La ministre de l'Immigration, Yolande James, avait donné rendez-vous hier aux journalistes chez Avensys, une entreprise de l'arrondissement de Saint-Laurent à Montréal où le Ministère offre des cours de français depuis 2004, dans le cadre d'un programme de francisation bien timide. Timide parce que pour le moment, seuls 325 employés d'une douzaine d'entreprises au Québec en bénéficient. Une goutte d'eau dans l'océan, quand on sait que les allophones qui travaillent à Montréal sont tiraillés entre le français et l'anglais. Le dernier rapport de l'Office québécois de la langue française nous dit que 40% d'entre eux travaillent en français contre 39% en anglais.
La ministre dévoilait donc de nouvelles mesures pour «franciser plus tôt, franciser plus, franciser mieux». On veut notamment offrir davantage de cours en entreprise et rejoindre des clientèles qui sont passées à travers les mailles du filet. On compte aussi offrir au futur immigrant, en collaboration entre autres avec les Alliances françaises présentes un peu partout dans le monde, la possibilité de prendre des cours avant même son arrivée au Québec.
On ne peut qu'applaudir ces nouvelles mesures. Mais elles nous laissent sur notre faim. D'une goutte d'eau dans l'océan, on est passé à deux. On parle de 22,7 millions additionnels d'ici 2011. C'est bien peu, quand on sait que plus de 190 000 immigrants ne parlent pas le français au Québec, comme le souligne le démographe Michel Paillé. Retranchez du nombre les jeunes de moins de 18 ans, qui l'apprendront à l'école, on se retrouve avec 150 000 personnes à qui on consacrera environ 175$ pour apprendre le français. Voilà qui semble encore bien timide comme mesure.
Cela dit, il y avait quand même quelques bonnes nouvelles dans l'annonce faite hier, la plus importante étant la création d'un guichet unique d'accès aux services. Quiconque s'est déjà frotté à la bureaucratie de la francisation qui s'entredévore sait qu'il ne suffit pas de parler français pour y comprendre quelque chose. Selon que l'on s'adresse à un fonctionnaire du ministère de l'Immigration, du ministère de l'Éducation ou d'Emploi-Québec, les réponses aux questions que pose l'immigré à son arrivée varient grandement. Un fonctionnaire dit une chose. Son collègue dit le contraire. On note des problèmes de dédoublement de services et de gaspillage de ressources. Des étudiants qui commencent à suivre un cours offert par une commission scolaire abandonnent en cours de route parce que le ministère de l'Immigration les avise soudainement qu'une place s'est libérée. Mais comme les deux ministères ne se parlent pas, le dossier de l'étudiant ne suit pas et il doit recommencer à zéro.
Autre absurdité du système actuel: les étudiants qui suivent les cours du ministère de l'Immigration ont droit à une allocation alors que ceux qui suivent des cours semblables au ministère de l'Éducation, non. Un système de «deux poids, deux mesures» qui n'a aucun sens.
Si on en croit la ministre James qui veut «harmoniser» l'offre de services en francisation, toutes ces absurdités devraient être éliminées d'ici 2009. Il reste à voir si on pourra aller au-delà des voeux pieux. On sait que les ministères de l'Immigration et de l'Éducation se font la guerre depuis des années dans ce domaine, offrant des cours de français aux immigrants chacun de son côté, sans se consulter. Curieusement, personne du ministère de l'Éducation n'était présent à la conférence de presse pour nous expliquer comment se déroulera le nouveau partenariat entre ministères qui permettra la mise en place d'un guichet unique. Le dossier est géré par le ministère de l'Immigration, nous dit-on, en guise d'explication. Mais pour que l'on puisse croire que ce mariage de raison n'en est pas qu'un de façade, la moindre des choses serait que les mariés se présentent ensemble à l'autel.
Dernière absurdité dont personne n'a parlé: même s'il est de bon ton de parler de francisation, ce n'est pas là que le bât blesse vraiment. Le sujet chaud de la francisation éclipse des problèmes d'intégration économique qui sont beaucoup plus criants, notamment pour les immigrants d'Afrique du Nord dont le taux de chômage est de 28%. Or, le plus souvent, ce sont de candidats francophones et diplômés. Au-delà de deux gouttes d'eau lancées hier dans l'océan, si Québec veut vraiment continuer à attirer des candidats francophones, il faudra qu'il s'attaque à cette absurdité au plus vite. L'océan, il est là.
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