Santé

Des recommandations de la santé publique n’ont pas été suivies par le gouvernement Legault

C0a461a3f160ce1fa339141f1b354ae5

Cafouillage à la Santé publique


« À ce stade-ci, fermeriez-vous les garderies comme les écoles? », demande dans un courriel Horacio Arruda le 13 mars à 6 h 44. Ce vendredi, on le découvrira ultérieurement, est une journée clef dans cette crise sanitaire.




Dans les foyers québécois, c’est un début de panique. La veille, les commissions scolaires annoncent une par une la fermeture de leurs établissements. L’annonce officielle de la fermeture de tous les établissements scolaires et des services de garde sera faite par le gouvernement le 13 mars, en fin de matinée, pour une période, assure-t-on à ce moment, de deux semaines.


Mais en coulisses, quelques heures avant ce grand rendez-vous télévisé, on jongle encore avec les recommandations à formuler, selon un échange de courriels obtenu par le biais de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics.


Les trois destinataires de cette épineuse question matinale du directeur national de santé publique sont Mylène Drouin, la directrice de santé publique de Montréal, François Desbiens, son homologue à la Capitale-Nationale, et Jocelyne Sauvé, vice-présidente aux affaires scientifiques à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).



Une fermeture des garderies non recommandée


On devrait se garder une petite gêne avant de fermer les garderies tant que le virus ne circule pas au niveau communautaire, répond spontanément Jocelyne Sauvé, tout en avouant être perplexe.


S’ensuit un message détaillé de Mylène Drouin. La responsable de santé publique de la métropole indique clairement notre recommandation.


Pour les services de garde, comme il n'y a pas eu de semaine de relâche, il y a probablement moins d'éducateurs qui sont partis en voyage, mentionne-t-elle.


Selon elle, certains enfants [...] sont partis et je crois qu’ils devraient être isolés rétrospectivement en calculant 14 jours. Donc pas de fermeture, résume-t-elle, en spécifiant, comme cela a été souligné à de nombreuses reprises les semaines suivantes, que les jeunes enfants ne sont pas dans les groupes à risque.


Pour justifier sa position, elle assure aussi que cette mesure limiterait certains impacts [...] sur la pénurie de main-d’oeuvre, parce que les parents doivent rester à la maison. L'experte montréalaise précise cependant qu'il n'est pas exclu que nous en venions à une fermeture complète des milieux de garde dans les prochaines semaines.


Quelques minutes plus tard, Horacio Arruda, qui écrit être en ligne avec [la] ministre, dit être en faveur de cet avis, en évoquant notamment une désorganisation des parents.



Je [ne] fermerai pas [les] garderies pour [le] moment.


Horacio Arruda, le 13 mars à 7 h 14


Or, un peu plus de quatre heures plus tard, la fermeture des services de garde a été annoncée, comme celle, prévue, des écoles.


Un isolement rétroactif non suivi


Dans cette même discussion, Mylène Drouin interpelle également Horacio Arruda concernant la directive aux travailleurs de la santé.


La veille, le 12 mars, dans le premier d’une longue série de points de presse quotidiens, François Legault et Horacio Arruda ont sommé toutes les personnes revenant d’un voyage à l’étranger de se placer volontairement en isolement durant 14 jours.


Cette mesure est d’ailleurs obligatoire pour les employés de l’État, de l’éducation et de la santé, mais elle n’est pas rétroactive, bien que la semaine de la relâche scolaire [du 2 au 6 mars] s’était achevée quelques jours plus tôt.


Quatre personnes de profil assises à un bureau durant une conférence de presse.

Le 12 mars, en compagnie des ministres Marguerite Blais et Danielle McCann, Horacio Arruda et François Legault ont demandé à toutes les personnes revenant de l'étranger de se placer, à partir de cette date et volontairement, en isolement durant 14 jours.


Photo : Radio-Canada / Sylvain Roy Roussel




Mylène Drouin suggère d’imposer cette quarantaine rétrospectivement pour les employés de la santé, dont on apprendra plus tard qu'ils ont joué un rôle important dans la propagation de ce virus, en raison notamment des déplacements de personnel entre établissements, particulièrement dans les CHSLD.



Je crois que ça doit être rétrospectif pour ceux qui sont réellement en contact avec les patients car nous avons maintenant plusieurs cas de personnel revenu de la relâche qui développent des symptômes depuis hier soir.


Un courriel de Mylène Drouin à Horacio Arruda, le 13 mars à 7 h 09


On est dans une période critique et notre réseau est sous tension, ajoute-t-elle.



Horacio Arruda, qui est aussi sous-ministre adjoint, répond alors par un sobre Ok rétro personnel contact patient.


Mylène Drouin avertit alors ce dernier que les consignes envoyées par les services administratifs du gouvernement sont différentes. Svp aviser Vincent Lehouillier [sous-ministre associé en charge de la direction générale des ressources humaines et de la rémunération au MSSS] que c’est rétrospectif car le message qu’il a envoyé n’est pas cela, prévient-elle.


Malgré ces messages des autorités sanitaires, cette mesure n’a finalement jamais été appliquée.


L’isolement des personnes revenant de voyage aurait-il dû être rétroactif, en se basant sur les dates des vacances scolaires? La question a été posée le 17 juin à Horacio Arruda. Durant cette conférence de presse, celui-ci a pourtant spécifié être à l’écoute de ses collègues.



C'est toujours plus facile en rétrospective de voir qu'est-ce qui en est, mais je vais vous dire, moi, j'ai appliqué les recommandations que mes experts m'avaient faites.


Horacio Arruda, le 17 juin


Le directeur national de santé publique, dont le mandat a récemment été renouvelé pour trois ans, se défendait à la suite d'un voyage de 12 jours au Maroc, qui s’est conclu le 8 mars. Lui-même ne s’est pas placé en isolement, car, avait-il assuré, au moment où j'ai quitté, il n'y avait aucun cas qui avait été mentionné et, là-bas, j'ai pratiqué les mesures d'hygiène.


C'était en fonction des recommandations aussi que j'avais eues auprès de mes équipes, avait-il déclaré ce même jour.


À de nombreuses reprises, le premier ministre François Legault a quant à lui affirmé se fier aux recommandations à la fois de la science et de son directeur national de santé publique pour prendre des décisions.


Je veux aussi rassurer certaines personnes sur l'indépendance du Dr Arruda puis de la santé publique, avait-il clamé par exemple le 30 avril. Moi, je dirais même, c'est le contraire. Moi, je me trouve très docile par rapport au Dr Arruda. Je l'écoute, comme si c'était ma mère. [...] Je l'écoute, je suis docile.


« Des demi-vérités », déplore Anglade


Ces échanges de courriels ont fait réagir mercredi les différents partis d'opposition à l'Assemblée nationale.


On nous a dit qu’on a écouté la santé publique, mais ce n’est pas le cas. On veut avoir des réponses. Qu’est-ce qui s’est passé exactement et pourquoi a-t-on décidé de ne pas respecter ce qui a été proposé? On a laissé aller un certain nombre de choses, a déploré la cheffe du Parti libéral du Québec, Dominique Anglade.


On nous donne des demi-vérités, a-t-elle ajouté.


Sur les réseaux sociaux, le chef par intérim du Parti québécois, Pascal Bérubé, a quant à lui mentionné vouloir faire une évaluation de la gestion du gouvernement. Depuis mars, [le PQ] demande de connaître les décisions qui relèvent de la santé publique et celles qui relèvent du politique, a-t-il écrit.


Il n'y a pas de doute : la gestion de la potentielle 2e vague devra être plus transparente et moins politique, a de son côté affirmé sur Twitter Gabriel Nadeau-Dubois, co-porte-parole de Québec solidaire.




-->