Deux sorties de crise en lice, et le yuan comme arbitre

Crise mondiale — crise financière


Nous sommes sans doute à la veille d'évènements économiques
considérables.
Le changement brutal de la politique de change monétaire de la Chine le
laisse présager. En effet, jusqu'ici le gouvernement chinois refusait
énergiquement de modifier sa politique de change qui, depuis 2008,
consistait à maintenir une stricte constance du taux de conversion entre le
renminbi (ou yuan) et le dollar. Il estimait que ce taux correspondait à
une valeur correcte des deux monnaies, l'une par rapport à l'autre.
Personne, économiste ou institution, n'a d'ailleurs pu prouver le
contraire. Je pense en effet que cela est strictement impossible d'un point
de vue économique, et le déficit commercial abyssal que présentent les É-U
à l'égard de la Chine ne constitue pas une preuve en soi de ce
déséquilibre. On pourrait tout aussi bien prétendre que ce déficit résulte
de la politique d'un dollar fort, entretenu artificiellement fort par les
autorités étasuniennes, et que sa valeur ne reflète plus le poids réel de
l'économie du pays, très largement exagérée par une opinion un peu trop
traditionnelle.
Je me contenterai d'observer que les cambistes étasuniens ont la main haute
sur la fixation des taux de change monétaires, et qu'ils sont fortement
inspirés par les instances monétaires du pays. Ce phénomène emphatique est
d'ailleurs analogue à celui des agences de notation, exclusivement
étasuniennes, dont on a remarqué l'influence abusive tout au long de la
récente crise financière grecque.
Mais avant de supputer les résultats de ce nouvel affrontement monétaire,
considérons d'abord les stratégies de sortie de crise des deux blocs
occidentaux, celle des É-U puis celle de l'UE. Elles sont diamétralement
opposées.
***
La stratégie étasunienne
Les É-U ont opté pour un retour forcé à la situation économique prévalant
avant la crise, c'est-à-dire pour une accélération de la consommation
appuyée sur des taux d'intérêt pratiquement nuls, et une injection continue
de liquidité dans le système bancaire, ces deux éléments devant, dans leur
esprit, inciter les consommateurs étasuniens à revenir à l'endettement "as
usual". Tous les économistes soulignent l'ampleur du risque que présente
cette stratégie, notamment en terme d'inflation.
Cette politique aurait des chances de réussite si elle pouvait
effectivement susciter un dynamisme consommateur au sein de la population.
Mais ce raisonnement est erroné.
Comme l'a montré avec aisance J. K. Galbraith dans son petit ouvrage sur "
Les mensonges de l'économie " publié en 2004 chez Grasset, il n'y a pas de
relation directe entre les variations du taux d'intérêt et celle de la
consommation, contrairement à une théorie convaincante, mais sans réalité
rationnelle. Elle n'est en fait qu'une croyance simpliste. Lorsqu'une
entreprise emprunte, c'est parce qu'elle juge que l'argent emprunté va lui
permettre de gagner de l'argent, et non parce que les taux d'intérêt sont
bas. Il en est bien sûr de même pour les particuliers, lesquels peuvent
aussi bien emprunter parce qu'ils craignent que les taux vont monter, que
s'en abstenir parce qu'ils pensent que les taux vont encore baisser.
Ce type d'erreur est courant en économie, car cette discipline s'est muée
depuis quelques dizaines d'années en une discipline mathématisée et
rationalisée, alors que la matière économique est beaucoup plus riche
d'éléments psychologiques et sociologiques que d'éléments rationnels.
Depuis cette stupide évolution, l'économie a perdu sa fiabilité.
La politique de " retour à la case départ " a donc toutes les chances
d'échouer. D'ailleurs les dernières informations du terrain nous indique la
proximité imminente de l'échec. Dans les derniers mois de 2007, les
consommateurs dépensaient en moyenne 2,5% de plus que leur revenu. Dès
2008, ils ont commencé à épargner pour payer leurs dettes, totalement
paniqués à la pensée de connaître le sort des acheteurs de maisons à
subprimes : saisies et expulsions.
Depuis un an, les consommateurs étasuniens se sont mis à épargner en
moyenne 6 à 7% de leur revenu, bien que celui-ci se soit rétréci au fil des
mois. Et pourtant les taux d'intérêt ne peuvent descendre davantage.
Cette politique d'abondance de liquidités ne va donc pas permettre aux É-U
de sortir de la crise. Il va leur falloir trouver autre chose. " On ne peut
faire boire un âne qui n'a pas soif ". C'est bien connu.
***
Dans le fatras d'indicateurs que nous a amené la fin de la semaine passée,
il en est un qui ne semble pas avoir retenu l'attention des économistes, et
qui pourrait pourtant éclairer la suite des évènements de manière plus
précise encore que les indicateurs sur l'emploi, la consommation, la
construction immobilière et la balance commerciale des É-U.
Il s'agit de la hausse des investissements. Au second trimestre 2010,
L'investissement des entreprises étasuniennes dans les biens d'équipements
a augmenté de 21,9%, un record de 14 ans.
Or la consommation est en baisse aux É-U, et la production stagnante. Il
est donc difficile de croire que les entreprises anticipent une
augmentation future de leur production par des investissements productifs.
Alors ?
Alors, ces investissements massifs ne peuvent se justifier que par le désir
d'accroitre, non la production, mais la productivité. En effet, lorsque la
consommation et donc la production décroit, le marché voit ses dimensions
se réduire et attise une concurrence qui s'applique notamment sur les prix.
Et qui dit baisse de prix dit également baisse de coût, et notamment baisse
des frais de personnel, soit par une baisse des salaires, soit par une
baisse des effectifs.
Déjà les entreprises ont, depuis deux ans, obtenu des sacrifices notables
de la part de leur personnel. Mais mon sentiment est que ces
investissements cachent une stratégie des entreprises dirigée vers des
diminutions encore plus importantes de leurs effectifs dans les quelques
mois qui viennent, le temps de mettre en place les matériels acquis. Disons
à partir de septembre.
Nous allons sans doute assister à une nouvelle grande vague de
licenciements d'ici la fin de l'année, suite à la mise en place d'une
robotisation importante. Si mon pronostic se matérialise, nous allons donc
assister à la reprise de la progression du chômage. Si c'est le cas, on
peut s'attendre à une nouvelle plongée de la consommation et un retour de
la récession.
Nous sommes donc assez loin d'une sortie de crise par la consommation.
***
La stratégie européenne
Pendant ce temps-là, les pays européens testent une autre solution pour
sortir de la crise.
Moins dynamiquement, mais sans doute plut pragmatiquement, les pays de
l'Union européenne ont entrepris sagement de payer leurs dettes. Pour le
moment, ils réduisent drastiquement leurs dépenses budgétaires, derrière la
Grèce, qui a bien failli trépasser sous une dette monstrueuse.
Suivant en cela la détermination allemande, mais fort loin des illusions
cultivées de l'autre côté de l'Atlantique, l'Europe choisit donc de mordre
sur sa chique plutôt que de poursuivre une politique d'expansion monétaire
qui la conduirait tout droit vers une situation financière analogue à celle
de l'Allemagne de Weimar en 1923.
C'est une politique fort courageuse, mais elle entrainera mécaniquement
beaucoup de sacrifices dans la population. Les revenus diminuant, la
consommation diminuera également, car des restrictions de crédit
interviendront. Il en résultera des pertes d'emplois dans les entreprises,
s'ajoutant à la réduction des emplois de fonctionnaires.
Si cette situation n'est pas contrôlée avec rigueur, il est possible que la
chute de l'économie européenne dans une dangereuse déflation, en réaction à
la diminution du pouvoir d'achat des familles, pourrait se produire et
perdurer longtemps. Le comportement de la population jouera un très grand
rôle. Si dans son ensemble elle se résout à l'effort, tout devrait bien se
passer. Si c'est le contraire, l'éclatement d'importantes crises sociales
est vraisemblable dans certains pays.
Il est en effet à craindre qu'une telle conjoncture puisse dériver vers une
sévère crise de l'emploi. Or, il faudrait à tout prix pouvoir sauvegarder
ce dernier afin de préserver la possibilité de retrouver la croissance,
après la période qui s'écoulera nécessairement avant qu'une situation
financière saine puisse être rétablie.
Cet effort devant être soutenu par la plupart des pays composant l'Union
européenne, il risque de déboucher sur des difficultés de cohésion des
actions. Le renforcement des pouvoirs et de l'autorité du président de
l'Union ( Van Rompuy ) ainsi que de la BCE devrait être envisagé.
Ce qui me fait craindre des difficultés sur ce dernier point est la
réaction négative de Londres, Paris et Berlin, à la récente proposition du
Commissaire européen au Budget, le Polonais Janusz Lewandowski, d'envisager
la création d'un impôt européen. Le produit de cet impôt ( à prélever sur
des produits à définir, essence, transactions financières, etc… )
serait à déduire des contributions nationales directes au budget de la
Commission de Bruxelles, et n'augmenterait donc pas les prélèvements
fiscaux globaux. Ce premier impôt européen s'appliquerait à l'ensemble de
la communauté sous l'autorité de l'Assemblée européenne de Strasbourg, pour
financer le budget de la Commission de Bruxelles.
Le rejet de ce projet par les trois principales capitales de l'Union
s'explique par leur refus de transférer à L'UE la moindre parcelle de la
souveraineté des États composant l'Union. On est donc fort loin du
consensus nécessaire pour sortir de la crise.
Au moment de la crise grecque, on avait d'ailleurs déjà pu percevoir la
mauvaise volonté des membres de l'Union à pratiquer une politique de
solidarité.
Le " chacun pour soi " va-t-il encore prévaloir cette fois-ci ?
On dirait qu'on est fort loin d'une véritable Europe, puissante et
solidaire. Quel lamentable manque de discernement !
***
La problématique du yuan
Les autorités chinoises, après plusieurs journées de pression de la part
des É-U et d'autres pays occidentaux pour que leur gouvernement relève le
taux de change yuan / dollar, annoncèrent le 21 juin 2010 que ce taux
serait progressivement assoupli, en fonction cependant de l'évolution de
l'économie chinoise. Cette annonce a été faite à la veille du G20, de telle
sorte que les membres de cette réunion se gardèrent bien de soulever la
question.
Or, entre le 21 juin et le 13 août, soit près de deux mois après cette
annonce, le $ n'avait perdu que 0,05% par rapport au YUAN, soit une
revalorisation parfaitement négligeable. Cette perte était montée au
maximum à 0,63$ le 9 août, à peine plus que le 13. Le tableau ci-contre
montre cependant une diminution sensible de la valeur du dollar par rapport
aux autres principales devises.
Pour juin, de mauvais indicateurs du commerce extérieur des É-U annoncèrent
un déficit commercial de 49,90 milliards de $ contre 41,98 en mai, soit une
augmentation de 18,9% d'un mois sur l'autre. Le problème du taux de change
du yuan en $ va donc inévitablement se reposer, mais en des termes quelque
peu différents qu'à fin juin.
En effet, le surplus de la balance des paiements courants de la Chine est
passé de 11% du PIB en 2007 à 6,1% en 2009, en raison notamment de fortes
réévaluations des salaires au cours des dernières années, augmentant
ainsi régulièrement les coûts des produits qu'elle exporte. Il en résulte
que si le yuan pouvait sembler faible il y a encore quelques années, c'est
de moins en moins le cas. Et, comme il est dans l'intention du gouvernement
de continuer à relever progressivement les salaires chinois compte tenu de
l'augmentation spectaculaire de ses exportations, il devient de moins en
moins nécessaire pour lui de modifier le taux de change de sa devise.
En effet, l'excédent commercial chinois de juillet a été le plus élevé
depuis 18 mois. C'est dire que la Chine a dépassé la crise depuis
longtemps, la croissance de son PIB semblant parti pour retrouver cette
année son taux de 12 à 13 % d'avant la crise. Ses exportations ont
progressé de 38,1% par rapport à 2009, avec une forte augmentation vers les
É-U et l'UE.
Par contre ses importations ont ralenti à une croissance de 22,7% en
juillet, contre 34,1% en juin. C'est déjà très beau ! Il faut rappeler que
des mesures bancaires ont été prises au cours de ces derniers mois pour
éviter le surstockage, étant donné un emballement injustifié des prix.
Cette diminution correspond donc sans doute à un début de déstockage.
Pendant les trois mois de crise traversés par la Chine, les achats de
matières premières s'étaient en effet accélérés pour profiter du
fléchissement des prix intervenu pendant cette période.
De tout cela il résulte que l'opinion des économistes occidentaux et
notamment de ceux du département du Commerce des É-U devraient évoluer
vers des prétentions moins excessives qu'au mois de juin.
Il semble maintenant que la balle soit dans le camp des É-U, en ce sens que
s'ils désirent que les prix chinois augmentent, la solution ne se trouve
plus dans la hausse du yuan par rapport au dollar, mais dans la baisse du
dollar par rapport au yuan, ainsi d'ailleurs qu'à toutes les autres devises
occidentales, car l'abondance des liquidités " fabriquées " par la FED
depuis 18 mois, sans contrepartie d'une véritable richesse économique, ne
justifie plus les taux actuels du dollar. Même si cela échappe encore à
beaucoup d'observateurs, il n'est plus désormais possible de considérer le
dollar comme une valeur-refuge.
Cette opinion est d'autant plus réaliste que les récents indicateurs
économiques des É-U, très préoccupants, poussent la FED et le gouvernement
à poursuivre les aides à la relance par l'injection de nouvelles
liquidités. On attend d'ailleurs toujours que la FED présente un plan
d'épongement de ces excès applicable après la sortie de la crise, dont le
terme échappe encore à notre vision aujourd'hui.
André Serra
http://andreserra.blogauteurs.net/blog/
http://cybercanard.com
Cet article répond aux règles de la nouvelle orthographe

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sciences économique et politique géopolitique - ex directeur administratif - consultant en organisation - éditeur
tél. 514-982-0785





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