L'Assemblée nationale a adopté hier «aux petites heures du matin» la loi 115 sur les écoles passerelles. Malgré les emportements verbaux du côté des opposants, elle fut votée sans difficulté grâce à une certaine indifférence de la part de la population. Une indifférence inquiétante.
La question des écoles passerelles n'est pas le sujet chaud de l'heure. Les Québécois sont davantage préoccupés par le débat sur les gaz de schiste. Les gaz de schiste, voilà un problème concret susceptible de toucher la vie de nombre de citoyens. À l'inverse, les écoles passerelles sont un sujet invisible. À part les personnes concernées, personne ne peut voir ni mesurer concrètement dans sa vie quotidienne l'impact de la multiplication du nombre d'enfants issus de l'immigration qui, par ce biais, acquièrent un droit de fréquenter l'école anglaise. Pourquoi donc s'inquiéter?
La première fois que ce problème fut soulevé, en 2002, et qu'une loi fut adoptée pour interdire les écoles passerelles, on s'était pourtant inquiété. On voyait la brèche ouverte dans la loi 101 et le danger que cela représentait à long terme pour l'intégration des immigrants à la société québécoise. Cette loi, dite la 104, fut même adoptée à l'unanimité. Mais cette fois, aucune unanimité ne fut possible après que la Cour suprême l'eut invalidée l'an dernier. Le gouvernement Charest rejeta d'emblée l'idée de soumettre les écoles passerelles à l'autorité de la loi 101, avec le cas échéant un recours à la clause dérogatoire à la Charte des droits. Il opta plutôt pour des aménagements qui rendront plus difficile l'accès à l'école publique anglophone après un séjour dans une école passerelle. Le parcours sera tout simplement plus long et plus onéreux et un peu plus incertain, selon que l'on appliquera avec rigueur les dispositions de la nouvelle loi adoptée hier.
Le gouvernement a fait ce choix essentiellement parce qu'il ne croit pas la langue française menacée au Québec. Les ministres libéraux francophones ne le croient pas, les députés libéraux francophones non plus. Bref, personne ne pouvait faire contrepoids au lobby de la communauté anglophone relayée par les députés et ministres anglophones pour libéraliser l'accès à l'école anglaise.
On a souvent fait la comparaison avec la décision prise par le premier ministre Robert Bourassa lorsque les articles de la loi 101 sur l'affichage unilingue français furent invalidés en 1989. Il ne tint pas compte alors du lobby anglophone et eut recours à la clause dérogatoire de la Charte des droits pour maintenir la loi. Trois ministres anglophones démissionnèrent. On dit qu'il fit preuve de courage, mais il faut rappeler qu'à l'inverse de ce qui s'est passé hier, il faisait face à un large mouvement d'appui à la loi 101 au sein de sa députation francophone.
On peut reprocher au gouvernement Charest son manque de conviction, mais peut-on lui en tenir rigueur si par ailleurs les Québécois pour bon nombre demeurent indifférents à ces enjeux? Oui, il y a eu des manifestations contre la loi 115, mais convenons qu'en dépit de ses efforts, le Parti québécois n'a pas réussi à mobiliser les Québécois. Pourtant, l'enjeu que représente l'intégration des immigrants est vital pour l'avenir de la langue française, ce qui passe obligatoirement par l'école française. Nous ne sommes pas enclins au Devoir à surdramatiser la situation du français au Québec, mais il y a un problème réel à Montréal. Le gouvernement Charest a malheureusement fermé les yeux. Même si ce n'est que dans quelques années, nous paierons collectivement un jour le prix de cette indifférence.
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