Des écrits en anglais contre le repli sur soi

Chronique de José Fontaine

En 1983, se produisit la plus forte affirmation nationale wallonne, le Manifeste pour la culture wallonne. J'ose le dire même si elle n'a pas fait (et ne fera jamais), le bruit d'une explosion populaire sanglante. Les révolutions culturelles sont discrètes mais plus profondes que tout. Les Wallons un peu versés dans l'histoire régionale connaissent ce texte qui est cité dans toutes les histoires de la Wallonie et qui, au moment de sa parution fut condamné comme du repli sur soi. Les Québécois ne seront pas étonnés de la chose. Ce n'est pas ainsi qu'en jugent les ouvrages parus en anglais qui l'évoquent. S'il y a bien quelque chose que les Wallons doivent aux Québécois, c'est ce Manifeste inspiré de leurs propres rapports avec la culture de la France qu'ils ne renient pas, mais dont ils entendent se distinguer par un apport spécifique qui ne diminue pas mais augmente le rayonnement de notre langue. Dans le lien un peu plus bas vers Wikipédia, on trouvera quelques traces de l'accueil du Manifeste wallon au Québec.
TOUDI et le Manifeste wallon
La revue que je dirige est maintenant en ligne avec un tiers de ses archives. Elle considère le Manifeste pour la culture wallonne comme son texte fondateur.
En France, ce texte est ignoré. Mais il existe en revanche plusieurs ouvrages en anglais, écrits par des Anglais, des Américains, des Québécois, des Flamands, des Wallons où le sens de la démarche est clairement défini, mieux peut-être que dans les études faites en Wallonie, encore prises dans les polémiques. Le reproche du repli sur soi, c'est une expression malhonnête dont s'est servie Sarkozy avec la brutalité grossière qui le caractérise et qui caractérise tous les adversaires des peuples qui s'émancipent. Les Wallons, même les plus Belges d'entre eux, sont solidaires des Québécois dans ce contexte.
Des analyses qui nous tirent de l'accusation de «repli sur soi»
On trouve dans les analyses en anglais que j'ai lues, extérieures au Pays wallon, une manière de synthétiser la problématique dont il surgit en un contexte moins passionné. Michael Keating, John Loughlin, Kris Deschouwer situent ce qui oppose la proposition wallonne de 1983 à ce que l'on appelle parfois les "communautaristes" (les partisans de la Communauté française et d'une définition purement française de notre culture): «Depuis des années» écrivent ces trois chercheurs «les élites de la Belgique francophone défendent le principe qu'il n'y a pas de différence entre la culture française en Belgique et en France. Confrontée à une communauté flamande unie, l'idée d'une culture française une, se référant à la grande voisine du sud, mais non sans rapport avec le contexte belge actuel, relève d'une validité politique, tant pour les Wallons que les Bruxellois francophones, excluant ainsi l'idée d'une culture wallonne séparée.» (1) Pour Dimitrios Karmis et Alain Gagnon, ce manifeste a marqué une période d'une grande intensité sur le chemin de l'affirmation culturelle de la Wallonie (2). J'ai trouvé également dans un livre rédigé en anglais une belle explication du manifeste wallon: le Manifeste a été écrit au moment où la tension qui existait dans les élites culturelles entre l'appartenance à la Belgique ou à la Wallonie et la référence à la norme culturelle française avait commencé à se résoudre. Avant, existait une théorie, le lundisme, théorie affirmant qu'il n'existe pas de différences entre culture française et culture francophone belge, manière de résoudre la contradiction entre l'appartenance "française" et belge/wallonne (fatalement entachée de régionalismes linguistiques ou culturels), en niant l'un des pôles de la tension normes françaises/ appartenance belge ou wallonne. Emmanuelle Labeau fait remarquer que les romans d'Arthur Masson (mort en 1970) n'ont pas surmonté cette tension et que Masson résoud la tension entre France et Wallonie en adoptant pour son compte un français hypercorrigé, tout en faisant parler des héros wallons qui parlent très mal le français mais qu'il charge de toutes les qualités du coeur. (3)
Le Manifeste pour la culture wallonne n'est pas un manifeste en faveur de (ni contre la) langue wallonne.
Philip Mosley est un Américain s'exprimant sur la recherche d'identité dans le cinéma belge qui - très clairement, beaucoup plus que pour la littérature - est largement reconnu comme un cinéma wallon. Quand il évoque le Manifeste pour la culture wallonne de 1983, il explique que «la langue wallonne n'a ni bénéficié d'un statut officiel comme langue de l'administration, de l'Eglise ou de la politique, ni du poids suffisant qui lui auraient permis d'être le support bien diffusé et influent de l'affirmation de l'identité culturelle wallonne. Au lieu du wallon, cette tâche a été assumée dans les trente dernières années par des auteurs usant du français, dotés d'une conscience politique et qui publièrent notamment le Manifeste pour la culture wallonne.»(4) C'est l'expression d'une sorte de maturité de la conscience wallonne.
Les adversaires du Manifeste wallon, c'est comme Trudeau
Le Manifeste fut violemment critiqué dans les milieux élitistes belgicains et aussi bruxellois. Il me semble n'avoir jamais lu une analyse aussi concise et sereine d'une pareille question. «A Bruxelles, en dépit du processus de fédéralisation du pays,la vision unitaire, historiquement caractéristique des Bruxellois francophones semble avoir toujours quelque influence. Aux yeux des Franco-Bruxellois, le pays est loin de la représentation qu'en propose le Manifeste pour la culture wallonne. Siège de la Commission européenne, capitale de la Belgique et bastion du nationalisme panbelge depuis 1830, Bruxelles a tendance à mépriser les identités wallonne et flamande qui sont jugées trop particularistes dans le contexte de l'intégration européenne. Le nationalisme panbelge de Bruxelles a souvent manifesté un sentiment de supériorité morale et s'est souvent conçu lui-même comme la voie vers une appartenance plus unbiversaliste dans une perspective semblable à celle de Trudeau.» (5)
Michael Keating, John Loughlin, Kris Deschouwer disent à juste titre que le Manifeste pour la culture wallonne demeure un programme qui n'a pas encore changé les mentalités en Wallonie, notamment parce que les milieux bruxellois lui étaient hostiles. Mais la chose a complètement changé depuis qu'en décembre 2006 fut publié, cettefois, un Manifeste bruxelloisreprenant au fond les mêmes idées que le manifeste wallon . Ce manifeste a été aussi signé par des auteurs de renom comme les philosophes Philippe van Parijs et Jean-Marc Ferry. La mobilisation wallonne a retrouvé là bien des chances de se relancer comme la réunion du Mouvement du Manifeste wallon du 29 février 2008 en a témoigné et les déclarations régionalistes de leaders FDF ou PS durant les mois suivants.
Le combat de la revue TOUDI s'inscrit ainsi dans la durée. Les Québécois qui voudraient savoir ce que nous disons du Québec peuvent utiliser le moteur de recherche de la revue en ligne en tapant Québec. Mais le site doit encore être fort amélioré. Je pense qu'il y a pas mal de choses intéressantes : le Québec est cité presque tout le temps. Nous aurons l'occasion de reproduire, bientôt, la dernière interview de René Lévesque avant sa mort qu'un de nos amis avaient recueillie il y a presque un quart de siècle.
C'est le Québec qui nous a initiés au goût de la Liberté et qui nous a appris à ne pas être que des sous-Français. C'est la raison de ma fidélité à VIGILE.
José Fontaine
[Tous ces livres peuvent être partiellement lus sur Google]
(1) Michael Keating, John Loughlin, Kris Deschouwer, Culture, Institutions, and Economic Development: A Study of Eight European Regions, Edward Elgar Publishing, Cheltenham, 2003 : J'espère bien traduire For years, Francophone Belgian elites defended the principle that there wre no difference between French culture in Belgium and in France. Confronted with a unified Flemish community, the idea of a unified French culture, still referring to the big partner in the south thouh stressing the Belgian context now, had to be valid for both Walloons and Francophone ''Bruxellois'', so excluding a separate Walloon culture.
(2) Dimitrios Karmis and Alain Gagnon, Federalism, federation and collective identities in Canada and Belgium: different routes, similar fragmentation in Alain Gagnon, James Tully (editors) Multinational Democracies, Cambridge University Press, 2001, pp. 137-170, p. 166
(3) Emmanuelle Labeau dans The paradox of Linguistic specificity and Dependence on Central Norms in the Belgian Regionalist Novels of Arthur Masson in Kamal Salhi Francophone Post-colonial Cultures: Critical Essays, Published by Lexington Books, 2003 pp 275-282, p. 282 écrit: les romans de Masson sont écrits «not only a provincial region, it is also a different country from one that possesses linguistic legitimacy : France. It is worth noting that a positive image -relying on affective and non linguistic qualities - is given of this peripheral region. On the other hand, the novels are intended to obtain literary recognition by exploiting the exoticism of this milieu [...] In his writings, Masson manages to convey the ambivalent attitude of educated Francophone Belgium: regional varieties of French are felt to have positive affective features but lack sophistication. By dividing his writings between two areas - his character's language which unshamefully uses regional features and his own language, which aims at neutrality - Masson tried to resolve the tensions of a national linguistic inferiority complex.»
(4) Nous traduisons: «The Walloon dialect has carried neither official status as a language in administrative, ecclesiastical, or political affairs, nor sufficient weight to act as a popular and influential vehicle for the expression of Walloon cultural identity. This latter task has fallend instead in the last thirty years to politically conscious writers in French who published for instance a '' Manifesto for Walloon culture»'' in Philip Mosley, Belgian Cinema and Cultural Identity'', Suny Press, New-York, 2001.
(5) Nous traduisons «In Brussels, despite the federalization process the unitary vision historically characteristic of the Franco-Bruxellois still seems to have some hold. In the eyes of many Franco-Bruxellois, the country is far from the picture proposed by the ''Manifeste pour la culture wallonne''. Home of the the EU Commission, Capital of Belgium and bastion of pan-Belgian nationalism since 1830, Brussels tends to be contemptuous of Walloon and Flemish identities, which are considered too particularistic in the context of the European integration. Brussels pan-Belgian nationalism has professed moral superiority and has often conceived itself as the path toward a more universal belonging, in a perspective similar to Trudeau's vision...» in D.Karmis and A.Gagnon, Federalism, federation and collective identities in Canada and Belgium: different routes, similar fragmentation, p.168.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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