La ministre de la Culture, Nathalie Roy, n’a pas du tout l’intention d’intervenir pour empêcher la démolition de la maison Pasquier, même si elle est pressée de le faire de toutes parts. La maison Pasquier, qui relève de la Ville de Québec, est une des plus vieilles maisons au Canada.
Or, dans une lettre envoyée au Devoir, le ministère ne considère pas que cet immeuble soit d’intérêt national. « Plusieurs valeurs entrent en ligne de compte pour déterminer l’intérêt patrimonial d’un immeuble, pas seulement son ancienneté. » Dans sa lettre au Devoir, le ministère n’évoque que ce critère. « Il n’est pas dans la pratique du Ministère de protéger systématiquement des biens en fonction de ce critère précis. » Il ne dit rien de la situation physique de la maison, de la rareté de sa construction, de son environnement ou de son lien continu avec huit générations d’une même famille.
À la sortie du Conseil des ministres mercredi matin, la ministre Nathalie Roy n’a pas voulu s’arrêter pour répondre aux questions du Devoir au sujet de cette maison. Elle s’est contentée d’affirmer, tout en marchant, que « la mesure de protection dont cette maison pourrait jouir relève directement du municipal ». Pour la ministre, « c’est à la Ville de Québec de citer cette maison-là et de la protéger ». Elle n’a pas répondu lorsque lui a été suggéré d’utiliser l’article 76 de la loi sur le patrimoine québécois pour renverser la vapeur et sauver la maison Pasquier.
Selon le ministère, « l’évaluation patrimoniale est une analyse rigoureuse qui considère plusieurs valeurs patrimoniales et qui est pratiquée au cas par cas ». Le ministère considère ainsi que ce bâtiment a uniquement une valeur locale et, qu’à ce titre, il est du seul ressort de la Ville de Québec de s’en occuper.
En réponse au Devoir, le ministère affirme en outre que la maison n’apparaissait pas au sein de son classement et que son intérêt, par défaut, est donc d’ordre municipal. « Cet immeuble ne possède pas de statut particulier en vertu de la Loi sur [la protection du] patrimoine culturel. »
Le ministère de la Culture renvoie la question de la protection du patrimoine bâti entièrement dans le champ des municipalités. « Le Ministère considère qu’il est de la responsabilité des villes et des municipalités de veiller à la protection et à la mise en valeur du patrimoine d’intérêt local et régional. » Toujours selon le ministère, la décision de démolir ou non revenait entièrement à la Ville de Québec. Et comme la Ville de Québec a déjà accordé un permis de démolition de cette maison ancestrale à la suite d’un vide de provisions à l’égard de la protection de son patrimoine, seule l’action de la ministre Roy pourrait renverser la vapeur.
À la ville de Québec, on répond au Devoir que la maison peut être démolie parce qu’elle n’est pas assujettie à la juridiction de la Commission d’urbanisme et de conservation de Québec (CUCQ). Autrement dit, comme « la Maison Pasquier ne jouissait d’aucune protection patrimoniale, la Ville ne pouvait refuser la demande de démolition déposée par le propriétaire, celle-ci étant conforme. » La ville de Québec ajoute à sa décharge qu’elle compte préserver trois autres maisons de cette période qui se trouvent sur son territoire.
Une inaction tragique de l’État
« On n’est quand même pas devant la destruction d’un bâtiment d’intérêt secondaire ! » s’étouffe le président du comité du patrimoine de la Fondation de la fédération Histoire Québec en apprenant la réaction de l’État québécois.
« On en est rendu au point où il va falloir que des gens aillent se mettre devant les démolisseurs pour les empêcher de détruire notre passé. »
L’avocat Charles Breton-Demeule, un des administrateurs de la Société d’histoire de la Haute-Saint-Charles, n’en revient pas lui non plus. « C’est une illustration des failles de protection du patrimoine au Québec. Je ne peux pas croire qu’une maison de plus de 300 ans n’a pas une valeur nationale ! Voyons donc ! »
Selon l’avocat Breton-Demeule, le critère « national » qu’a sans cesse à la bouche le ministère constitue plus que jamais une parade pour se défiler devant ses obligations de protéger le bien commun d’une société. « J’ai l’impression que de plus en plus, ce critère « national » devient une façon pour le ministère de se défiler devant ses responsabilités. On en a un autre très bel exemple ici : il ne fait pas de doute que la maison Pasquier constitue une perte très importante pour le patrimoine. » Des maisons du XVIIe siècle, dit-il, le Québec n’en possède tout de même pas des milliers pour avoir le luxe d’en laisser une être détruite ainsi. Selon lui, on assiste aujourd’hui à un triste désengagement de l’État québécois à l’égard du patrimoine. « La loi n’est pas opérante, croit-il. Elle n’atteint pas ses objectifs de protection. »
La maison Pasquier date de la fin du XVIIe siècle ou du début du XVIIIe siècle. Plusieurs groupes de protection du patrimoine ont dénoncé unanimement la décision de la Ville de Québec, tout en pressant la ministre de la Culture d’agir sans tarder dans ce dossier. Le refus de la ministre d’écouter ces groupes voués à la mise en valeur et à la protection du patrimoine a eu l’effet sur eux d’une douche froide.
Clément Locat, président de la Fédération Histoire Québec, considère que la réponse du ministère est inconcevable. « Il n’y a même pas eu d’avis public pour intervenir. À Québec, tout se passe en catimini. On a appris ça grâce à un journaliste. C’est vraiment inconcevable que la ministre n’ait pas la sensibilité pour intervenir. »
Il met en cause la volonté politique d’agir dans ces dossiers. « La ministre a posé quelques gestes au moment de sa nomination. Mais depuis lors, qu’est-ce qu’elle a fait ? Rien. Il n’est d’ailleurs pas possible de la rencontrer. Elle est coupée du milieu. Elle ne veut pas avoir le pouls des gens du terrain, de ceux qui connaissent le terrain. L’application de la nouvelle loi sur le patrimoine n’est pas un gain. Ça ne va pas du tout. Si on ne veut pas tout perdre, il y a des révisions rapides à faire sur cette loi. » Et pourtant, dit-il, on ne bouge pas. Selon Clément Locat, rejeter la gestion du patrimoine sur le dos des municipalités a quelque chose de grossier dans la mesure où les villes ne sont pas équipées pour cette gestion et qu’elles « sont souvent trop proches des promoteurs ».