en outre, d'exprimer l'intention de vouloir favoriser l'élection du PQ ou de QS, de crainte d'attirer l'attention du Directeur dénéral des élections. Mais, il est évident que ni le PLQ ni la CAQ n'ont la cote en milieu étudiant. Martine Desjardins, à la FEUQ dit souhaiter l'élection d'un gouvernement qui va «écouter la voix des jeunes». Et, la «voix des jeunes», cela signifie les frais de scolarité, le développement durale et l'éthique en politique. Du côté de la CLASSE, on montre des aspirations beaucoup plus ambitieuses, trop ambitieuses. Le groupe publiera en effet un manifeste où il sera question d'environnement, d'égalité hommes/femmes, du néolibéralisme, des droits de scolarité, etc. Le groupe organisera en outre une tournée visant à faire connaître son «projet de société» à l'échelle de la province. L'expérience aura cependant un succès plutôt mitigé, ce qui aura pour effet de remettre la CLASSE en contact avec la réalité. Le Québec n'est pas à l'aube de la révolution, loin de là (D-2-8-12, p., A-3; D-2-8-12, p., A-5; D-6-8-12, p., A-4; D-7-8-12, p., A-4).
Les partis ne seront donc pas longs à faire connaître leurs couleurs dans le dossier. Avec QS et ON, on se dirigerait éventuellement vers la gratuité scolaire à tous les niveaux D-4-8-12, p., A-3). Du côté du PQ, on promet d'annuler la hausse et d'abroger la Loi 12 dans les cent premiers jours de l'arrivée du parti qu pouvoir. Il y aurait également organisation éventuelle d'un sommet sur le financement et la gestion des universités, auquel seraient conviés étudiants, société civile, patronat et syndicats. Le PQ y défendrait le principe de l'indexation, sans pour aurant reoncer à la gratuité. Contrairement au CREPUQ, Mme Marois dit ne pas croire au sous-financement des universités, situant plutôt leur problème du côté de la mauvaise gestion. (D-3-8-12, p., A-4). À la FEUQ, on a exprimé l'intention de participer à un tel sommet. Au Parti Vert, on a congédié la candidate dans Outremont, Karolane Baillargeon qui s'était dite favorable à la hausse des frais (D-7-8-12, p., A-2).
François Legault, à la CAQ, maintiendrait la bonification offerte par les libéraux au titre du régime des prêts et bourses et il ramènerait la hausse à 1 000 $ sur cinq ans, depuis 1 625 $ sur sept ans. Mais selon lui, les priorités ne résident pas du côté des frais de la scolarité universitaire. Il les voit plutôt du côté des études primaires et secondaires, où il faut absolument s'attaquer au décrochage et améliorer la qualité de l'enseignement qui y est offert. Le chef caquiste encourage cependant les étudiants à participer massivement à la campagne, tout en leur recommandant de rentrer sagement en classe à la fin de l'été. Aux fédérations étudiantes, l'offre caquiste n'a pas suscité beaucoup d'intérêt. C'et pire que les libéraux, estime-t-on à la FECQ (D-2-8-12, p., A-1).
Chez les libéraux, on considère à toutes fins pratiques le dossier classé. Cela signifie une hausse de 1 625 $ sur sept ans, accompagnée d'une maigre bonification du régime des prêts et bourses. Le premier ministre ne manque d'ailleurs pas une occasionde rappeler que les frais des étudiants québécois sont parmi les plus bas en Amérique du Nord. Soit, mais ils sont supérieurs à la moyenne des pays de l'OCDE. Et, dans plusieurs pays membres de cette organisation, on a opté pour la gratuité, ou presque. Le candidat Robert Poëti, lui, aurait choisi la PLQ parce que les gens ont le droit «de prendre le métro en paix» et de «traverser les ponts sans perturbation» (D-3-8-12, p., A-3). En fait, ils peuvent le faire en toute tranquilité depuis le début de la campagne...What a difference the summer sun makes ...
Le candidat Poëti ne s'en doutait probablement pas, mais il a des appuis en haut lieu au PQ. Mme Marois et son candidat vedette Léo Bureau-Blouin demanderont en effet aux étudiants d'observer une trève pendant la campagne (D-3-8-12, p., A-4) . À la CLASSE, comme à la FECQ et à la FEUQ, on refusera d'envoyer un mot d'ordre aux associations. Du côté de la CLASSE, d'ailleurs, on entendait non seulement laisser les associations libres de leurs décisions, mais encore estimait-on, là-bas, que l'élection d'un nouveau gouvernement ne signifierait pas nécessairement la fin de la grève, fût-il partiellement favorables aux revendications étudiantes (D-7-8-12, p., A-4). Martine Desjardins, à la FEUQ, semblait en fait du même avis: «Ce n'est pas parce qu'on est en élection que le conflit est terminé.» (D-8-8-12, p., A-4) Dans les rues, cependant, il y a trève. Il y a bien eu une manifestation dans le centre-ville de Montréal le jour du déclenchement des élections, mais elle était loin d'avoir le muscle des manifestations de l'hiver dernier (D-2-8-12, p., A-3).
Fallait-il, cependant, s'attendre à du brasse-camarade lors du retour en classe?
Un groupe de 1 162 professeurs québécois signera un document aux termes duquel les signataires exprimaient leur intention de refuser d'enseigner si une grève était déclarée dans leur institution à la reprise des classes (D-7-8-12, p., A-4). À la CAQ, François Legault se montre «ferme». Il est donc «inacceptable qu'un enseignant qui est payé pour enseigner, refuse d'enseigner.» La CAQ ne verserait donc pas leur salaire aux professeurs abstentionnistes. Et, les récalcitrants auraient droit à d'autres «sanctions» plus sévères. Au PLQ, «on est pas dans les sanctions, on est dans la rentrée» expliquera Jean Charest en rapport avec l'affaire. Une fois de plus, un candidat libéral a des appuis au PQ. Certes, Mme Marois trouve la Loi 12 «ignoble», mais elle n'en souhaite pas moins un retour en classe à 100 %. Elle est donc pour la fin de la grève? Non, elle n'a pas dit cela. Alors, qu'a-t-elle dit? «Ce que je souhaite, c'est que 100 %des étudiants puissent retourner en classe». On admettra que cela ne laisse pas beaucoup de place pour une grève. Du côté de la FEUQ, on encourage les étudiants à respecter la loi. Mais, à la CLASSE, c'est une autre histoire. Gabriel Nadeau-Dubois se montre intraitable, comme toujours. Si certains étudiants défient la loi, «on va les appuyer et subir les conséquences.» Dans la réalité, cependant, le retour à la normale est bel et bien enclenché. Au niveau des cégeps, 96 % des étudiants ont choisi de se réinscrire. Et, s'il y a quelques votes de grève, ils sont peu nombreux et obtenus avec des taux de participation étonnament bas (D-8-8-12, p., A-4; D-8-8-12, p., A-5).
Puis, coup de théâtre, le porte-parole de la CLASSE, Gabriel Nadeau-Dubois, démissionne. Il en a assez des attaques personnelles dont il fait l'objet depuis le début du conflit étudiant. D'ailleurs, le temps est venu de passer le flambeau. Mais, la lutte continue. Alors, «ensemble, bloquons la hausse.» (D-9-8-12, p., A-1; D-9-8-12, p., A-7). On semble donc être revenu à des objectifs plus réalistes qu'au départ. La CLASSE s'est perdue dans la généralité et il était prévisible que sa démarche prendrait fin dans un vide relatif. Mais, la leçon a-t-elle seulement porté?
*La lutte à la corruption
Au PQ on a entrepris la campagne sur le thème de l'intégrité. «L'enjeu le plus urgent, c'est de changer le gouvernement libéral de Jean Charest, ce gouvernement usé et corrompu», expliquait Pauline Marois en début de campagne (D-2-8-12, p., A-1). À l'époque, la corruption dans l'industrie de la construction faisait 22 % dans l'échelle des priorités de l'électorat. Mais, selon un sondage commandé par l'Institut du Nouveau Monde, l'intégrité et la compétence occupent le sommet des qualités recherchées par la population québécoise chez ses gouvernants (D-4-8-12,p., A-4). Le fossé est cependant immense entre ce que l'électorat dit vouloir et ce qu'il fait en réalité dans l'isoloir. Lorsque les choses vont bien, la corruption ne pèse pas lourd sur le crayon du voteur.
La CAQ avait débuté sa campagne sur le thème du changement, mais elle ne sera pas longue à s'inviter sur le marché de la vertu. Le 2 août, donc, François Legault annonce que son premier projet de loi porterait sur l'intégrité dans les affaires publiques. Pourtant, il avait jusque-là à maintes reprises expliqué son retour en politique par la nécessité d'une réforme en profondeur du système d'éducation. À tout événement, il y a tout lieu de penser que des démarches avaient alors déjà été entreprises dans le but d'attirer Jacques Duchesneau dans le giron caquiste (D-4-8-12,p., A-1; D-3-8-12,p., A-1). L'élection de la CAQ signifierait donc la nomination d'un Commissaire à l'intégrité qui réunirait les postes actuels de Commissaire au lobbyisme et de Commissaire à l'éthique. Comment se fait-il que ces deux commissaires ne suffisent pas à la tâche? Il y aurait en outre interdiction de se livrer à des activités de lobbyisme entre le moment du lancement d'un appel d'offres et le moment de l'attribution du contrat visé à l'appel. C'est bien. Mais, ce n'est pas assez. D'abord, ce sont les firmes d'ingénierie qui rédigent les appels d'offres au ministère des Transports. Ensuite, le lobbyisme dépasse largement le domaine contractuel. Dans le même sens, les municipalités pourraient annuler un appel d'offres dans les cas où les prix suggérés par un petit groupe de soumissionnaires seraient trop élevés. Impressionnant, mais pourquoi ne viser que les municipalités? On rehausserait également le niveau de compétence des ingénieurs du ministère des Transports. Finalement, on limiterait à 100 $ annuellement et à un parti seulement les dons aux partis politiques. En quoi cela empêchera-t-il la circulation de l'argent comptant ? Jean Charest n'est pas impressionné. Il s'attribue une note de 8/10 au titre de la lutte à la corruption. Il n'a aucune idée de la tempête qu'il vient de réveiller. Au PLQ, on ne manquera pas de rappeler à M. Legault que son candidat cinq étoiles Gaétan Barrette fait l'objet de procédures liées au lobbyisme et que son secrétaire-trésorier Marc Deschamps aurait trempé dans le scandale du Faubourg Contrecoeur. À la CAQ, ce sera tolérance zéro, répliquera M. Legault (D-3-8-12,p., A-1). Apparemment, le ménage incluera également un examen des finances de toutes les municipalités ainsi que l'inclusion d'Hydro-québec et de la Caisse dans le périmètre d'inspection du Vérificateur-général (D-3-8-12, p;, A-8).
Alors, il semble bien que le PQ ne sera pas seul aux commandes du tramway nommé vertu. Vendredi le 3 août, une rumeur frappe les salles de presse avec une intensité d'au moins 9 sur l'échelle du tohu-bohu médiatique. Jacques Duchesneau serait sur le point de se joindre à la CAQ. Le Globe and Mail en a d'ailleurs parlé la veille. Outré par la réaction «désinvolte» de Jean Charest à l'annonce du plan anti-corruption de la CAQ, Jacques Duchesneau se serait senti condamné à l'action. Et, c'est l'autoévaluation à 8/10 de Jean Charest qui aurait été l'élément décisif. Les négociations avec le parti de François Legault auraient débuté le 28 septembre, mais elles achoppaient sur la présence de Marc Deschamps dans l'organigramme de la formation. Ne voulant pas devenir «un objet de distraction» Deschamps quittera finalement toutes ses fonctions avec le parti, pour être remplacé par Nicole Savard. Sans confirmer l'arrivée du limier Duchesneau à la CAQ, François Legault garde la porte ouverte:« Les gens savent très bien qu'il y a un grand ménage à faire au Québec». Et, apparemment, les deux hommes s'entendent très bien sur la nécessité de «faire le ménage» (D-4-8-12,p., A-1).
Au PQ, Pauline Marois réagit avec flegme. Si quelqu'un a peur de l'arrivée de Jacques Duchesneau à la CAQ, ce quelqu'un est au PLQ. Pourtant le PQ avait fait la vie dure à M. Duchesneau tant lors de sa nomination à l'Unité anticollusion que lors de son passage devant la Commission Charbonneau (D-4-8-12,p., B-3). Jean Charest, lui, préfère s'en tenir à son autoévaluation (D-4-8-12, p., A-1).
Puis, le tonerre frappe une fois de plus. Et, cette fois, c'est vrai. Jacques Duchesneau entre à la CAQ par la grande porte. La prestigieuse et très médiatique recrue sera vice-premier ministre et ministre délégué au premier ministre. Il sera en outre responsable de l'action gouvernementale en matière d'intégrité, ce qui l'amènera à jouer un rôle de supervision à ce titre au ministère des Transports, à la Sécurité publique et à la Réforme des institutions démocratiques. S'ajoutera à cela la présidence d'un comité interministériel à l'intégrité. Mais, il lui faudra d'abord gagner la confiance des électeurs de Saint-Jérôme.
Enquêteur un jour, enquêteur toujours semble en outre penser le nouveau candidat. Avant de monter dans le ring, donc, il a mené son enquête sur François Legault et la CAQ. Il était en fait «mal à l'aise» avec le cas Deschamps, expliquera-t-il. Il a en outre été exempté de la contribution de 25 000 $ exgigée des autres candidats caquistes qui, s'il faut en croire la plateforme du parti, ne pourront plus contribuer au cours des...250 prochaines années. M. Duchesneau juge néanmoins légales et nécessaires les collectes de fonds liées aux campagnes électorales.
Jean Charest, lui, voit sa note passer de 8/10 à 2/10. Et, il le prend mal:«Au lieu de salir tout le monde, qu'il en fasse la démonstration», dira le premier ministre à propos des affirmations de Jacques Duchesneau voulant que 70 % des contributions politiques soient de sources illégales. Au PQ, on semble inconfortable avec l'arrivée de Duchesneau dans la campagne. À la surprise des journalistes, Mme Marois refusera de commenter l'événement. Bernard Drainville le fera à sa place:«M. Duchesneau n'a pas le monopole de la vertu...», objectera-t-il, avant d'énumérer les hauts faits de son parti sur le marché de la vertu. Et, s'il faut en croire Françoise David, M. Duchesneau aurait été le bienvenu à QS (D-4-8-12,p., A-1).
Jacques Duchesneau est «indigné» et il se lève «pour le Québec», déclarera-t-il dans la foulée de l'annonce de sa candidature. On notera l'appel subliminal à la clientèle libérale. Les témoignages qu'il a recueillis lors de ses enquêtes à l'Unité anticollusion l'ont contraint à l'action. Mais, le limier Duchesneau n'a pas pour autant l'intention d'utiliser son rapport secret au cours de la campagne. Il ne voudrait «surtout pas nuire aux travaux de la Commission Charbonneau». Mais, cela ne veut pas dire qu'il faille attendre son rapport pour agir. Et, la lutte sera dure. Il anticipe d'ailleurs «un merdier« au cours de la campagne.
Le PQ risquait d'échapper le volant dela vertu. Il fallait donc vite reprendre l'initiative. Pauline Marois réitère sa promesse de «faire le ménage». Elle dirigera donc un gouvernement «exemplaire» et montrera une vigilance «de tous les instants». La chef péquiste est formelle: «Si jamais un membre de mon gouvernement devait manquer à ses devoirs, je serai intraitable. Ce sera tolérance zéro». Les intentions sont bonnes, mais les gestes promis sont peu nombreux. À tout événement, Mme Marois conclura en rappelant quelques scandales libéraux, sans oublier de dépoussiérer la vieille promesse péquiste de réduire à 100 $ les contributions aux partis politiques (D-6-8-12, p., A-4). Le lendemain, Bernard Drainville, Nicolas Girard et Bertrand St-Arnaud agiteront une histoire datant de 2008 mettant en cause la commission scolaire Riverside et la Fondation F. Catania. Mais, ils fouettent un cheval mort. Plus personne ne croit en la vertu de PLQ (D-7-8-12,p., A-1).
Jacques Duchesneau, lui, prend du galon. De passage au 98.5 FM, il y va d'une annonce voulant qu'il lui reviendrait de «nommer» les ministres aux Affaires municipales, aux Transports, aux Ressources naturelles et à la Sécurité publique. François Legault corrige le tir. M. Duchesneau «sera consulté». L'intéressé, lui, retourne au 98.5, où il plaide son inexpérience et prévient qu'il commettra sans aucun doute «d'autres bourdes». Pour la chef péquiste, «l'amateurisme pur» de la CAQ est inexcusable. Elle dit même ressentir un peu d'empathie pour ce pauvre M. Deltell (Gérard) qui doit se sentir bien seul depuis l'arrivée à la CAQ de son important collègue. M. Charest, lui, voit dans cette affaire une occasion de remanier l'organigramme de la CAQ et il la saisit au bond. Dérénavant, Jacques Duchesneau va nommer les ministres et François Lrgault pourra s'occuper «du compte Twitter» (D-7-8-12, p., A-2).
M. Duchesneau tient parole. En entrevue au Journal de québec, il passe un savon au procureur de la Commission Charbonneau:« On m'a interrogé et contre-interrogé pendant cinq jours et je n'ai pas été capable de passer mes messages. L'avocat du gouvernement (Me Benoît Boucher) est venu me poser des questions simplistes sur mon local, la grandeur de mon bureau et le nombre de toilettes, et une fois que je suis sorti de la commission, on me demande de nommer des noms.» Pas mal pour quelqu'un qui ne voulait «surtout pas nuire» à la Commission charbonneau (J-7-8-12,p., 3).
Le procureur-chef Sylvain Lussier encaisse durement l'intervention du candidat Duchesneau. S'il avait des choses à dire, il n'avait qu'à les dire. Il ajoutera que les sources énumérées dans le Rapport du limier Duchesneau portaient des noms de code. La réplique de ce dernier ne tardera pas: « ...les enquêteurs de la commission ont déjà rencontré deux des témoins que je leur ai référés et ceux-ci seront appelés à témoigner...Il y a d'autres témoins qui portent des noms de code par sécurité et dont les dépositions ont été remises aux enquêteurs. Ces témoins sont pour la plupart disposés à comparaître, mais ils craignent le cadre de la commission, et les impacts sur leur vie. J'espère que la sortie publique de Me lussier ne les dissuadera pas de de témoigner devant la commission«, expliquera-t-il par voie de communiqué. Une semaine auparavant, il avait pourtant affirmé avoir donné tous les noms à la commission:«...jeudi soir, j'ai envoyé les noms à Me Claude Chartrand de tous les témoins qui sont dans mon rapport.» Il exprimera d'ailleurs le souhait d'être réentendu par la commission, offre que rejettera le procureur-chef.
François Legault, lui, se demande pourquoi on a pas posé les vraies questions à M. Duchesneau;«Pourquoi Me Lussier n'a pas posé les questions? Est-ce qu'il avait quelque chose à cacher? Est-ce qu'il protégeait le gouvernement?» Le chef caquiste suggérera même que la sortie de Me Lussier pourrait avoir été téléguidée par le gouvernement. M. Charest est indigné:«M. Duchesneau, après avoir encensé la commission et l'avoir comparée, et je cite, à..."un dream team", l'a attaquée...l'indépendance de la Commission Charbonneau doit être respectée et non attaquée.» Au PQ, Mme Marois n'apprécie manifestement pas le second regard de M. Duchesneau sur les travaux de la commission. Alors, l'avocate du PQ, Me Estelle Tremblay, avait eu raison de se montrer «dure» avec le témoin Duchesnesu lors de son passage devant la commission. En juin, la chef péquiste estimait que l'avocate avait «peut-être poussé un peu loin». Mme Marois avait alors également affirmé qu l'avocate du parti n'avait pa reçu le mandat de «décrédibiliser» M. Duchesneau. Et, la confiance de Mme Marois en la commission Charbonneau laisse peu de place au doute:«Moi, je peux vous dire que je fais totalement confiance à la Commission Charbonneau. Nous allons l'appuyer dans son travail et nous allons recevoir ses résultats en appliquant éventuellement ce qu'ils nous recommanderont. Je trouve ça un peu inquiétant que M. duchesneau semble mettre en doute la Commission Charbonneau.» Peut-être M. charest méritait-il, après tout, sa note de 8/10...
Et, il semble bien que M. Duchesneau devra vivre avec ses doutes. Le procureur-chef n'a pas l'intention de recommander que le témoin Duchesneau soit réentendu:«Il a témoigné une fois et son témoignage est exhaustif quant à nous.» (J-8-8-12, p., p., 4). Ni M. Charest ni Mme Marois ne semblent vouloir insister pour que l'on réexamine le témoin Duchesneau. En fait, même François Legault donne l'impression de vouloir passer l'éponge sur l'incident:
«Il a qualifié la sortie de Sylvain Lussier "d'erreur de parcours", mais a assuré qu'il avait toujours confiance en la commission et ses commissaires.
"Me Lussier a rectifié ses propos hier soir...il a dit qu'il était satisfait du témoignage de M. Duchesneau et nous sommes satisfaits de ses explications» (D-9-8-12,p., A-3).
Tout le monde, donc, semble avoir confiance en la Commission Charbonneau. Au Devoir, cependant, l'éditorialiste Josée Boileau semble avoir la confiance moins libertine. Dans un texte intitulé Apparences écorchées...elle écorche la commission. En 2008, donc, Me Lussier a représenté une entreprise d'asphaltage mise en cause par Jacques Duchesneau dans la foulée de son témoignage de juin dernier devant la Commission Charbonneau. Le litige touchait également les affaires de Tony Accurso. Me Lussier était jusqu'à récemment membre de l'équipe Plan Nord du cabinet où il exerce sa profession. Nommé procureur de la commission en novembre 2011, Me Lussier détenait divers mandats pour le compte de la Ville de Montréal à la même époque. Il avait alors promis de s'éclipser au bénéfice d'un collègue lorsque la ville serait directement en cause. Il finira cependant par abandonner ce discutable cumul de mandats. Pourquoi le mandat de la commission exclut-il les compteurs d'eau, le Port de Montréal (juridiction fédérale), et nombre de municipalités? On ne pourra certainement pas reprocher à Me Lussier de ne pas connaître les dossiers.
La vérité, c'est que personne ne veut réellement éliminer la corruption. Les politiciens aident ceux qui les ont aidés à se rendre là où ils sont. Cela était vrai du temps de Machiavel et cela l'est toujours. Alors, il ne faudrait pas se surprendre de voir la Commission Charbonnesu devenir un genre de commission Bistarache (bis comme dans bis) ou une Commission Salvas (Élie). On sacrifiera quelques boucs émissaires et la vie reprendra tranquillemet son cours...jusqu'à la prochaine commission.
À suivre...


Laissez un commentaire



4 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    27 août 2012

    Merci de la correction. C'est ce qui arrive lorsqu'on travaille de mémoire. Il va falloir que je me corrige...
    L. Côté

  • Archives de Vigile Répondre

    25 août 2012

    Antonio Barrette vous voulez dire?

  • Archives de Vigile Répondre

    22 août 2012

    Selon les résultats d'un sondage Forum Research publiés ce matin sur le site du National Post, la situation serait la suivante au 20 août:
    PLQ........35 %
    PQ.........29 %
    CAQ........24 %
    Le président de Forum Research attribue ce revirement à la prestation de Jean Charest lors du débat de dimanche dernier.
    L. Côté

  • Archives de Vigile Répondre

    21 août 2012

    Il est possible que nous nous dirigions vers une élection historique. Il y a présentemenmt un effort concerté pour donner une apparence de "momentum" (effet de vague) à la campagne caquiste. On tente en effet de créer l'impression qu'il y a un exode en cours du PLQ vers la CAQ. Or, si, et je dis bien si, la CAQ devait prendre le pouvoir, Jacques Duchesneau exigerait que la Commission Charbonneau sorte le bâton. Et, elle n'aurait pas le choix. Il faudrait qu'elle l'agite un peu, le bâton. Mais, pas trop. On serait alors plus ou moins en présence d'une autre Commission Salvas. En d'autres termes, le PLQ pourrait bien disparaître, comme l'Union nationale à l'époque. Il y a beaucoup plus d'Antonio Talbot que de Paul Sauvé à l'heure actuelle au PLQ. Et, cela emporterait les derniers vestiges de la Révolution tranquille. Certains le souhaitent ardemment. On le verra dans mon prochain article. La cible immédiate visée dans l'affaire Brandone était évidemment Jean Charest et le PLQ. Mais, la cible ultime, c'était le Parti libéral du Canada...et peut être le PQ. Vous avez bien lu. Vous le constaterez à la lecture de mon prochain article. Il y a parfois utilité à regarder l'actualité avec un peu de recul.
    Je n'arriverai de toute évidence pas au fil d'arrivée en même temps que les candidats. Mais, je poursuivrai quand même. Comme je le disais, cela pourrait être une élection historique peu importe le résultat. Le Québec pourrait bien en effet élire sa première femme premier ministre.
    À suivre,
    L. Côté