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Ottawa — tendance fascisante



C'était du jamais vu. Un gouvernement reconnu coupable pour une troisième fois en un an d'atteinte aux privilèges du Parlement. Après la décision de l'an dernier sur les détenus afghans, le président de la Chambre, Peter Milliken, a reproché à la ministre de la Coopération internationale, Bev Oda, d'avoir induit le Parlement en erreur et au gouvernement de refuser aux députés l'information qu'ils demandaient sur le coût des réductions d'impôt des sociétés, des projets de loi en matière de justice et l'achat des F-35.
La réprimande assénée mercredi dernier est sérieuse, unique, historique. Et dans le cas du refus de divulguer des documents financiers, «il s'agit d'une affaire très grave qui touche l'essence même du rôle incontestable de la Chambre d'exiger des comptes du gouvernement», a dit le président.
Malgré cela, le ministre John Baird a parlé d'une «distraction». Il a même accusé l'opposition de vouloir «détourner les Canadiens de leurs priorités», c'est-à-dire l'économie. Le premier ministre, lui, a présenté la chose comme s'il s'agissait d'une compétition sportive. «Nous avons constamment des débats à la Chambre des communes. Le président tranche. Des fois, on gagne, des fois, on perd», a-t-il dit jeudi. Et d'ajouter, en écho à son ministre: «notre attention ne doit pas être accaparée par les procédures parlementaires. Elle doit l'être par ce qui intéresse les Canadiens et à mon avis, c'est l'économie».
(Le même jour, le directeur parlementaire du budget, Kevin Page, révélait que l'achat de 65 avions de chasse F-35 pourrait coûter presque le double de ce que le gouvernement a dit. La réaction de ce dernier: mettre en doute le travail et les méthodes de M. Page.)
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Chaque fois qu'il est pris à partie sur une question d'éthique, de transparence ou de responsabilité, le gouvernement Harper réduit la chose à une question «administrative», à une obscure affaire de procédure ou à une dispute partisane. Tout ce qui ennuie au plus haut point les Canadiens, croit-il, convaincu qu'ils n'en ont que pour leur portefeuille.
L'argument est à la fois vexant pour l'intelligence des citoyens et révélateur des contradictions du gouvernement. Si l'économie et la gestion des finances publiques sont les prétendues cartes maîtresses du gouvernement, pourquoi tant de cachotteries autour du coût de mesures pouvant influer sur le bilan fédéral? Serait-ce parce que la vérité ferait dérailler le message conservateur?
On ne parle pas ici de projets mineurs. Selon les premières évaluations, la facture de la réduction de taxes accordée aux entreprises cette année et l'an prochain devait atteindre à terme 6 milliards par année. Depuis, les chiffres ont un peu bougé, et les députés veulent clarifier l'affaire, d'autant plus que le ministre des Finances, Jim Flaherty, n'arrête pas de dire qu'en ces temps de déficit, il évitera les grandes dépenses. Or, une réduction d'impôt est une «dépense» selon le ministère des Finances. Et 6 milliards, c'est une grosse dépense.
Le prix des projets de loi en matière de justice a aussi son importance. Presque tous visent un alourdissement des peines d'emprisonnement. Après avoir refusé, le gouvernement a finalement chiffré le fardeau pour le système carcéral, mais personne n'a avalé son calcul: environ 2,7 milliards de dollars sur cinq ans, alors que le directeur parlementaire du budget estime à près de 10 milliards le coût pour le fédéral et les provinces d'un seul des projets de loi.
Dans ce contexte, comment des élus peuvent-ils prendre une décision éclairée sur un projet de loi quand ils ignorent tout de son impact financier? Et comment les électeurs peuvent-ils déterminer qu'une politique vaut la peine d'être poursuivie s'ils en ignorent le prix? Et comment les uns et les autres peuvent-ils, dans ce brouillard de chiffres auquel on peut ajouter le flou entourant les F-35, se fier aux prévisions budgétaires qui seront contenues dans le budget du 22 mars?
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Ce n'est pas une question de choix entre l'économie OU la démocratie. On ne peut pas évaluer des pans entiers de la gestion économique du gouvernement en étant privé d'une démocratie parlementaire capable de demander des comptes et d'obtenir des réponses. Quand le premier ministre dit que «notre attention ne doit pas être accaparée par les procédures parlementaires», il oublie que ces procédures encadrent son travail et lui imposent des obligations incontournables en régime démocratique.
En prétendant que les Canadiens se préoccupent d'économie à l'exclusion de tout le reste, les conservateurs insultent l'intelligence des citoyens. Contrairement à ce que MM. Baird et Harper semblent croire, l'argent ne rend pas tous les Canadiens aveugles aux autres enjeux.
Il est commun de parler du cynisme des électeurs, du désintérêt pour la joute politique et de la faible participation électorale qui s'ensuit. Mais il ne faut pas confondre dégoût pour une façon de faire la politique et désintérêt pour certains principes. La grogne qui se manifeste sur la Toile au sujet de l'état de notre démocratie, les réactions à la dernière prorogation et à la décision d'annuler le questionnaire long du recensement montrent qu'il existe encore une capacité d'indignation chez les Canadiens. La question est de savoir quelle goutte fera déborder le vase et poussera à l'action.
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mcornellier@ledevoir.com


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